Patriotic Hypermarket, présentation

Tout particulièrement intéressée par les écritures dramatiques contemporaines, j’ai pour projet de traduire la pièce Patriotic Hypermarket, coécrite par Jeton Neziraj (Kosovo) et Milena Bogavac (Serbie) en 2011, et créée par Dino Mustafić (Bosnie) au Bitef teatar de Belgrade la même année.

La pièce a été écrite en serbe et albanais, puis traduite intégralement en serbe par les auteurs. Cette collaboration serbo-albanaise est à l’initiative du Multimedia Center de Prishtina (Kosovo) et de l’Association Kulturanova de Novi Sad (Serbie) et s’inscrit dans le cadre du projet « Regards : histoires personnelles des Serbes et des Albanais du Kosovo ».


Les auteurs

Milena Bogavac est née en 1982 à Belgrade (Serbie). Diplômée en dramaturgie par l’Académie des Arts dramatiques de Belgrade, elle est aujourd’hui auteure dramatique, poète, scénariste, et assistante à la mise en scène pour le collectif Drama Mental Studio. Elle a écrit de nombreuses pièces toutes créées dans son pays d’origine, ainsi qu’en Norvège et en Allemagne. En France, son texte Cher Papa, souvenirs de Belgrade a été présenté en 2006 au festival d’Avignon. Milena Bogavac est également l’auteure d’un recueil de poésie-slam, Economical Propaganda Poetry.

Jeton Neziraj est né en 1977 au Kosovo. Il est l’auteur d’une quinzaine de pièces qui ont été mises en scène dans son pays et alentour. Ses textes ont été traduits dans de nombreuses langues (anglais, allemand, français, espagnol, turc, bulgare, macédonien, slovène, croate, etc.). La Guerre au temps de l’amour a notamment été éditée par l’Espace d’un instant. Son texte La Démolition de la tour Eiffel a été présenté à la Fabrique éphéméride en 2010. Fondateur du Multimedia Center de Prishtina en 2002, il a également été directeur artistique du Théâtre national du Kosovo de 2008 à 2011.


Contexte

Ancienne province serbe dont le territoire est peuplé à majorité d’Albanais, le Kosovo a proclamé son indépendance le 17 février 2008 après plusieurs années de conflit interethnique. Les populations serbes et albanaises doivent désormais cohabiter dans une paix fragile. A l’été 2010, deux ans après la proclamation de l’indépendance, et à l’initiative de l’association Kulturanova (Serbie) et du Multimedia Center (Kosovo), une équipe de journalistes part à la rencontre des habitants du Kosovo, serbes et albanais, et s’entretient avec eux des rapports entre les deux communautés respectives, les interroge sur leurs perspectives d’avenir dans un présent encore incertain. Cette rencontre a donné lieu à une exposition de photographies à Prishtina et Novi Sad, intitulée « Regards : histoires personnelles des Serbes et des Albanais du Kosovo ». En 2011, Jeton Neziraj et Milena Bogavac vont puiser dans cette exposition et utiliser les témoignages recueillis par les journalistes comme matériau pour l’écriture de leur pièce Patriotic Hypermarket. Le texte est créé la même année au Bitef Teatar de Belgrade (Serbie), sous la direction de Dino Mustafić (Bosnie), et coproduit par l’association Kulturanova de Novi Sad et le Multimedia Center de Prishtina.


Présentation du texte

Patriotic Hypermarket est un texte dramatique composé de vingt-neuf tableaux très courts, dans lesquels apparaissent une vingtaine de personnages/témoins qui pourront être interprétés par six comédiens.

Pour seul décor, un caddie de supermarché autour duquel se jouera une performance très visuelle.

Il n’est pas question ici d’un récit linéaire, mais de fragments d’histoires personnelles enchevêtrés à la grande Histoire. Les différents témoignages nous plongent dans une rétrospective des événements de 1989 à 1999, ce qui confère au texte son caractère documentaire. Toutefois, les parties référentielles sont tout à fait accessibles à un public francophone et touchent également un public d’adolescents en posant la question du « vivre ensemble ». La guerre est bien évidemment très présente dans ce texte, mais si elle en est l’un des principaux ressorts, elle n’en est pas pour autant le sujet. Les personnages, des anonymes, des petites gens qui parfois sont dépossédées de leur nom, sont issus de la réalité d’un nouvel Etat qui se construit sur un champ de ruines. Ils sont tour à tour victimes, bourreaux, témoins et acteurs d’une société en transition. Et les scènes de racisme qui rythment leur quotidien ne vont pas sans nous rappeler les maux de nos sociétés occidentales.

Jeton Neziraj et Milena Bogavac écrivent un théâtre qui a un intérêt tant par sa force, par les interrogations scéniques qu’il pose, que par le portrait de l’humain qui y est fait. Dans une langue poétique et rythmée, l’homme y apparaît, certes, marqué au plus profond de son intimité par la décomposition de son univers. Mais dans le portrait qui est fait de lui, même si l’angoisse règne, une pulsion de vie prend le dessus.

Karine Samardžija.

18 septembre 2013
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