JUINJUILLET

Lundi 1er juin
Pentecôte à la fenêtre : un geai porte un moineau dans le bec. Il déploie ses ailes pour ne pas tomber et laisser échapper le plus petit oiseau que lui. Il s’agite, ses mouvements sont trop rapides, lui sec et brutal. Il s’arrête et le moineau se débat, puis il est mort.
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La maison est envahie de mouches. Difficile de les compter quand elles sont vivantes ; il y a en a sur chacune des portes en sapin du meuble de cuisine. Une sur la grille noire de la gazinière que j’aurais pu ne pas voir. Il y en a une sur le col de cygne de l’évier. Je ne bouge pas. Il y a en a une sur ma cuisse, une sur mon pied, il y en a sur le montant de la fenêtre, une sur le verre, collée aux branches de l’arbre des mètres derrière. Trois sur la table en forniqua. Une mouche sur la platine, trois ou quatre mouches posées sur les dos de livres de poche : L’île aux trente cercueils, Premier de Cordée, Une chambre à soi, Le Terrier et une sur le DVD rose de La maison des bois. Je les vois posées dans mon salon : aucune ne vole à cet instant. Tout est arrêté. Je me lève avec l’intention molle de les tuer. En quelques minutes j’en écrase 14 avec une liasse de feuilles enroulées.

Mercredi 3 juin
Au téléphone : Julien dit qu’un bon artiste c’est avant tout un bon coloriste.
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Avant de dormir, on décide à nouveau d’en tuer. Le chiffre des mortes nous affole.

Samedi 6 juin, Saints-en-Puisaye
Abel pleure aux aurores ; pour ne pas réveiller la maison, je pars le promener : à 5h, la campagne sent plus fort.
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Le nom des fleurs, les saisons de chaque fruit, les prix au kilo, les différentes espèces d’oiseaux. Tout ce que les autres savent depuis qu’ils sont enfants et que moi j’apprends maintenant.
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Irène ne veut plus des livres écrits pour les enfants « il n’y a pas assez de détails, pas de mystère ». On lit chaque soir un chapitre des Fantômas de Souvestre et Allain. Elle dit « fantômasque ».
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des petites peintures des recoins de la maison : j’ai une chose à faire avec un pinceau
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Quand on éteint la lumière, les mouches cessent de voler.
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Je raconte à F. que je peins, il dit : « c’est figuratif j’espère ».

Lundi 8 juin
En 1862, Sarah Lockwood Pardee épouse l’héritier des carabines Winchester. Ils ont une fille 1866 qui meurt quelques semaines après sa naissance. Son mari prend la direction de la Winchester Repeating Arms Company, la célèbre carabine, en 1880  ; il meurt de la tuberculose quelques mois plus tard. Après avoir consulté un médium, l’héritière Winchester dépressive fait construire à San José en Californie une maison pour accueillir toutes les âmes des morts de la carabine de la marque familiale. Les travaux durent 38 ans, jusqu’à sa mort.
Nuit et jour, et tous les jours, des ouvriers agrandissent la maison. Inachevée, elle comprend 160 pièces, 40 chambres, des portes ouvrant sur le vide et des escaliers qui montent au ciel.
C’est à cette maison que je voudrais que Mars Mars ressemble.
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C’est un réflexe, mon masque quand je le mets, je le place d’abord sur les yeux.
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Depuis que nous avons à nouveau le droit de nous voir, je n’arrive plus à tenir une conversation.
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Un homme m’envoie une invitation sur Facebook. Je regarde ses photos, ses amis ; sur sa « fiche » il est écrit « Puisse Dieu nous prémunir contre les dettes et la malédiction des parents ».
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Un tout petit article sur Hic paraît dans Le Monde

Jeudi 12 juin
Le 21 avril c’est la date anniversaire de la fondation de Rome par Romulus et Remus, les fils jumeaux du dieu Mars.

Samedi 14 juin
Je rêve que Manon fait des taches de couleurs immenses sur des rochers au bord d’une mer, Égée ou Méditerranée. Elle peint le paysage en noir et rouge. Sa mère, qui approche pour voir, dit « c’est beau, mais ce n’est pas historique ».
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Je me souviens de ce moment à l’adolescence, pas très long, où faire un dessin, une peinture, me semblait engager trop de renoncements. Je ne savais pas comment cacher un objet au fond du placard pour simplement peindre la porte. C’est alors que j’ai voulu écrire.

