Textes de l’atelier d’écriture 1

Vertige au milieu des toiles

Augustin Extier
Etudiant à Paris 4

Les grandes allées du Louvre s’assombrissaient à mesure que le soleil se couchait. Les œuvres baignaient dans les dernières lueurs cramoisies du jour. Les poussières dansaient un ballet en l’air, et les rayons qui les éclairaient donnaient à la lumière un aspect cotonneux. L’ambiance était feutrée. Les derniers visiteurs profitaient, muets, de l’intimité particulière qu’ils partageaient avec les pièces exposées. Cet environnement avait tout pour calmer le plus agité des esprits. Pourtant, les miens se perdaient dans une angoisse confuse. Crayon et feuille à la main, mon échine tremblait un peu plus en parcourant les peintures monumentales.

J’avais essayé plusieurs fois de m’attarder devant un tableau, pour essayer de le croquer sur mon petit carnet. Dessiner devant les grandes toiles, je voyais ça comme une forme d’hommage. Mais mon projet s’était, à mon grand désarroi, transformé en une terrible procession. Je m’étais d’abord attardé devant certains Vermeer, et à peine avais-je commencé à croquer qu’un frisson vertigineux expulsa mon crayon du papier. Avec confusion, je faisais l’expérience du rayonnement génial qui réduit les aspirants au silence.

A quoi bon, me disais-je. A quoi bon s’efforcer de produire quand rien ne sera aussi beau que ce qui a déjà été fait ? Que peut-on ajouter aux cireurs de parquet de Caillebotte ? Devant les peintures de Delacroix, on ne peut que rester muet. A quoi bon. Errant, je portai mon attention sur une énième toile. Dans les fossiles colorés des coups de pinceau, je le voyais. Je voyais le peintre, au milieu de son atelier, hébété par le parfum capiteux des peintures à huile ; éjaculer sa conscience sur une toile. Sans aucun doute, je me trouvais devant la matérialité ultime du génie, de celui qui n’accepte aucune critique. Alors, je songeai. Combien avant moi ont perdu l’usage de leurs mains devant le génie des peintres, des poètes et des musiciens ? J’étais proprement terrifié, les formes peintes étaient tout un tas de méduses qui m’intimaient de rejoindre la galerie des statues. Et cette formulation me revenait sans cesse ; à quoi bon.

Je m’étais assis sur les fauteuils du milieu de la galerie, me sentant disparaître au milieu de ces géants qui m’encerclaient. Je vais tout arrêter. Dessiner à nouveau, ce ne serait qu’être un moine copiste et taciturne. Je ne pouvais plus m’exprimer, comme muet et commençais déjà à entrevoir l’expression de moi-même dans la contemplation d’autres œuvres. Comme pour ponctuer ce constat amer, une femme d’âge moyen s’assit non loin de moi. Elle aussi, avait un carnet et un crayon. Il sembla que ma mine résignée n’échappa à son attention, elle émit un petit hoquet de rire. Enjoué, un peu moqueur mais sur un fond de bienveillance. Je feintai de ne pas faire attention. Du coin de l’œil cependant, je m’attardai sur le carnet que ma voisine venait d’ouvrir. Comme moi, elle dessinait. Ses pages étaient tatouées de dessins plus ou moins compréhensibles, parfois il n’y avait que des formes. De temps en temps ressortait une esquisse particulièrement esthétique. Tout cela n’eut pour effet que de m’enfoncer un peu plus dans mon marasme.

— On n’ose pas dessiner ? commença cette femme, tout en gribouillant sur son carnet. Je ne savais quoi répondre, mais j’ouvris machinalement la bouche pour dire quelque chose. Elle ne m’en laissa pas le temps.
—  C’est vertigineux, n’est-ce pas ? Toutes ces toiles, disposées en rangs d’honneur le long de ces belles galeries... Et nous, devant, on se prosterne en rêvant d’en faire partie.

— J’pensais qu’en venant, je trouverai quelque chose à dessiner, de l’inspiration, de la motivation... Mais en fait c’est tout l’inverse, avouai-je, plus j’avance, plus je pense, plus je me dis qu’il n’y a rien plus rien à peindre.
Elle eut à nouveau un hoquet, le même.

