Le cabinet de curiosités littéraires

C’est ainsi que j’ai rebaptisé le « cabinet d’histoire-géographie » du collège Rosa Bonheur, petite salle située au deuxième étage du collège, dans laquelle je me suis installé au début de la résidence. Entouré de salles de cours, différent de celles-ci par ses dimensions, sa fonction, et désormais par son mobilier, son contenu, ce cabinet de curiosités concrétise ma présence dans le collège. A l’instar des cabinets de curiosités de la Renaissance, j’aimerais en faire un véritable lieu de surprises, d’observations et d’émotions, offrant à la curiosité des visiteurs une entrée ludique dans le monde de la littérature : des mots dans des bocaux, des phrases suspendues, des acrostiches affichés, des textes, des livres, de quoi lire, écrire, dessiner… J’aimerais en faire un lieu chaleureux et convivial. Les élèves l’ont déjà repéré comme tel, puisqu’ils viennent m’y retrouver, pour faire connaissance, me proposer un texte, me poser une question, voire pour me confier un secret, ou tout simplement pour être là, entre deux cours, dans cet espace hors-cadre, espace de liberté et de création.
Je suis touché par la délicatesse avec laquelle ils franchissent le seuil, signe de l’importance qu’ils accordent au lieu. « C’est où, chez Luc Tartar ? » ai-je souvent entendu dans le couloir au début de la résidence, question qui se décline en « C’est lui ? » ou « Il est là, l’auteur ? » Ma présence soulève beaucoup de questions, des plus anodines aux plus importantes, celles qui semblent susciter en eux bien des réflexions : « Pourquoi vous écrivez ? » ou « Comment vous faites pour travailler ? » Certains de mes visiteurs sont d’ores et déjà des habitués. Il y a cet élève, solitaire et isolé, qui me rend visite plusieurs fois par jour, laissant trace de son passage en écrivant au tableau blanc ou dans le « carnet des visites ». Il y a celle qui participe à toutes les activités, atelier d’écriture ou séance de lecture, avec une gourmandise qui fait plaisir à voir. Il y a cette autre, qui m’apporte régulièrement sa nouvelle, s’installant à mes côtés pour la travailler. Il y a toutes celles et tous ceux, enfin, qui viennent dans le sillage d’un camarade, pour le soutenir, glanant au passage quelques informations, et que je vois revenir par la suite.
Evidemment, il y a ceux qui ne franchissent pas la porte : ceux-là sont tout aussi touchants, dans ce qu’ils révèlent inconsciemment de leur pudeur, de leur retenue, par leur façon d’être. Je les vois dans l’encadrement de la porte, jeter un coup d’œil discret en passant, ou bien figés dans une attitude, un geste, parfois même échangeant un baiser. Je ne suis pas voyeur de ces instants, ils m’arrivent par bribes, par accident, lorsque je les saisis au vol, dans le brouhaha des interclasses. Mais ils m’éclairent sur la prudence, voire la méfiance, avec laquelle tout un chacun appréhende la littérature et le monde des mots.
Ma porte est ouverte. L’invitation à franchir le seuil, à sauter le pas, est bien comprise par tous. Je vais bien sûr au-devant des élèves et des professeurs. J’ai fait le tour des dix-neuf classes du collège pour me présenter et certaines de mes interventions ont lieu dans les classes elles-mêmes. La résidence est en cours. Je ne sais quels fruits elle portera. Mais ma présence, inattendue, est perçue de façon positive : « Est-ce que vous êtes là en lien avec les événements de la semaine dernière ? » m’a demandé un élève début janvier, juste après l’attentat contre Charlie-Hebdo. Et comme je lui demandais de préciser sa question : « Est-ce qu’ils envoient les écrivains dans les collèges pour redonner confiance aux élèves ? » Ainsi donc, passée la méfiance avec laquelle on l’appréhende, la littérature, et au-delà, l’art en général, « redonnerait confiance ». Je veux y croire. Et avec moi tous les élèves et les professeurs du collège Rosa Bonheur qui voient dans cette résidence l’opportunité d’accéder à un espace-temps dédié aux mots, à l’imaginaire, à la créativité, à la liberté.

Luc Tartar
6 avril 2015

Le site de la résidence : [http://www.ltrb.fr]

6 avril 2015
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