vendredi 6 mai 2011


Dans le cadre de ma résidence d’auteur àla librairie l’Atelier, j’avais transmis un courrier aux professeurs de français du collège Françoise-Dolto (Paris XXe), par l’intermédiaire de M. Pradel, le principal, dans lequel je leur proposais d’animer, s’ils le souhaitaient, des ateliers d’écriture avec leurs classes.

Ma proposition était de travailler avec les élèves sur deux formes littéraires japonaises explorées dans mon dernier récit (C’est maintenant du Passé, Verticales, 2009) : le poème très court (haïku) et la « liste de choses  » àla manière des Notes de Chevet de Sei Shônagon.

Pour les haïkus, il s’agissait de rappeler qu’ils respectent une règle formelle (3 vers de respectivement 5, 7 et 5 syllabes), mais aussi de poser d’autres « principes  » inspirés du cours de Roland Barthes sur le haïku (in La préparation du roman I, Seuil-Imec, 2003). Par exemple l’effet de réel (àlire un haïku, on se dit « c’est bien ça  » comme si le poème était une photo prise sur le vif), la présence du sujet (àlire un haïku, on se dit que l’auteur du haïku a lui-même vécu la scène, en a été le témoin, le « photographe  », l’acteur) ou encore l’émoi ténu (le haïku n’a pas pour sujet de grandes émotions ou de grands sentiments ; il parle des petites choses). L’idée était de donner àchaque fois des exemples et surtout d’inviter les élèves àécrire leurs propres haïkus.

Quant aux « listes de choses  » àla manière des Notes de chevet, je me proposais de donner aux élèves un canevas àremplir (par exemple : Choses qui égayent le cÅ“ur ; Choses qu’il ne valait pas la peine de faire ; Choses qui donnent confiance ; Choses qui distraient dans les moments d’ennui ; Choses qui ne servent plus àrien, mais qui rappellent le passé ; Choses qui sont éloignées, bien que proches ; etc.), ce qui supposait d’avoir passé auparavant un peu de temps sur la forme de l’ouvrage de Sei Shônagon. Par exemple :

Choses qui égayent le cœur
« Des dents bien noircies  » (les Japonais de l’an 1000 se noircissaient les dents par coquetterie).

Choses qui distraient dans les moments d’ennui
« Les romans, le jeu de dames, le jeu de trictrac.
Un bambin de trois ou quatre ans qui parle gentiment ; ou encore un tout petit enfant qui babille et sourit.
Les fruits.  »

Choses qui sont éloignées bien que proches
« Les relations entre des frères et sÅ“urs, ou des parents, qui ne s’aiment pas.  »

J’avais enfin proposé de travailler sur la forme « journal  » : vrai journal (par exemple celui d’Anne Frank) ou faux journal (par exemple Le journal d’Aurore de Marie Desplechin) ; les avantages du journal pour raconter une histoire (traitement du temps, forme fragmentaire, etc.) ; l’écriture d’un faux journal.

Au mois de mars 2011, j’ai donc rencontré Marie-Laure Bulliard et Dorothée Guilbot, professeures de français au collège et Elsa Duhail, documentaliste, pour réfléchir ensemble àce que l’on pouvait faire. Il nous est apparu très vite qu’il fallait s’éloigner, au moins temporairement, de ma proposition, et commencer par le commencement, àsavoir présenter mon travail aux élèves, et en particulier Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin, récit choral sur les petits-enfants des déportés non revenus et C’est maintenant du passé, récit plus personnel sur ma famille paternelle, en même temps qu’interrogation sur la place, le rapport aux parents et àl’histoire familiale.

Fin mars, j’ai donc rencontré pour la première fois les 5e 2 et les 4e 4 au CDI. Au préalable, Marie-Laure Bulliard (pour les 5e 2) et Dorothée Guilbot (pour les 4e 4) avaient préparé la rencontre en donnant quelques indications aux élèves sur mon travail. Et ce jour-là, en fonction de ce qu’ils savaient déjàet de ce que je leur expliquais, les élèves m’ont posé beaucoup de questions auxquelles je me pensais bien préparée, mais dont je me rendrais compte après coup que certaines m’avaient ébranlée (je me souviens en particulier de celle-là : Ils vous manquent, vos grands-parents ? En avril, un élève de 3e — une autre des classes de Marie-Laure Bulliard — me demandera, toujours àpropos de mes grands-parents déportés : Peut-on aimer des gens que l’on n’a pas connus ?)

Deux semaines plus tard, je suis revenue voir les 5e 2 et les 4e 4. Mais cette fois-ci, avec Elsie Herberstein, dessinatrice. Elsie et moi préparons une adaptation BD du Journal de Yaë l Koppman et sa venue permettait àla fois de présenter cette facette plus légère du travail (Le journal de Yaë l Koppman et les différentes étapes de l’adaptation en BD, en leur montrant l’évolution du travail sur le dessin — des crayonnés au trait définitif puis àla mise en couleur), mais aussi de donner un contenu festif àla rencontre, car Elsie avait proposé de faire du croquis sur le vif, en même temps que ses propres livres et carnets de voyage circulaient dans la classe.

Voici donc une partie des élèves de 4e 4 et de 5e 2 dessinés par Elsie (cliquer sur les images pour les agrandir) :





C’était si magique, ces croquis sur le vif, que plusieurs élèves de 5e 2, qui n’étaient manifestement pas passionnés par la rencontre, sont restés ensuite pour qu’Elsie fasse leur portrait…

Ce jour-là, Ambre, Rita, Alikan, Tata, Lucien, Stéphane, Fatouma, Louise, Thomas-Diego, Sihame, Manthita, Niluxman, Pauline, Dorian, Maghnia, Matteo, Ibrahima, Claire, Mervé, Qingsen, Christine et Imène, tous élèves de 5e 2, avaient aussi quelque chose àprésenter : leurs haïkus, retranscrits par Marie-Laure Bulliard qui leur avait au préalable demandé de respecter la métrique 5-7-5 et de choisir une saison.

Les voici donc :

Les fleurs de printemps
poussent toutes en même temps
un très bon moment.

O printemps, ô printemps,
quel temps fait-il aujourd’hui ?
le temps des temps.

Où dois-je aller
en ce printemps nuageux
et effrayant ?

Je sens la fraîcheur -
il faisait frais au printemps ;
parfois j’avais chaud.

Aujourd’hui l’été
sonne et veut entrer chez moi ;
j’ouvre àgrande joie.

L’été il fait chaud :
àla mer, le temps passe vite –
ainsi va la vie.

Avec mes cinq sens,
j’entends, sens, vois, touche et goutte
l’été tout entier.

Dans mon dos je sens
la chaleur de l’été qui
me fait chavirer.

O soleil, ô soleil,
toi qui es beau et charmant
je t’aime comme ça.

Pendant les étés
où sont les dauphins charmants ?
Ils sont un peu partout.

L’automne monotone -
on y trouve des tonnes de feuilles,
des feuilles qui tombent.

Je virevolte
comme une petite feuille
en automne.

Une larme coule
d’un visage qui s’effondre.
Vie n’est que décombres.

Toujours l’hiver,
je ne sais plus quoi penser,
mais j’y crois encore

Mon cœur s’enflamme
comme une bougie qui s’éteint
au cœur de l’hiver.


A suivre…

11 mai 2011
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