Chaque mot devient un éventail de sens et un mystère

Violaine Schwartz termine une résidence à l’Atelier du Plateau (Paris 19). Son projet est d’écrire un diptyque autour des contes de Grimm provisoirement intitulé Grimm y es-tu ? comprenant une traduction d’une sélection de contes dans une langue proche de l’oralité ainsi qu’une œuvre personnelle sur la place des femmes dans ce genre littéraire.


J’ai eu la chance, au début de ma carrière de comédienne, de participer à la traduction du Cercle de craie caucasien, de Bertolt Brecht, au côté du germaniste François Rey, qui m’a transmis les bases de cet exercice ardu et passionnant. Et il se trouve qu’un beau jour, plus de vingt ans après (ou peut-être deux mille ans), on m’a proposé de traduire quelques Contes de Grimm pour un spectacle de théâtre. J’ai accepté. Étant d’origine alsacienne, j’ai une familiarité d’enfance avec cet univers. Le vieux livre en lettres gothiques, la vaste forêt profonde, l’odeur de cannelle, le souvenir de ma grand-mère avec accent. Étant par ailleurs comédienne, et sensible aux exigences d’un plateau de théâtre, j’ai tenté d’être au plus près de l’oralité que j’entendais dans le texte d’origine : une langue très simple, répétitive, musicale et minimaliste, mêlée de chansonnettes, faite pour être dite. Ensuite, je me suis prise au jeu, et j’ai continué à arpenter le pays des Contes de Grimm, loin de la commande d’origine, notamment grâce à cette résidence Ile-de-France. 

Cette résidence m’a permis de m’ancrer dans ce projet à fond. De passer l’année à éplucher des dictionnaires et à compulser des grammaires. De langue source en langue cible. C’est un travail minutieux qui exige de faire des choix à chaque instant et de s’y tenir. J’ai re-découvert les affres et les délices de cet exercice littéraire si passionnant, si difficile, où chaque mot devient un dilemme, un piège, un éventail de sens et un mystère. Chaque phrase, une nouvelle énigme à déchiffrer.
Le fait de lire en public mes traductions en cours (dans les classes et à l’Atelier du Plateau) m’a beaucoup aidée : les entendre, les corriger, les perfectionner, les clarifier, c’est un travail sans fin et le théâtre est un magnifique gueuloir ! 
J’ai par ailleurs écrit un conte à ma façon, en guise d’introduction, sur le fait même de traduire les Contes de Grimm. Pourquoi, comment. Les difficultés, les doutes. Et la place de la femme dans cette littérature. Soit victime, soit sorcière, soit marâtre, soit morte en couches, endormie, passive, attendant le Prince Charmant. 
J’ai voulu secouer un peu les vieux clichés de notre vieille mémoire. Retrouvant là mon écriture personnelle mais nourrie de Grimm. Partant de Grimm. 
Cette résidence dans un théâtre (L’Atelier du Plateau) m’a, pour finir, donné l’occasion de reprendre trois spectacles que j’avais écrits pour la scène : l’un à partir de mon livre Papiers, avec le violoniste Dominique Pifarély, l’autre avec la chorégraphe Cécile Loyer, Et donc ! et le troisième avec l’acrobate Victoria Belén, De l’une à l’hôte
C’est une chance pour moi de pouvoir relier toutes mes activités dans une même résidence puisque l’écriture se nourrit de mon expérience sur un plateau de théâtre et inversement. En particulier pour les Contes de Grimm, destinés à être dits en public, justement. 

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