Cris et chuchotements

Dans les maisonnées de la maison de l’hôpital, tous les bruits résonnent, de cris en chuchotements. Les bruit des voix ténus, les sons des voix retenus, les cris de douleurs expirés, le bruit infini du silence.

Quelle est la voix de la solitude ? Quel est le son de l’attente ? Quel fredonnement pour quelle promesse ? Quel refrain pour le chant oublié ?

Dans la maison de l’hôpital quelle est la musique d’une vie ? Les notes bourdonnent aux oreilles assourdies, les mots criés ne pénètrent plus jusqu’au marteau du tympan ébréché, les mots lus ne vont plus jusqu’àla cornée abimée. Aveugle ou sourd, dans l’oubli ou la trop grande lumière, quel son juste pour leur dire la poésie malgré tout, malgré le corps qui lâche, malgré l’envie d’en finir, malgré le noir qui aspire, leur dire quoi qu’ils respirent ?

Derrière mon masque je muscle ma voix pour dire les mots que je voudrais murmure, je force ma voix qui ne voudrait être que douceur. Contradiction d’un ton pour se faire entendre ici entre cris et chuchotements, entre masque et liberté de dire.

Alors accompagner de gestes les mots, toucher autrement que par la voix. Ici tout marche ensemble, fait corps, la voix la main les yeux. Si l’on ne m’entend pas on me voit, si l’on ne me voit pas on m’entend, et sinon on sent ma main qui touche, rassure. La poésie est faite de tout cela.

Parfois un murmure et les murs tombent. Parfois un cri et tout retombe. Continuer. Je m’accroche aux livres, au carnet, àmes notes comme autant de béquille, ou plutôt d’outils, je fais couple avec eux pour la route àpoursuivre.

Si je boite, si ma voix se heurte, je me tiens aux pages. Si je sèche, si mes yeux s’embuent, je me tiens aux mots. Ma demeure est là. Je le sais depuis toujours. Et je marche avec elle comme ma coquille sur le dos, lourde et légère àla fois. Coquille vide parfois quand trop de silence ou trop de violence. Mais demeure que je sais suffisante pour continuer àavancer, àtracer.

De couloir en couloir, de chambre en chambre, de salon en terrasse, j’ai les mains pleines de livres et ma tête ouverte àla parole. Qui viendra aujourd’hui y déposer ses mots, ses jurons de détresse de ne pas trouver les bons mots, ses silences et ses pas quand plus rien ne revient ? Qui viendra aujourd’hui y murmurer ses mots entre deux lèvres ouvertes difficiles àbouger, entre deux tremblements, deux grimaces épuisées, deux écoulements de salive si vite essuyés.

J’attends le jaillissement et de joie et de peine, noir ou lumineux, chaleureux ou humide, et souvent tout cela àla fois. Et j’entends après chaque poème lu toujours ce chuchotement MERCI. Et toujours après chaque geste ce chuchotement MERCI. Et l’épaule et le visage respirent. Et derrière mon masque mon sourire n’a pas de mots. Il sait que cela nous suffit.

Et sans attendre rien, cela surgit aussi, des phrases comme des poèmes, des histoires enchantées d’un passé recroisé sur un mot échangé et la maisonnée devient jungle, rue, mer, torrent, verger, les charmeurs de serpent et les cracheurs de feu ont remplacé les soins, les sutures, les suintements. Tout coule et ce n’est pas pareil, c’est la vie jaillissante qui fait passer du cri de douleur au chuchotement des merveilles.

Depuis les maisonnées de la maison de l’hôpital jusqu’àla maison où je vis, cela résonne encore longtemps en moi, tout le trajet et au-delà. Tout l’espace et tout le temps. Les cris infinis et les chuchotements aussi, tous àpeine audibles, àpeine supportables, mais donnant sens àchacun de mes pas, consistance àchaque couche de ma coquille. Tous musique d’un lieu en écho, un chant particulier àretranscrire et àaimer pour ce qu’il dit. La vie.


Maud Thiria, photo Oratoire de Pierre Buraglio

27 avril 2021
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