— Il n’y a plus rien à peindre... (Elle se tourna un peu plus vers moi pour complètement diriger son attention sur ce qui suivit.) Tu vois, le ton de cette phrase peut signifier une profonde résignation, mais je suis si heureuse que tu penses ça. Vois-tu, je pense que tu te fourvoies. Que vois-tu dans ces peintures ?

— Euh, un chef-d’œuvre, dis-je, interloqué. Je détestai aussitôt ma réponse. Enfin, je veux dire par là qu’on ne peut pas mieux représenter une poire que ce que je vois devant moi. Jamais je ne pourrai faire rutiler l’armure d’un cavalier aussi bien que sur cette peinture. Et même si j’y arrivais, à quoi bon, ça a déjà été fait !

— Tu te rends esclave de la matérialité de l’œuvre, jeune homme, fit-elle avec amusement. Oui, c’est bien dessiné, ça ressemble à une vraie poire, à une vraie armure. Mais tu vois trop cela comme une imitation de la réalité. Soit, c’est un choix. Moi je pense que ce qui est remarquable, c’est que cet objet représente la conscience du peintre ! C’est un chef-d’œuvre qui prend sa dimension la plus indiscutable, non pas dans la belle imitation de la réalité, mais dans la projection de la conscience du peintre ! Il y a autant de peinture que de conscience, et en cela, tout est à peindre.
Sa réflexion me rassura quelque peu, du moins eut-elle pour mérite de faire sauter le cadenas d’une tension parmi lesquelles de nombreuses allaient devoir sauter à leur tour. Si ce vertige ému me glaçait encore le sang, je savais toutefois qu’il marquait le début d’un douloureux processus de création. Mais j’avais espoir.

Nous étions maintenant seuls dans la galerie, j’entendais nos voix se heurter au silence hermétique de la fin d’après-midi.


La Route de l’eau

Kama MAKALOU
Etudiante à Paris 13

Je m’appelle Kama, Kama veut dire « comme » ou « pareil que » en arabe (réf. : « Kama tountin toudan » => comme tu fais on te fera). Kama, comme la déesse du désir en Inde. Mes parents ont choisi ce prénom pour rendre hommage à une tante du côté de ma mère.

Je suis étudiante en 2e année de Licence des Sciences de la Santé et du Social à l’Université Sorbonne Paris Nord à Bobigny. Après ma licence j’envisage de faire un Master Moss (management des organisations sanitaires et sociales). Plus tard, je voudrais être cadre de santé dans une clinique et écrire mon livre. Un livre sur ma vie, sur celle de mes proches, une biographie, un roman ou plutôt un témoignage je ne sais pas.

Ma tête est remplie de rêves que j’aimerais accomplir afin d’être satisfaite et de laisser ma trace.

J’ai un rêve, plusieurs rêves, faire une trêve de mes pensées afin de vous conter comme des histoires que l’on raconte aux enfants avant d’aller aux pays des merveilles / dans leurs « Kompé » (chambre en soninké). Je le sais mes rêves vont dans tous les sens et ont tous un lien avec le fait de vouloir écrire un livre.

Nos rêves sont-ils en sécurité ?

Je ne pense pas car on fini par les mettre dans un coin de notre tête, sur le côté, nos rêves sont oubliés. Alors, pour ne pas les oublier il faut les réaliser, les raconter.

Ecrire pour s’exprimer, écrire pour se divertir, écrire pour se libérer, écrire pour exposer. Je ne sais pas, quel est le mot qui vous convient ? Pourquoi sont-ils venu en France ? Une grande question rhétorique se pose ici. Je sais pourquoi ils sont venus en France. A la recherche d’une meilleure qualité de vie, tonton est venu en France pour améliorer les conditions de vie de sa mère qui se trouve à Sirakoro, village situé au Mali dans la région de Kayes. Lui son rêve c’est de voyager il pense le jour comme la nuit ; voyager, venir en France et continuer ses études. En prenant la mer, leurs vies étaient engagées. Vivre ou mourir ? Survivre ou vivre pleinement de ce rêve ? Tonton a préféré vivre pleinement ce rêve et le voilà en France. Bingo, son rêve s’est réalisé.

Chacun a son histoire et j’aimerais raconter la mienne à travers l’écriture, à travers des pages et une tonne de lignes.