Lundi 16 juin
Au Moma : une installation de Bruce Nauman qui s’appelait Days. Dans une vaste salle vide, étaient suspendues, à la hauteur de mes oreilles, sept paires de petites enceintes. Chacune émettait des voix d’hommes, de femmes, de jeunes ou de vieux récitant en anglais les jours de la semaine.
Monday, Tuesday, Wednesday, Thursday, Friday, Saturday, Sunday.
Leurs voix se mêlant et se distinguant au fil des déplacements dans l’espace. Je n’ai pas déambulé longtemps dans la salle, j’y marche encore.
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Un sondage du Sunday Times place les artistes en tête des professions les moins essentielles, avant même les démarcheurs téléphoniques.
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Dans les pages The Empire of the sun, acheté d’occasion à Paris, je trouve ces mots, écris au crayon de bois sur une feuille de carnet à spirales :
I always improvise my English
I’m an idle man. I will never have my own ***. I’m on strike
We have had our review designed by a specialist
We was promised an important subvention we have never seen
I am not said to be very clever
Commentary and remarks of Nietzche in the margin
Sometimes I have the feeling that I have been sentenced for a crime I am ignorant of.
In this little world I feel captive with squirrel for friends of captivity
I’ll make him write a text

Une fois tout recopié, la dernière phrase soulignée, je jette la page à la poubelle.
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Philippe m’a parlé d’un livre à paraître chez Vanloo. J’ai oublié le titre mais pas celui de l’auteur, Adrien Lafille. Philippe raconte : un homme promène son chien tous les jours, et tous les jours, sa femme le salue de la main, par la fenêtre, tandis qu’il s’éloigne. Un jour le chien meurt, et l’homme part marcher seul. Sa femme ne l’accompagne plus de la main, ni du regard. C’était au chien qu’elle faisait signe, et l’homme qui comprend décide de ne plus revenir.
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Alors qu’on traversait les Ardennes en voiture et qu’elle regardait par la fenêtre, Irène avait dit « mais qui a peint ce paysage  ?  »

Jeudi 19 juin
Dîner chez T, assis à côté d’une conne qui pense les artistes intermittents.
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Je parle des lumières de Mars Mars avec Sophie. Je lui raconte que de la Dune du Pyla, il y a quelques années, j’ai vu le rayon vert : un très discret éclat pomme, plutôt clair mais intense. Le flash a surgi juste avant la disparition du soleil. Nous étions nombreux à regarder le couchant à cet endroit, ce soir-là, et sommes très peu pourtant à l’avoir vu. Un inconnu, à mes côtés, l’a pourtant observé au même instant. Il s’est écrié « Le rayon vert  ! » et moi aussi. Je ne me souviens pas de son visage mais nous étions debout et j’ai remarqué que nous étions grands. Nous faisions la même taille. Personne ne croit cette histoire. Je ne tenais pas de journal. C’est pourtant un phénomène optique, certes rare, mais dont on connait le mécanisme et l’origine. Voir le rayon vert n’a rien d’impossible.
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La série Domus de Don Baum  ; à la fin de sa vie, il construisait des petites maisons avec tout ce qui lui passait sous la main. Je voudrais passer une nuit dans chacune d’elles.

Dimanche 21 juin
Les drames, toujours en été.

Lundi 22 juin
Je suis réveillée avec le jour par les mouches qui recommencent à voler.
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Pour rentrer de Puisaye , on traverse un lieu-dit de L’Yonne appelé « Mon idée ».
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Science & Vie : Les pieuvres seraient peut-être extraterrestres.
Louis relit justement La guerre des Mondes et on parle des intuitions inexplicables de certains auteurs.

Mercredi 24 juin
Dans le métro désormais, la voix dit « pour notre santé à tous » et plus « pour votre sécurité ».
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Depuis quelque temps, quand on me demande mon âge plutôt que de compter je dis que je suis née en 1982
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Je voudrais voir au ciel comme des fois au fond de la mer.
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Je suis passée chez Bernadette qui s’est fait cambrioler. Sur la table, elle a trouvé un timbre. Elle est certaine que ce n’est pas à elle. Elle se réjouit que le cambrioleur ait oublié quelque chose. Moi je me dis que peut-être il l’a laissé à dessein.
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J’ai parfois hâte d’être parvenue au terme de la vie  ; je voudrais être sûre de tout traverser sans encombre.
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C’est moi qui parle.
Qui es-tu toi à qui je m’adresse ?
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Le ciel s’étend de la surface de la Terre, du sommet de mon crâne, du dos de ma main, de la croupe du cheval, aux confins de l’Univers.
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Les Bruants à gorge blanche ont fait émerger un nouveau chant dans une localité du Canada. Puis ce chant s’est exporté, et il est en train de supplanter l’ancien. Ce phénomène n’avait jamais été observé auparavant.
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« Sauvage  » sur tous les livres qui seront en librairie à la rentrée.
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Quand je trouve belle une sculpture, j’ai envie de la manger. C’est peut-être la différence que fait mon corps entre des œuvres en deux et en trois dimensions, en particulier celles en bois, en marbre, en argile. Burning House, Mad house, ou old eccentric’s house, je voudrais les sentir entre mes dents, enrouler ma langue autour. Jamais je n’ai voulu lécher une peinture. Peut-être celle de Louis quand même.
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Je lis le début d’un roman  ; le journal fictif d’un artiste en résidence à Malakoff.
Page 7 : « l’aura pulsatile de mon smartphone  »
Page 9  : « lors d’une exposition collective à laquelle je prenais part  » 
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Un homme roule  ; il quitte la ville. À l’arrière un autre homme téléphone. Il a mal au cœur et regarde droit devant. Le passager et le conducteur regardent dans la même direction un long moment. Peut-être l’un regarde le jour disparaître, l’autre l’ombre venir. Quand des rais de lumière perce la nuit comme en plein jour elle perce parfois les nuages. Comme ces échelles de Jacob que l’on voit peintes sur les dômes des églises. Les rayons tombent sur la terre  : devant eux, il fait presque clair. Le chauffeur arrête l’automobile, il va s’assoir avec son passager à l’arrière et la voiture continuer d’avancer.

