Journal épisodique et fragmentaire (vendredi 30 septembre)


Vendredi 30 septembre 2011


La semaine a très vite passé, marquée par deux événements importants mais qui n’ont rien à voir avec cette résidence : le vingtième anniversaire du Panta sous le signe de la fête et du bal des auteurs et la dernière des Magnifique, la fin beaucoup moins festive d’une aventure théâtrale assez unique et qui aura mobilisé mon énergie durant dix-sept années. Sentiment d’un désastre et souvenir d’une légende dont il faudra un jour raconter l’épopée. J’écris à un ami : l’Odyssée des Magnifique se termine par un échouage sur les écueils d’Ithaque et on espère quand même que notre vieux chien Argos sera toujours vivant et qu’il nous reconnaîtra.

Entre la joie et l’amertume, entre hier et demain comme entre deux terres qui font ma vie (Caen et la Maison d’Europe et d’Orient) je vais souvent me balader du côté de Lampedusa, rêvasser autour de la pièce dont les premières scènes commencent à s’esquisser. Je commence à écrire en dépit de la promesse que je m’étais faite de réserver les premières lignes jusqu’au début de la résidence, mi octobre, après mon retour de vacances. Déjà le décor se dessine. Il est peuplé d’images ; celles de la place Tarhir et celles de ces vaisseaux fantômes que les garde-côtes italiens arraisonnent dans la nuit, braquant leurs projecteurs sur la détresse des migrants. Comment oublier ces images ? Comment ne pas les laisser gouverner la pièce, imposer leur réalisme au détriment d’une poésie plus universelle ? Une savante composition à trouver, un équilibre délicat entre le vécu et le mental. Pour revendiquer la distance, je décide de conserver les prénoms vaguement mythologiques des personnages que j’avais d’abord choisis comme une simple commodité personnelle. La sœur demeure Isis. Le frère demeure Ouner, diminutif improbable d’Ounefer, autre nom d’Osiris et la femme médecin sans frontières de l’ile conserve le prénom de Nephti (tout aussi improbable.) Le mythe osirisien structurera la pièce, j’espère avec subtilité.

Je repense à la réflexion de Dominique dans un de ces messages : « les aiguilleurs du ciel, oui, je crois qu’il les faudrait mais aussi, le gardien du phare... » Alexandra, Alexandrie, la chanson de Claude François s’impose avec la même évidence que celle de Gloria Lasso, Etrangère au Paradis. Qu’est-ce que je vais faire de tout ça ? J’essaye d’entendre les personnages, d’approcher leur langage et la façon particulière dont ils communiquent à distance. L’idée de les représenter avec un téléphone à la main (ou avec un clavier s’écrivant des messages) m’est proprement insupportable. En imaginant la Mère, je me dis qu’elle devrait avoir l’accent et la douceur d’Andrée Chédid qui nous invitait à l’appeler Maman pour nous départir d’un Madame trop cérémonieux. Magnifique Andrée Chedid ! Je lui dédierai la pièce si elle tient ses promesses.

L’Egypte d’Andrée Chedid, je l’ai côtoyée dans Néfertiti dont j’ai signé l’adaptation pour le Tanit Théâtre mais il y a aussi celle du film de Youssef Chahine : Le sixième jour. Après Gloria Lasso et Claude François, Dalida s’invite à son tour. Comme personnage ou comme chanteuse, « étrangère au paradis » elle aussi, la chanson qui l’a révélée à Bruno Coquatrix et qui d’une certaine manière, a lancé sa carrière. Sa chanson Mourir sur scène me trotte insidieusement dans la tête. Le labyrinthe de la pièce se creuse avec ses couloirs souterrains. Qu’est-ce que je vais faire de tout ça ? Mais l’émotion ! L’émotion... Au commencement était l’émotion, selon la formule de Goethe reprise, je crois, par Céline.

Pour m’imprégner du climat égyptien, à défaut de relire le Voyage en Egypte de Flaubert (mais je le ferai sans doute) je picore dans Poil de Cairote de Paul Fournel. J’y trouve ce passage croustillant qui sans doute ne me sera utile en rien. Mais on ne sait jamais !

Les Egyptiens qui ont encore envie d’en rire ont trouvé un nom pour les femmes noires, celles qui bâchées de la tête aux pieds, qui portent des gants noirs et des chaussures noires. Ils les nomment les « boites aux lettres » à cause de la minuscule fente par où elles peuvent voir et par où on leur glisserait volontiers des messages. Celles que je préfère sont les boîtes aux lettres à lunettes.

1er octobre 2011
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