ReÌ sider confiner eÌ crire

Il m’aura fallu des mois pour sortir de l’isolement que les deux confinements ont accentué.
J’ai l’habitude d’écrire chez moi et j’aime ne pas en bouger.
Toutefois je bouge beaucoup trop afin de répondre à diverses sollicitations et gagner (ou gager) ma vie en faisant des interventions ici et là, en milieu scolaire, pour des lectures et d’autres choses.
Alors quand le premier confinement est arrivé, j’étais plutôt heureuse, malgré l’atmosphère politique déprimante. C’était le printemps, j’habite une maison avec un petit jardin dans une banlieue proche de Paris, je partais marcher tous les jours dans le quartier qui embaumait les glycines.
Le dernier jour avant le confinement, j’étais à la BIS …“ bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne où j’avais commencé ma résidence autour du langage et du sentiment amoureux. Je m’entretenais avec le responsable des collections philo. J’étais déterminée à lire, interroger les étudiants lecteurs, rencontrer le personnel de la BIS.
L’arrêt de tout déplacement a suspendu mes décisions.
J’ai emprunté des livres à la BIS, fait quelque interviews à distance, tenté une relation interactive avec les lecteurs à laquelle ils n’ont pas répondu.
J’ai lu beaucoup et je me suis mise à écrire, travaillant à l’inverse de ce que j’avais imaginé.
Lorsque le premier confinement s’est arrêté, c’était presque l’été je devais faire des choses ailleurs, j’ai arrêté d’écrire.
La Bis fermait ses portes. Je suis revenue à l’automne mais avec des RV de travail pour fabriquer l’avenir, un emploi du temps chargé et une petite commande pour la scène à finir. Et puis le deuxième confinement est arrivé.
Là je me suis sentie dépassée. Hors-sol.
Et totalement déboussolée depuis la fin du printemps quant à mon projet d’écriture en résidence.
On sait ce qu’il en est du caractère souvent dérisoire de notre travail artistique quand la réalité vous brûle les ailes.

Lorsque je suis assignée à résidence (volontairement ou pas) j’oublie de communiquer. C’est ce qui s’est passé. Ce n’était pas une absence de désir, mais simplement une boucle. Je la bouclais.
Pourtant j’ai travaillé je n’ai jamais cessé. Je ne cesse jamais de lire et de prendre des notes. Ce que j’ai fait.
La non-résidence m’a jetée dans l’oubli. Sentiment qu’elle n’avait pas lieu.
L’argent m’a permis de vivre pendant tous ces mois.
J’ose enfin dire que c’est ce qui devrait toujours se passer. Être payée pour penser, noter, écrire, produire.

Avec ce deuxième confinement, j’ai laissé dormir mon manuscrit en cours et l’ensemble de documents qui s’y rattachent. J’ai cessé d’emprunter des livres à la BIS.
J’ai terminé mon texte de commande pour la scène. Corrigé les épreuves d’un autre à paraître en 2021. Répondu à un grand entretien pour Parages la revue du Théâtre National de Strasbourg qui consacre son prochain numéro à mon travail (théâtre et romans, adultes et jeunesse). Correspondu par mail avec Philippe Minyana, écrivain dramaturge contemporain essentiel pour ce numéro.

Voilà, je tournais autour de LA MER DANGEREUSE, titre actuel de mon projet (du titre je suis contente, c’est peu, c’est déjà ça !) sans pouvoir y replonger. L’angoisse d’écrire des romans a toujours été paralysante chez moi. J’ai moins de problèmes avec l’écriture pour la scène. Mais il se trouve que depuis un an je n’arrive plus à écrire pour la scène, hors ce texte court intitulé ’Ça ne passe pas ’ pour un projet original d’Hélène Soulié, MADAM#5, autour des femmes sauveteuses en mer.
Et puis j’ai compris tout récemment que j’étais à un tournant.
Un ensemble de facteurs …“ et peut-être bien ces confinements ont-ils joué en privilégiant un temps de retrait et d’immersion, de retour sur soi et en soi …“ me pousse à radicaliser encore mon chemin d’écriture. Quel que soit le domaine où je m’aventure, la scène ou le roman, il me faut me renouveler.
En regardant un très beau documentaire ’Matisse, Voyage en quête de lumière’ de Raphaël Millet, j’ai découvert qu’à soixante ans, Matisse (l’un des dix artistes les plus importants pour moi) traversait une sorte de crise existentielle, avec le sentiment de ne plus pouvoir inventer. Il partit en Polynésie.
Mon désir de voyage depuis un an est très fort après des années où rien ne me disait plus rien. Ça tombe mal. Peu importe. Ce que je ressens et sais désormais (à soixante ans) c’est que lorsque je ne cherche plus, que je n’invente plus, je m’ennuie.
Je suis allée au bout d’un cycle d’écriture pour les romans, avec Les choses comme elles sont (Verticales 2019). Allée au bout d’un cycle d’écriture pour la scène avec des ’pièces’ même si je n’ai jamais aimé le mot (je préfère l’anglais ’play’, merci ami Gilles de me le rappeler).
Outre-genre, en 2005, j’écrivis Au Bord. Entre 2018 et 2020, Un sentiment de vie, fini juste avant que je n’entre en résidence, texte à partir duquel il n’y a plus de retour en arrière possible.
Me voici donc à cheval entre l’ancien et l’inconnu, et je tremble.
De ne pas y arriver bien sûr. Le ’y’ étant un nouveau roman, un nouveau texte pour la scène, une écriture dans les deux cas qui me fera faire un pas, qui m’offrira un passage vers ma Polynésie à moi (en toute humilité).

Le moins que je puisse faire à ce jour est de me remettre au chantier ouvert avec la résidence, de repartir de là, d’une toute petite chose, et peut-être de bifurquer.
Je n’ai jamais écrit à partir de sujet, j’écris par lente remontée d’images, de scènes qui trouvent dans la langue capacité à devenir paysage et architecture, sensations et émotions.
Il faut toujours énoncer des principes d’écriture lors des dossiers pour obtenir résidences ou bourses, et cela chaque fois est un couperet au désir. Pardon, mais c’est vrai pour moi. Je n’écris que rarement ce que j’ai annoncé.
Ce sont l’instinct et l’inconscient (et le travail d’écrire lui-même) qui font apparaître ce que j’ai à écrire, lorsque j’en dis trop, la lueur entrevue s’éteint.
La volonté est contraire à l’apparition de l’écriture.
Je le sais définitivement.
Il faudrait écrire des dossiers avec un projet déjà en cours d’écriture.
Toutefois dans cette histoire de langage amoureux, je me souviens - le goût m’en reste sur la langue …“ de tentatives non linéaires à partir desquelles il me semble que je pourrai repartir.
Un travail à partir des lieux et des objets, comme indices de narration.
Alors, pour quand même nourrir un peu cette rubrique résidence sur Remue et remercier la Région qui m’a accordé confiance et argent, voici quelques fragments écrits (Ici & laÌ€ et Des mots) qui tiennent au milieu de ce grand glissement de terrain dont je ressens chaque secousse, et où j’essaie de rester debout …“ l’assise debout de l’écriture.

4 décembre 2020
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