Vendredi 26 juin
Saka est enfin de retour. Il revient d’un confinement de presque trois mois à Rome, avec un refus au prolongement de son titre de séjour et les 300 000 signes de son premier roman.
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L’homme qui brûle d’Alban est retors et très drôle.

Jeudi 2 juillet
Rendez-vous au Seuil ; Comment dire ?

Dimanche 5 juillet
Il fait frais et Abel porte un sweat sur la poitrine duquel sont brodées les lettres B.C. initiales de la marque pour enfant de Monoprix , Bout’ de chou. Je pense à mon éditeur toute la journée.
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Dîner chez Flora. On est huit et on parle des géoglyphes de Nazca. Tout le monde voit à peu près ce que c’est, mais on ne s’accorde pas sur le pays, le Chili, l’Argentine, le Pérou. On se demande comment ils ont fait. On évoque un carroyage. Quelqu’un dit « le plus fou c’est d’imaginer pour qui ils dessinaient ces formes qu’eux ne pouvaient pas voir  »  ; on se tait et j’ai l’impression qu’on nous regarde par le dessus, qu’on nous voit à travers le toit, le ciel, et nos crânes.

Lundi 6 juillet
Offanse.
Dans le rêve, le son [ã] de l’« offense » s’écrivait avec un « a » au lieu du « e  ».

Mardi 7 juillet
Merveille : Fassbinder, La mort en fanfare, d’Alban Lefranc. On ne sait pas comme c’est fait ce montage.
Je revois Martha.
Martha s’endort en plein soleil et se brûle.
Helmut jouit ensuite de son corps rouge et douloureux ; il la viole.
Helmut est joué par Karlheinz Böhm qui jouait aussi François Joseph dans Sissi. J’ai vu et revu ces films enfant quand ma mère déprimée ne voulait pas faire autre chose. C’était l’hiver et on restait enfermé, à attendre que le temps passe. Ma mère elle vivait je pensais, allongée sur le canapé, avec un plaid beigeasse jeté sur ses jambes. Elle attendait que ça passe.
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Trois mois sans parvenir à entrer dans un livre et ce dégoût d’écrire sans lire.
Je recommence enfin.

Vendredi 10 juillet
Au cœur d’un été tout en or d’Anne Serre.
Mille merveilles ambiguës et ce rêve : la narratrice part à Genève armée d’un fusil ; elle veut assassiner l’éditeur de Héros-Limite qui n’a jamais répondu à son manuscrit.
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En vélo dans Paris, on découvre les grandes vitres sales de toutes les boutiques qui n’ont jamais rouvert.

Vendredi 17 juillet
J’accompagne Saka qui a rendez-vous avec un avocat dans un bus porte d’Aubervilliers. C’est au sujet de ses papiers, ou plutôt des papiers qu’il n’a pas. On lui dit pour la énième fois que pour demander l’asile il faut avoir été persécuté, et de lui demander encore solennellement s’il l’a été et lui de répondre que non, un peu gêné. On a demandé aussi si le passeport talent, étant donné qu’il écrit un roman, pourrait fonctionner et on nous a dit que non, pas en situation d’irrégularité. On conclut l’entretien en se disant que la meilleure solution dans son cas est de travailler avec des faux papiers pour demander une régularisation au bout de trois ans. Et quoi qu’il en soit d’écrire son roman.
En sortant, je lui demande si « ça va », il me dit « Tu sais eux ils disent ça, mais on sait pas ce que Dieu veut ».
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…¨Sofia Antipolis/ Même le soleil est plus beau qu’ailleurs.
Filmé avec tellement d’amour
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Cantal natal
Je lis Joseph de M-H. L. dont Aurélie m’avait déjà parlé. Il y a les plis des draps, ceux du journal, ce qu’on ne sait pas.
Le regard de l’écrivain sur le personnage est indéfinissable ; l’écriture déjoue tout ce qu’on pourrait redouter de distance, de proximité, de complaisance, de sévérité. Les possessifs bancals et les ruptures de ton au milieu des phrases m’émerveillent. On peut dire que celle-là elle sait d’où elle parle sans arrêter pourtant de se demander d’où elle regarde.

