Extrait scénarisé : Je sais que tu es là

SQ1.INT/NUIT - SQUAT DANS UNE STATION D’EPURATION DESINFECTEE AU BORD DE L’OISE(PONTOISE)

La pièce est quasiment vide. Seul un matelas en piteux état, troué et tâché est collé au mur du fond.
Il ne reste que trois murs à la pièce, le quatrième mur ayant totalement disparu et ouvrant l’espace sur le reste de la station d’épuration : des dizaines de bâtiments en ruines reliés par des ponts et balustrades rouillés et décrépis. Tout l’ensemble est quasiment entièrement ensevelis par de la mauvaise herbes, de la mousse et par les branches énormes et difformes des arbres environnant qui projettent des ombres inquiétantes sur les murs.
Un vent fort se fait entendre et semble réveiller la station : les ponts grincent, les portes claquent, quelques fenêtres se brisent. Et toujours le cliquetis de l’eau qui coule des différentes fuites.

Au fond du squat, juste à côté du matelas, un jeune homme d’une vingtaine d’années est affalé contre le mur. Il porte un t-shirt blanc délavé et une veste rouge. Son pantalon de velours marron est déchiré en plusieurs endroits. Son visage est maigre et pâle. Des taches brunes couvrent ses jours et lui confèrent un air malade. Ses dents sont jaunies et tachées elles aussi. Il est chauve.
Le jeune homme serre et desserre ses poings à intervalles réguliers et crispe ses mâchoires en serrant les dents régulièrement.
Le jeune homme garde toujours les yeux écarquillés et ne cligne presque jamais. Il regarde frénétiquement autour de lui comme si il était aux aguets.
Plus le temps passe, plus sa respiration s’accélère. Il jette sa tête en arrière et pousse des petits gémissements qui ressemblent à des pleurs.
Il se met, soudainement à murmurer quelques choses tout en continuant à regarder autour de lui.

ELI
(Chuchotant puis hurlant)

Je sais que tu es là.
Je sais que tu es là
Je sais que tu es là
(…)
JE SAIS QUE TU ES LA !
MONTRE LA TA SALE GUEULE !

Des petits cliquetis se font alors entendre. Comme le bruit de griffes qui courent rapidement sur du béton.
Eli semble de plus en plus terrorisé. Il se colle un peu plus au mur et écarte les bras contre celui-ci. Pendant tout ce temps, il continue de crisper sa mâchoire.

VOIX MASCULINE
(Désacousmatisée)

Tu es tout seul ?
(…)
Le vent semble nous parler quand nous sommes seuls

Plus la voix parle plus les bruits de griffes se font entendre. Elle semble venir de partout et nulle part à la fois.

Tu n’as personne ?
Tu n’as vraiment personne…

Le bruit de pas vient de la gauche. Eli tourne la tête à gauche
Le bruit vient de pas la droite. Elie tourne la tête à droite.
Soudainement une ombre énorme est projetée sur le mur de droite. A sa vue, Eli se met à hurler et se lève, allant se coller au mur de gauche, trébuchant à moitié sur le matelas.

L’ombre projetée dessine les contours d’une créature informe à l’aspect de serpent mais surélevée par quatre minuscules pattes. Ce qui semble être la tête de la créature est beaucoup plus épais que le reste du corps. Des énormes globes oculaires dépassent de chaque côté et sa mâchoire s’ouvre sur plusieurs petits dents pointues.

Le mur de droite possède un très gros trou à côté duquel Eli est collé. Il tourne doucement la tête pour regarde à travers et voit la créature le fixer de ses énormes yeux.
Elle mesure environ deux mètres de long et sa peau ressemble à un mélange de cuir noir et d’écailles humides.
Eli retourne la tête et ferme les yeux. La créature passe très tranquillement à travers le trou, frôlant le jeune homme.
Alors qu’il garde les yeux fermés, la queue de la créature s’enroule autour de sa poitrine [plan moyen buste] et le serre de plus en plus fort. La respiration du jeune homme est de plus en plus pénible.

La voix se refait entendre. Elle est grave et se veut faussement rassurante. Le débit est très lent.
Plus la voix parle plus la queue de la créature se resserre autour d’Eli

LA VOIX MASCULINE
(Désacousmatisée)

Il ne faut pas avoir peur.
Si tu es là c’est par ta faute.
(…)
Je n’ai jamais demandé à être là, moi.
On m’y a mit sans me demander mon avis.
Sais-tu combien l’avis d’un être tel que moi compte peu ?

(Un temps)
Pourquoi venir chez moi si tu as peur ?

Le jeune homme est au bord de l’asphyxie. Il se met alors à hurler et ouvre les yeux.

[Montage Cut dans le plan/élargissement du plan : plan demi ensemble]

Eli a les bras enroulés autour de sa poitrine. Son visage est crispé et il semble faire un effort surhumain pour serrer. Il pousse un gémissement de plainte et de douleur.
Il finit par se balancer doucement en desserrant son emprise.
Il laisse ses bras ballant et penche la tête en avant. Il semble exténué
Soudainement un bruit de feulement le fait sursauter.
Collé au mur d’en face, au bord du vide, un chat noir à poil semi-long le regarde avec agressivité, les oreilles complètement penchées. Il continue de grogner et feuler.

Eli fixe le chat un instant puis se met à hurler tel un ahuri. Son hurlement se transforme peu à peu en fou rire.
Le jeune homme tente de se remettre de ses émotions quand une douleur à son bras droit l’interpelle.
Au niveau de l’intérieur de son coude, sa veste est comme bombé et une tâche rouge foncée s’étend.
Il enlève alors délicatement sa manche tout en poussant des petits gémissements de douleur.
Son bras est presque entièrement couvert de taches brunes et de traces de piqures. Une aiguille cassée et ensanglantée est à moitié enfoncée dans le creux de son bras. Eli sort de sa manche le reste de la seringue. Il la regarde un instant puis la colle contre sa poitrine. Il ferme les yeux, l’air apaisé.

[La caméra effectue un léger pano sur la droite]

Une matière visqueuse et noire s’étale sur les parois du trou et s’étend sur plusieurs mètres après le trou.

Le chat, qui s’est calmé, tourne la tête vers l’extérieur et fixe son attention sur le fleuve qui s’étend derrière les derniers arbres de la station. Son cour n’est pas tranquille et semble avoir été dérangé par quelque chose.

Solweig Cicuto

2 avril 2017
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