Extraits de « ...et vous autres, essuyez-vous les pieds !  »

Raymond par Geneviève et Marie-Claude
Pas de nouvelles, incompréhension, questionnement...
Te rends tu compte qu’a notre corps défendant nous dépendons de toi, de tes initiatives auxquelles je commence àcroire ?
Brieuc, Emma et Bernadette sont sous le choc, ils croient que tu t’es confiée a moi et ils viennent me voir a tour de rôle.
Mais je ne sais rien ! Et mes commandes doivent avancer, j’ai peu de temps a leur consacré.
Comme moi, ils essayent de faire face aux engagements pris et je ne les abandonne pas complètement.
J’avoue ! Je change ! Parce que je n’ai pas de nouvelles de toi, parce que tes amis se montrent plus volontaires que je ne le pensais et qu’ils me font de la peine.
Eux se sont engagés et s’y tiennent, mais toi qui nous tourne le dos, tes engagements, tes responsabilités, tu en fais quoi ?
Tu vois, c’est ça la différence : ta génération, vous vous croyez tout permis, "la liberté", ce mot, vous le mettez a toutes les sauces, aucune obligation envers qui que ce soit, encore moins avec votre famille !

Emma par Sawsan et Frédéric
Depuis le départ de Camille, l’éclat de son regard n’est plus le même.
Je le vois, prostré dans son fauteuil, quand je lui annonce que nous avons décidé de reprendre le travail. Il est revenu àla vie le vieux, ses yeux ont brillé en me regardant. Un éclat soudain, presque un éclair, j’ai eu un choc. Je ne l’ai jamais vu aussi beau le Raymond. Beau comme l’odeur du frêne quand il finit de sécher.
Je me sens toute conne.
Je ne sais plus quoi dire… Le serrer dans mes bras ? Il le prendra mal…
Quand j’ai décrit sa réaction àBernadette et Brieuc, j’ai bien senti leur émotion.
Toute une nuit passée ànous interroger, ànous dire « on arrête  », « c’est foutu  », l’envie de se laisser glisser au fond d’un trou. Et le silence de Bernadette, c’était ça le plus inquiétant. Elle qui a l’habitude de penser àvoix haute, de commenter tout et n’importe quoi, elle me faisait rire aux larmes ! Là, elle ne disait plus un mot. Quelle déprime…

Bernadette par Agnès et Chantal
Heureusement qu’elles sont là, mes petites vieilles, Mamie Rose, Madame Jeannine, Mémé Lucie, avec leur visage qui s’éclaire quand elles me racontent leurs histoires ! Sans elles, sans ces 4 heures àl’épicerie-buvette en week-end, je n’aurais rien d’autre dans ma vie que les bassins àvider aux Tilleuls. Ah cette Mamie Rose, agrippée àsa canne, on dirait ma pauvre Mémé avant son attaque : mauvaises jambes mais bonne tête, toujours le sourire, prête àdonner un coup de main ou un bon conseil.
Tu te souviens de Mémé quand elle t’apprenait àfaire la potée avec les choux du jardin et un gros morceau de lard ? Et pendant que çàmijotait, elle te racontait des histoires de quand elle était petite, son mariage, la naissance de Papa. Ou bien c’est toi qui lui racontais tout ce qui te tracassait, les devoirs pour l’école, les disputes avec les copines. Mémé, elle avait dà» arrêter l’école encore plus tôt que toi, elle n’avait même pas le certif. Alors on rêvait ensemble, c’était comme un jeu, on imaginait ton avenir. Un jour médecin, un jour avocat, un jour ingénieur. Même un jour pilote de chasse dans l’Aéronavale !

Brieuc par Corinne et Claudine
En tous cas, aujourd’hui, je ne sais pas comment faire pour dire la vérité àCamille. Plus exactement, pour lui dire ma vérité. Que cette année n’est pas perdue, qu’il faut prendre le temps, que je ne lui en veux pas, qu’elle ne nous a pas trahis. Que les autres sont partis et il faut les comprendre. Moi je suis resté, sans aucun mérite. Égoïstement, j’ai aimé ce temps suspendu, sans autre contrainte que de veiller sur Raymond et d’aller chaque jour avec lui travailler au jardin, et le soir apprendre àAdrien la géométrie et les perspectives.
Cette liberté là, détachée des contingences, c’était facile. Mais maintenant il va falloir que je dise le fond de mon cÅ“ur, que je commence par m’avouer àmoi-même àquel point Camille compte dans ma vie.
Je sais que dire ces mots peuvent me mettre en danger, me mettre en pleine lumière et c’est tout ce que je déteste.
Etre en marge, c’est mon espace de confort, je m’y applique pour ne pas être englouti dans le banal et l’obligé.

20 février 2015
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