Samedi 18 juillet
Un message qui revient  : « mais c’était pas un fantôme vu c’était les paroles d’un fantôme je te raconterai  ». Je reçois pour la deuxième fois ce texto qu’A. m’a déjà envoyé, il y a des semaines.
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On parle avec Louis de mon travail. Depuis l’entrevue du 2, alors que je me croyais solide, le doute s’insinue dans le travail en cours.
Je viens de lire Au cœur d’un été tout en or d’Anne serre ; elle aussi elle s’en fout. Ce que je poursuis, c’est ce qu’elle appelle le « petit narrateur ». Lui donner la voix qui lui sied, m’y tenir.

Lundi 20 juillet
Trois jours dans la vie de Paul Cézanne de Mika Biermann  : « Si j’avais un âne, je lui banderais les yeux.  »
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Sur les réseaux sociaux l’été : les collections magnifiques de tous les musées des beaux-arts provinciaux.

Mercredi 22 juillet
Après-midi à travailler avec SAKA. À la pause, on discute ; c’est la deuxième fois que je n’arrive pas à m’empêcher de lui demander ce qu’il veut. Je vois bien que je comprends rien.

Jeudi 23 juillet
Dans Le Monde, un article sur Pierre Michon dont tout le monde poste des passages sur les réseaux sociaux :
« La tâche d’un éditeur : allumer la flamme chez un auteur »
Ah ah
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Dans Le monde est rond de G.S., Rose si triste d’apprendre que les étoiles aussi sont rondes.

Vendredi 24 juillet
Je retrouve Pierre à Nogent-sur-Marne, à l’Ephad géré par la Fondation des artistes. Il y a réalisé une œuvre, il y a 9 ans : les portraits de seize pensionnaires atteints de troubles de la mémoire. Il me commande aujourd’hui une nouvelle dans la perspective d’une publication l’année prochaine. Quelque chose autour de l’oubli. C’est la deuxième fois que je mets les pieds à Nogent. La première fois c’était pour filmer Georges Agniel, l’un des quatre inventeurs de la grotte de Lascaux. Avec Camille, on était allées chez lui l’interroger sur la découverte. On filmait, il disait ne plus se souvenir, de rien, du tout, et puis soudain tout était revenu et il nous avait raconté l’invention comme si elle datait d’hier, au présent même, je crois.
Pierre me présente sa pièce, me parle de chaque pensionnaire, puis nous visitons le parc Watteau. Les sœurs Smith et Champion, anciennes propriétaires, pour sauver le lieu, son intégrité, avaient fait croire au monde entier que Watteau y avait longtemps résidé et travaillé. Elles avaient acheté quelques faux, un article était paru dans Le Figaro, et Clemenceau est intervenu pour sauver la propriété.
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Grotte est imprimé ! Joie de sortir en même temps que le texte affolant d’Arno.
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Facebook : Le blond est la transformation capillaire de l’été 2020.
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Joël poste des photos d’un livre de Jochen Lempert :
« Seing is believing ».

Lundi 27 juillet
Depuis quatre mois, je dois écrire un texte pour l’exposition de Maude à Dijon, repoussée. En deux heures, c’est fait : moi confinée à Malakoff avec ses œuvres carnaires.

Mardi 28 juillet
Musée d’art moderne avec Justine ; la peinture méhaphysique de Chirico.

Samedi 25 juillet
Révélation : Des scientifiques postulent que l’explosion vertigineuse de la vie qui eut lieu au Cambrien soit due à l’apparition de la vision, bouleversant irrémédiablement les rapports entres les prédateurs et leurs proies.
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On avait cru d’abord que la science nous aiderait à voyager dans le temps, puis on avait pensé qu’elle pouvait au moins nous aider à découvrir l’espace, on comprenait enfin qu’elle nous permettrait de rester enfermé chez nous.

Jeudi 30 juillet
Marie m’offre un pin’s de stalagmite acheté à la grotte d’Avila ; je l’épingle au col de ma chemise bleue pétrole et c’est trop beau.

Vendredi 31 juillet
Interrogé sur l’achèvement d’une œuvre, Paul Klee aurait répondu : « lorsqu’elle me regarde. »


31 juillet 2020
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