Transporté.e.s - II

Depuis le mois de janvier, j’ai pris l’habitude d’observer ce que les gens lisent dans le métro, dans le train parfois aussi. Je n’observe pas tant les gens eux-mêmes que leurs lectures et la manière dont elles et ils sont captivé.e.s.

Au début, je notais chaque titre vu au gré de mes déplacements, sans être particulièrement à l’affût. Mais petit à petit, cette observation s’est transformée en une sorte de traque dont la finalité n’est peut-être rien d’autre qu’une liste des titres aperçus en plusieurs mois de transports en commun, dans Paris ou ailleurs — liste qui servira peut-être à créer une vitrine inattendue, les registres de textes se télescopant d’une station à une autre, d’une ligne de métro à l’autre. Je ne m’autorise ni photographie ni interruption d’une lecture pour en savoir plus.

Chaque fois que je descends sur un quai, je regarde si quelqu’un est en train de lire. Dès que le métro arrive, j’en scanne l’intérieur défilant pour, éventuellement, choisir un wagon dans lequel quelqu’un est déjà installé, plongé dans une lecture dont je vais bientôt découvrir le titre.

Mais contrairement à ce que j’avais imaginé, il n’est pas toujours si facile d’y avoir accès. Il arrive au contraire très souvent qu’un obstacle empêche de voir (un corps venu se placer exactement entre le mien et celui d’une personne lisant debout) ou que le livre soit tenu trop près des cuisses, que sa couverture soit repliée. Ma fille use de stratagèmes très habiles pour augmenter la collection : elle se penche en faisant semblant de refaire son lacet, se faufile pour s’approcher, a de bien meilleurs yeux que les miens quand je ne porte pas mes lunettes. Elle glane régulièrement des informations qui m’échappent, notées avec empressement.

Collectionner les titres de livres en traversant Paris est donc une aventure instable et furtive, au risque parfois de voir la lectrice ou le lecteur me tourner le dos pour s’éloigner après avoir rapidement refermé son livre, rangé immédiatement dans une poche ou un sac. Me laissant bredouille, sans s’être un seul instant rendu compte de la quête qui m’anime.

Parfois, si une lectrice ou un lecteur est placé.e dans mon dos et que je comprends qu’avant sa sortie du wagon je ne parviendrai pas à voir la couverture de son livre, je jette de brefs coups d’oeil à ma gauche, à ma droite ou derrière moi pour en mémoriser une ou deux phrases.

Ainsi :

« … et comme il ne répondit pas, elle le secoua légèrement. »

ou

« Enfin on arrive à se faufiler entre les panses et l’abîme. »

A suivre.

1er avril 2022
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