Interview Josyane

Josiane
Je veux avoir envie d’arrêter l’alcool.

Je pense - d’après mes souvenirs qui sont lointains mais qui restent néanmoins toujours ancrés dans ma mémoire - je pense que ça a commencé dans ma vie personnelle lorsque j’ai divorcé et me suis retrouvée seule chez moi avec mon fils. J’avais un travail régulier donc aucun souci, mais je pense que c’est la solitude, et puis, un peu tous les jours, pas à l’excès quand même.
Mais l’habitude s’est vite installée, avec un verre les soirs, et plus tard le week-end bien sûr, enfin plus souvent, et ce qui s’est aggravé c’est au niveau de mon travail, je consommais de l’alcool toute la journée, discrètement bien entendu, je cachais une petite bouteille dans mon sac, et à midi je m’installais dans un square sur un banc et je consommais de l’alcool.
Mes collègues s’en sont aperçus, eux aussi étaient discrets.
Tout ça, c’est sur une période de dix ans, on va dire, jusqu’au jour où un collègue m’a « dénoncée », c’était vraiment un mal pour un bien, auprès de l’assistante sociale qui est intervenue, et j’ai eu beaucoup de chance parce que mon employeur m’a également aidée pour qui je puisse être soignée, et j’ai suivi des ateliers.

J’ai vécu cette période pas bien du tout, je voyais bien que c’était mal, on n’est pas bien dans sa peau. Moi, personnellement, je sentais que c’était mal, mais je ne pouvais pas m’en détacher, je ne pouvais pas me détacher de cet alcool fort que je prenais du matin tôt et par intermittence dans la journée et le soir, je restais assise sur ma baignoire en attendant de prendre ma douche, j’ai eu deux ou trois soucis aussi dans les transports, mais on ne peut pas s’en empêcher.
Comment expliquer ? C’est un manque.

Dans un premier temps, l’alcool était une solution, c’est sûr, parce qu’on est bien après, c’est pour ça qu’on reprend encore et encore, on a toujours un verre à la main, j’ai commencé le matin, j’ouvrais mon réfrigérateur et hop, et c’était vodka orange et des rosés bien frais.
Et ça devient un problème quand ça commence avec l’attitude des autres personnes qui changent vis-à-vis de soi, parce que je pense qu’on a soi-même une attitude un peu différente, en tout cas en ce qui me concerne, c’est-ce qu’on m’avait fait remarquer au travail. Mais moi, je ne voyais pas.
Je voyais le regard des collègues et des amis aussi, mais ils n’osaient pas faire des remarques, même ma maman, elle a vraiment été très ennuyée pour moi.
Tout le monde savait, moi aussi je savais mais personne n’en parlait. À l’époque c’était tabou et ce l’est toujours un petit peu, surtout au boulot. On pense toujours que ça n’arrive qu’aux autres, et quand je travaillais je n’étais pas la seule, mais personne n’en parlait.
Jusqu’au jour où ils ont décidé de faire un progiciel, pour la sensibilisation à l’alcool et donc on pouvait déposer des textes, comme dans les ateliers d’écriture, et je mettais des textes, et j’ai vraiment eu du bon retour.
Personne ne me jugeait, au contraire, j’ai pu me libérer pour assister aux ateliers toutes les semaines auprès du médecin addictologue. C’est la parole qui s’est libérée. La première fois que j’étais allée voir l’assistante sociale, je pleurais et je lui ai dit :
Je veux avoir envie d’arrêter l’alcool. Je ne veux plus avoir envie de boire.
Je pleurais, franchement quand on dit une phrase comme celle-là, on est au bout du rouleau.

Après, peu de temps après, j’ai été prise en charge parce que je le souhaitais, par l’assistante sociale qui m’a dirigée vers un médecin addictologue et j’ai passé une douzaine de jours à l’hôpital et j’étais heureuse d’y aller parce que je sentais que j’étais courageuse de pouvoir arrêter cette envie. Donc, pendant douze jours, j’étais irréprochable, bonne élève.
J’ai pris du Valium.
Et comme je ne fumais pas, pour ne pas être isolée, j’allais dans la pièce où on pouvait fumer pour discuter avec d’autres patients, et donc j’ai passé douze jours à l’hôpital et j’en garde un bon souvenir.
Seule, je n’aurais pas pu. Même quand on me dit actuellement, je me soigne seul, je suis un peu dubitative.

Après l’hôpital, la vie était différente, ça c’est sûr.
Je suis rentrée, c’était un dimanche matin, comme ça, chez moi, mon sac sous le bras, et j’ai acheté, parce qu’il fallait bien quelque chose pour compenser, des grandes bouteilles de boissons sans alcool, bien sucrés, ce n’était pas bon du tout, du Ricard sans alcool, et pendant un certain temps j’en ai bu, je pense que le geste, le verre à la main, ça reste un certain temps. Et ensuite, j’ai basculé sur le coca-cola, pas mal de coca et des sodas, et je n’ai plus jamais repris l’alcool.
Ça fait quinze ans maintenant. Le premier essai, c’était le bon, quinze ans.

