deux fois deux égal trois

« Il est allongé là. C’est un témoin. Le monde lui arrive dessus. Il dit que le monde lui arrive dessus. Dans quelques poèmes tardifs, comme le très beau Chanson, il s’essaie même au règne généralisé d’une sorte de voix passive : une cigarette fume toute seule, une balle de tennis est servie, le monde est ce qui arrive sans même plus de sujet [1]. » Extrait de : Stéphane Bouquet, postface à : James Schuyler, Il est douze heures plus tard, trad. Stéphane Bouquet, joca seria, 2014.
Chanson [2], extrait :
« Un hêtre pleureur est gris,
un hêtre cuivré est rouge cuivre. »

Est-ce corrélatif à l’abandon du sujet ? Dans nombre de poèmes de James Schuyler (né à Chicago, 1923 …“ mort à Manhattan, 1991), la plupart des notations de couleurs sont à percevoir comme des substances, en français invariables (il y en a beaucoup : à New York, Schuyler écrivait pour Art News en tant que critique et éditeur associé. De 1955 à 1961, il fut commissaire d’expositions itinérantes pour le compte du MoMa) Et d’ailleurs :
« Les jours filent et nous croyons devoir y laisser notre marque. C’est tout autrement. Ils nous marquent, le
Temps et les saisons, de sorte qu’en regardant en arrière il y a de longues avenues dépeuplées
Bleu-gris […] » trad. Bernard Rival, "Hymne à la vie" : Le Cristal de Lithium, TH.TY., 2010 : p.20.
Mais aussi :
« Mais, aussi, le silence dans lequel sortent du bourbier les feuilles violettes
(Feuilles de violettes, je veux dire) » [3]

Qualifiés et qualifiants s’intervertissent ou, comme l’écrit Stéphane Bouquet : « La comparaison les fait entrer [les choses] dans un réseau sans fin où une chose verse dans une autre [...], » [4]

Dans Il est douze heures plus tard (titre-vers extrait du poème "Empathie et nouvel an" publié p.50), Stéphane Bouquet a traduit des poèmes de différents livres de James Schuyler dont : Freely Espousing (1969) . The Home Book 1951 …“ 1970 (1977) . The Crystal Lithium (1972) . Hymn to Life (1974) . The Morning of The Poem (1980) . A Few Days (1985) .
Dans Le Cristal de Lithium, Bernard Rival a traduit les quatre longs poèmes qui donnent leur titre aux quatre derniers livres. [5]

Le jeudi 20 octobre à partir de 19 heures à l’atelier

Bernard Rival lira l’un de ces quatre longs poèmes et Stéphane Bouquet plusieurs « fleurs » — expression que j’emprunte ici à James Meetze citant James Schuyler (Other Flowers, Farrar, Straus and Giroux, 2010) : « "Quelles autres fleurs y a-t-il ?", demande Schuyler dans son poème "Catalogue", comme pour nous rappeler que ce qui est initialement montré n’est pas nécessairement l’image complète. »
             « what other flowers are there ?
wild flags, rank daisies, black-eyed susans in Laurentian meadows
suns »

En 1952, au sortir d’une séance de tournage pour un court-métrage sur un scénario de son cru, James Schuyler dit à John Ashbery : « et si nous écrivions un roman ? » « Comment ça ? » « C’est facile, tu écris la première ligne. » « Pour ne pas me laisser manœuvrer, se rappelle Ashbery, j’ai fourni une phrase de trois mots :
"Alice était fatiguée." »
« Alice était fatiguée » sera le début du roman de John Ashbery et James Schuyler, A Nest of Ninnies (1968). Trad. française Patrice Ladrange et Abigail Lang : Un nid de nigauds, Les Presses du réel, 2015. « Une traduction à quatre mains pour un roman à quatre mains », dit Abigail Lang. L’occasion de nombreux allers-retours sur lesquels les deux traducteurs souhaiteront sans doute revenir le 20 octobre : ils présenteront James Schuyler et liront des extraits de Un nid de nigauds. John Ashbery et James Schuyler n’ont achevé leur roman, commencé en 1952, qu’en 1967 :
« Pour y arriver, nous avions convenu d’infléchir un peu nos propres règles : au lieu d’alterner phrase par phrase, chacun pouvait écrire aussi longtemps qu’il le souhaitait, jusqu’à des paragraphes entiers. » [6] Un roman « conversationnel », comme l’est la poésie de James Schuyler, comme si les deux auteurs, mutuellement se relançant, jouant à se comprendre, jouaient aussi probablement de leurs malentendus…

Avec la participation de la Librairie Michèle Ignazi
Remerciements à l’Association Double-Change

proposé par

26 août 2016
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[1Il est douze heures plus tard, p.165

[2Il est douze heures plus tard, p.128

[3Le Cristal de Lithium, "Hymne à la vie", p.20

[4Il est douze heures plus tard, p.170

[5Une première traduction du poème "Le Cristal de Lithium" par Dominique Fourcade était parue dans : Vingt Poètes américains, une anthologie ; éditée par Michel Deguy et Jacques Roubaud, Gallimard, 1980.

[6Un nid de nigauds, p.7