Au final, j’écrirais un livre sur les différentes étapes qui ont amené mes oncles et mes cousins en France et je l’appellerais « la route de l’eau » (« Dji nkilé » en soninké). Dans ce livre ils témoigneront des souffrances, des joies et satisfactions qu’ils ont vécues et ils m’expliqueront pourquoi ils ont pris tous ces risques pour venir en France, l’Eldorado. Je leur dirai : Qu’est-ce qu’ils vous ont dit à propos de Paris c’est fou, comme c’est faux ce n’est pas le paradis.

J’espère ne pas avoir affaire au syndrome « de la page blanche ». L’échec ne me fait pas peur mais seulement, je ne veux pas avoir affaire à lui. Alors j’inventerai le syndrome de la page pleine.

J’ai commencé à écrire le début de mon « livre », je ne sais pas s’il est convaincant peut-être ou peut-être pas. Je me demande comment vais-je procéder pour demander à mes cousins et mes oncles qui ont pris la mer de me raconter tout en détail, les dates, les lieux, les saisons, tout… Tout, tout… Vont-ils accepter ? J’en ai déjà parlé à maman et elle n’est pas très emballée à l’idée que je raconte une douloureuse épreuve de ses frères et de ses neveux. Elle m’a tout de même dit en soninké « Oui, peut-être que Tonton Djadiry pourra te raconter » mais il n’a pas pris la route de l’eau. Alors, peut-être que je ferai une comparaison. Le même départ, pas la même route, pas les mêmes moyens de locomotion, pas les mêmes péripéties mais le même lieu d’arrivée, la France, l’Eldorado. Sans savoir ce qui les attendait réellement courage et détermination sont les mots ou plutôt persévérance, étant donné qu’ils sont allés à la préfecture et au consulat tôt le matin, le jour n’était pas encore levé, le ventre vide, les poches vides ils se sont rendus là-bas pour essayer de régulariser leur situation et pour avoir ce fichu document. Mais ils ne savaient pas ce qui les attendait avant de prendre la route la route de l’eau, la route de l’Eldorado, la France.

Force et courage !

Mon histoire je la connais mais la leur ? Non ! Je veux la connaitre partons à l’aventure et retraçons la route inverse de la France au Mali, de la tour Eiffel à la brousse, du foyer au Kompé (chambre en soninké).


Acte en l’aire

Germain Filoche
Prof de français

Les corps dansent, les tapis glissent, les projecteurs éblouissent. Mais tout cela on s’en fout. Les verbes fusent, les idées giclent, les mots se lancent. Je suis spectateur. Mais je me suis toujours demandé comment nait une pièce.

 

Soyons précis, le théâtre est populaire. Il transmet, fait connaître, explique, dit. Mais qu’est-ce qu’il apporte de plus ? De l’amour, de la joie, de la peine, de l’abandon, de l’isolement, de la haine. Au théâtre, les sentiments s’embrouillent, les nerfs se serrent, les tripes se nouent, les larmes coulent même quand on n’a pas tout compris. Le théâtre raconte des histoires. 1+1=2. C’est une règle, tout le monde la connaît depuis son enfance. Mais pourquoi ? Ou plutôt comment ? C’est le détail qui construit l’infini. Alors on y va, on va explorer. Avec des voix suaves, des gestes fermes, des visages qui brillent, des regards qui renversent, du jeu. Du jeu qui fait rire, tellement rire qu’on en gêne les voisins. Il peut pas faire moins de bruit lui ? ça doit être dur d’être acteur, d’incarner un personnage. L’ambivalence, ce qu’il y a de pire. De la colère joyeuse ça existe ? Et la haine, ça détruit ou ça construit ? L’égoïsme, ça se partage ? Et puis il y a ce petit moment où l’on comprend que le casting est lui aussi décisif. Antigone transsexuel. Dom Juan noir. Finalement, est-ce vraiment antinomique ? Ecrire du théâtre, c’est briser la table. Avec des répliques qui pulvérisent. Mieux une stichomythie. Un flic et un black-block sur la scène.

T’es flic toi ? Et toi t’es black ? Je vais te dégommer à la prochaine. Si t’as encore tes mains pour le faire. Tu sais qui tu protèges ? Tu sais qui tu détruis ? Je t’imagine dans ta caserne : seul comme les autres. J’ai visité ton appart : cossu pour un indigent. Impuissant ! Impuissance !