Par contre, mon fils, quand j’ai arrêté, il avait autour de vingt-cinq ans, il a bien attendu une année pour voir si je ne consommais plus d’alcool, pour être sûr. On en discutait très peu, même pas du tout. Je pense qu’il testait, pour être sûr.
Après, il pouvait venir à des réunions parce qu’il y avait des réunions parents-enfants, mais il n’est jamais venu, et maintenant, il me félicite.
Je pense qu’il en a souffert, comme les proches qui n’osent pas dire, mais ils en souffrent autant que nous, je pense.
Et après, je suis partie à la retraite.
Ce qui est très important, c’est d’être suivi, au moins une fois par semaine, j’ai fait des ateliers, l’atelier de l’écriture, l’atelier des senteurs, ça c’est primordial, être suivi pas mal de temps, il ne faut pas hésiter. Et on arrête le suivi ou presque quand le médecin le souhaite.
Ça peut durer longtemps. Et maintenant, je suis bénévole dans une association, et c’est aussi une façon de se soigner soi-même, donner aux autres. Mais enfin, maintenant, je préfère être de ce côté-là.

Aujourd’hui, je suis bien triste de voir les gens venir, c’est ça mon souci. Quand j’accueille une personne, ça me fait mal au cœur. Parce que je sais très bien que c’est difficile d’arrêter. C’est très bien de suivre un atelier ici, parce que ces personnes veulent s’en sortir, mais quand elles rechutent, ça me fait mal.
Dehors, quand je viens de chez moi jusqu’ici, il y a la publicité et les troquets, mais ça, je ne le vois plus. Au début, c’était difficile.Par exemple, quand j’étais invitée à un mariage, je voyais bien, il y avait l’alcool qui circulait partout, et on ne peut quand même pas s’empêcher d’y penser, parce que c’est gravé.
En ce qui me concerne, je ne pourrai plus jamais boire une goutte d’alcool. Si je bois une seule goutte, je rechuterai, j’en suis certaine.
La consommation contrôlée, ce n’est pas pour moi. Je n’y crois pas, moi, à ça.
Parfois j’ai une petite crise d’angoisse, alors je prends un Xanax, mais ce sont des angoisses de la vie quotidienne, ça n’a rien à voir avec l’alcool. Mais bon l’eau… J’aime bien quand c’est un peu sucré quand même…

Maintenant je participe à un atelier qui consiste à construire un roman, dont une fiction, ensemble, avec un écrivain.
Je ne suis pas une grande lectrice, mais c’est par coups de cœur, j’achète des livres comme ça, un peu comme ça vient, parfois ça peut être la publicité à la télé, mais pas des livres spécialement sur l’alcool, pas du tout.
Ce que j’aime, ce sont des livres sur la vie des gens, les biographies. Mais là, je suis en train de lire un roman, dans le RER, je lis, et la je m’y remets, je m’y remets.
Sous alcool, je n’ai rien lu du tout. Le matin, je me préparais, j’allais travailler, et le soir, je prenais de l’alcool et hop je dormais, la journée était finie.
Moi, l’alcool, ça me faisait dormir, et c’était ça l’objectif, oublier le temps.
Ce qui est difficile, c’est Noël, je n’aime pas spécialement Noël, et c’est difficile parfois, mais bon…
Je ne suis pas la seule…
Ce sont des souvenirs qui ressurgissent.
C’est possible que c’est cette nostalgie-là qui fait que nous sommes plus sensibles à l’alcool.

Alors, cet atelier, un peu particulier, est très enrichissant.
Moi, ce que j’aime bien, c’est toujours pareil, les autres personnes qui participent racontent leur expérience, et j’apprécie, j’aime beaucoup écouter. J’écoute. Des fois, c’est un peu ardu, pour moi, mais, j’en ai vécu aussi, comme si ça me gênait, de parler des personnes en tant qu’alcoolique, parce qu’ils sont alcooliques.
Je me mets tellement à leur place que ça me gêne, ça me fait mal au cœur, c’est comme l’enfant dans notre livre, le fils, dont on a parlé la dernière fois, si lui aussi commence à boire, ça c’est dur.
J’ai du mal à faire la différence entre la fiction et la vie, mais ce n’est pas grave.
Et j’admire la facilité avec laquelle ensuite nos paroles sont rédigées dans un texte littéraire, d’après les petites discussions quand on a à chaque atelier et qui enrichissent ensuite le roman.

Cette difficulté, de faire la différence entre la fiction et la vie, c’est l’hypersensibilité. J’imagine que les personnages dans la fiction sont des vraies personnes. Mais ça, ça a toujours été comme ça. Quand je faisais l’atelier d’écriture, je n’inventais pas, c’était moi. C’était moi, le personnage. C’est pour ça aussi que j’ai du mal à lire des romans, mais là, je me force un peu.
Il faut se plonger dans l’histoire, en réalité.
Nous avons une certaine incapacité de nous défendre contre le monde, mais il faut se dire, c’est un roman. On peut alors tout dire, dans un roman. C’est ça, oui. Je commence à comprendre.
Il faut avoir de l’imagination, aussi.
Notre projet, c’est du vécu et de la fiction, c’est les deux, mélangés.

1er février 2019
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