une esquisse, des flots, le droit au désordre

Sur la petite affichette que nous avons fait circuler afin d’annoncer le premier événement de la résidence « insoumission et littératures » qui a eu lieu le 6 février dernier, une chose m’a frappée d’emblée.

Rien d’étonnant, pourtant, à première vue. La Librairie du Québec, structure bel et bien indépendante, reçoit le soutien d’organismes gouvernementaux pour l’organisation d’événements. Au bas de l’affichette, donc, quatre logos : celui de la librairie, celui de la Délégation générale du Québec à Paris, un autre de la SODEC, enfin et surtout, celui de la région Île-de-France, dont la subvention dépend entièrement.

Surcroît d’imagination ? en apercevant ces images j’ai vu se côtoyer deux continents. J’ai vu la première esquisse d’un pont se dressant entre deux mondes, et par le fait-même, j’ai eu le sentiment que nous avions atteint déjà, en partie, un objectif de ce projet : atténuer l’opacité d’une frontière à l’heure où de plus en plus de murs se dressent.

On me dira : il n’y a quand même pas lieu d’abattre des murs entre culture française et cultures francophones, on est quand même loin du conflit israélo-palestinien, par exemple, loin d’un vrai choc des cultures.

Je répondrai qu’un mur peut freiner d’importants élans sans être tangible ou très visible.

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Proposer des rencontres instinctives, spontanées, nées quasiment des hasards de la lecture. Revendiquer un droit au désordre. (Quel plaisir et quelle chance d’entendre Isabelle Gagnon, directrice de la librairie, annoncer en introduction de l’événement qu’elle me donne carte blanche pour les dix mois à venir.)

Je tenais à aborder l’écriture d’Hervé Bouchard dans le cadre de cette résidence, un auteur qui m’a semblé rare, lorsque je l’ai découvert. Rare par l’énergie déployée dans sa langue, se prêtant si bien à l’oralité, et par la force des images poétiques qu’elle génère. Rare aussi car il n’est pas de ces auteurs qui voudront à tout prix produire. Chez ceux qui ne font pas de concession, le silence vaut mieux qu’une absence de souffle ou d’images dans les mots. Vous avez dit insoumission ?

C’est en lisant Hervé Bouchard (Mailloux, Parents et amis sont invités à y assister), comme je l’ai mentionné jeudi soir, que m’est venue l’envie de faire se croiser son écriture et celle de Bérengère Cournut. C’est en relisant L’Écorcobaliseur et Palabres que j’ai compris pourquoi cette idée un peu saugrenue, car pas forcément justifiable, était venue. Là aussi, rien n’est sacrifié sur l’autel de la conformité ou de ce qui pourrait être en vogue. Quelques préoccupations communes, à mon point de vue, qui font lien : une prise de parole devant la disparition (la mort), l’appropriation d’un espace poétique par l’invention linguistique. Bref, une forme d’insoumission à la mort par un acte d’écrire animé d’un fort élan vital, générateur d’images fulgurantes, et se situant un peu hors de tout autre réalité, s’il en est une, que celle des mots.

Les écrits d’Hervé Bouchard et de Bérengère Cournut sont hors de tout, mais bien ancrés dans la volonté de « dire » librement.

Nous avons évoqué ensemble la nécessité de briser la « carapace des choses et la sienne propre » pour écrire. Nous avons parlé de failles, des avantages d’exister dans un entre-deux mondes (la littérature elle-même étant cet espace interstitiel), également d’un entre-deux soi salutaire. On a parlé, dans l’assitance, d’une « envie d’autres langues » comblée grâce à ces univers.

Bérengère Cournut s’est prêtée au jeu. Elle a lu Hervé Bouchard et de cette découverte est née un très beau texte qu’elle nous a soufflé. L’échange de réflexion a pu avoir lieu. Au menu de cette rencontre, aussi : le mélange des genres, la frontière ténue, floue, poreuse …“ inutile ? …“ entre eux. L’enfance, avec le mot flot qu’utilise Hervé Bouchard, au sens de vague comme au sens d’enfant (car au Québec on appelle communément les enfants des flots).

Sur nos lèvres, il y a eu le mot liberté. Convivialité, simplicité pendant la discussion. Une proximité entre Bérengère Cournut et moi d’un côté, le public de l’autre : une autre frontière poreuse.

Un chaleureux pot de l’amitié juste après.

Mais il reste à attirer le lecteur parisien non habitué du lieu, il reste à faire s’attarder le lecteur pressé, sollicité de toutes parts, il reste à le faire se prêter au jeu, lui aussi, de ces découvertes partagées.

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Le 6 mars prochain, avec Isabelle Gagnon, on parlera de Forêt contraire qui vient de paraître aux éditions Verticales, et de La Poupée de Kokoschka. La comédienne Geneviève Boivin en lira des extraits, puis, histoire de joindre l’agréable à l’agréable, on aura le plaisir de partager un verre tous ensemble. Le jeudi 3 avril, l’écrivain Nicole Caligaris viendra discuter de ses livres et du travail de l’auteur québécois Sylvain Trudel. Vous serez là ?

22 février 2014
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