 

C’est ça le théâtre : des histoires peu importe qu’elles soient contingentes, tant qu’elle les fait virevolter ensemble. C’est peut-être une pudeur, une pudibonderie dirait Dostoïevski. J’ai mes histoires. J’aime mes histoires. Qu’elles soient douces ou saignantes. Du reste, ce sont les oubliés de l’Histoire qui me passionnent. Cette fillette giflée, repoussée, sauvée par sa mère avant qu’elle ne soit raflée en 42. Ce couple chilien qui a fait l’amour dans un camp de la mort en 73. C’est en 2011, cette Méditerranéenne qui a pris conscience que les droits de l’Homme concernaient aussi les femmes. 

 

Vous jouez aux dominos ? Alors vous savez que dans ce jeu, aussi populaire que le théâtre, c’est toujours les plus forts qui commencent. Qui a le double six ? Moi. Je suis le plus fort et je vous emmerde. 

 

Et si tout était politique ? Le jeu, les histoires ? Et si nos décisions, nos progrès, nos échecs, étaient politiques ? Nos amours et leurs abîmes ? Nos cœurs et leurs venins ? Hmm… Ces minuscules gouttes de prose, ce léger souffle indélébile, cette douce tempête qui fuit sur mon cahier, cet horizon serein de lignes déchainées. Les corps dansent, les tapis glissent, les projecteurs éblouissent. Je ne suis plus spectateur. J’écris.


Rêve orphelin

Alice Reymond
Etudiante à Paris 13

Il y eut un moment, dans ma vie d’enfant, où je voulus devenir directrice d’orphelinat. Je crois bien que ce qui m’en a donné envie, ce sont tous ces films et ces livres remplis d’histoires d’orphelins qui ont parcouru ma jeunesse. Dans ma chambre de petite fille, au papier peint violet fée Clochette et pleine de jeux, de peluches et de rêves ; je pensais le soir avant de m’endormir à ce que serait ma vie plus tard. Je m’imaginais gérer l’organisation et le budget de l’établissement, améliorer le quotidien des orphelins, et au final, leur offrir une jolie enfance même s’ils avaient été abandonnés. J’adorais beaucoup l’idée de consacrer mon temps à faire sourire ces enfants.

Ensuite, j’ai commencé à raconter mon rêve.

Les adultes aiment bien savoir ce que les petits veulent faire plus tard. Et directrice d’orphelinat, ce n’est pas commun, c’est même étrange pour une enfant. Mes parents surtout, me disaient que c’était un métier compliqué, dur, pas vraiment possible. Lorsque je lui ai annoncé, ma mère s’est trouvée très surprise, elle ne comprenait pas vraiment mon choix, et mon père en a presque ri. Après tout, ce n’est pas très sérieux, les rêves d’enfants.

Alors, comme toute petite fille influençable, je suis passée à autre chose. Mais comme tout rêve, celui-ci est resté caché au fond de moi, avec celui de devenir princesse, espionne, et aventurière. Aujourd’hui, presque adulte, je ne sais pas, absolument pas, ce que je veux devenir. Je suis un peu, toujours, à la recherche de où je me sentirai à ma place dans cet effrayant monde qu’est le monde du travail.

Récemment, je recherchais une structure pour y faire mon stage, dans le cadre de mes études. Par curiosité, j’ai recherché des orphelinats, mais ça n’existe plus en France. Les enfants sans parents sont mis dans des sortes de centres d’aide à l’enfance ou des foyers, mélangés aux enfants qui ont des problèmes familiaux ou qui cherchent les problèmes eux-mêmes.

Malgré tout, si en effet, avoir affaire à un orphelinat est compliqué, dur et pas vraiment possible. Je me dis que, peut-être, un jour, je ferai un voyage humanitaire, pour aller aider et travailler quelques mois, là où les orphelinats existent encore, où mon rêve est, même temporairement, possible. Eclat de rêve. Eclat de sourire. Eclat d’espoir. Je l’ai lâché et le voilà lui aussi orphelin, mon petit rêve, pardonne-moi, je suis là et je ne t’abandonnerai plus.

9 mars 2020
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