Douceur

Douceur

Ce que l’on ressent de la douceur. On ressent et on est bien. C’est agréable la douceur. On veut que ça continue.
On a toujours aimé ça. Depuis le temps de la mémoire, on a aimé ça. Pas facile de se souvenir des évènements. Mais les sensations, oui. Notre mémoire fonctionne comme ça. On ressent « agréable », on continue, on recherche encore… On ressent « désagréable », on arrête, on ne veut plus.
Et la douceur, c’est agréable !
La douceur c’est sur la peau d’abord. La peau c’est nous, avant tout, tout le temps. On ressent avec la peau. L’eau qui glisse, enveloppe, porte, tout autour. L’eau c’est nous, sans être nous. L’eau est douceur. Chacune des zones aquatiques offre la douceur glissante. De la nappe épipélagique, lumineuse et chaude, aux couches bathypélagiques, hyperbares et oniriques, tout est douceur pour nous. La température, tout comme la pression, est une indication, pas une sensation. L’eau froide/avant c’est doux. L’eau chaude/maintenant c’est doux. L’air n’est pas doux, l’air pèse notre propre poids. L’air assèche, craquèle. Pourtant on est attiré par l’air, par ce monde-là vertical. On ne sait pas pourquoi, étrange, différent. Il faut sortir de l’eau pour connaître.
La douceur on la ressent par la perception des vibrations, des fréquences, des rythmes. Les Verticaux offrent parfois de douces vibrations, bien rythmées, lorsqu’ils sont dans l’eau et nagent calmement. Mais chaque fois que l’on veut sortir de l’eau pour voir, toucher les Verticaux -ils sont si doux au toucher- ils projettent immédiatement de très désagréables vibrations. Plus aucune douceur, et il faut arrêter les désagréables vibrations émises lorsqu’ils nous voient, que leur si petite bouche s’ouvre tout grand pour éjecter, cracher, expulser, lancer ces cris/plaintes qui transforment douceur en peur/douleur
On la ressent aussi, la douceur, à la vision de l’obscurité absolue. Lorsque la nuit est noire, noire, que l’on demeure au fond de l’eau sombre, tout au fond d’une cavité qui nous enveloppe et nous protège, dans la mort de la zone aphotique, les yeux grands ouverts qui captent toutes les nuances du sombre qui coule, nous soulage, comme avant.
La douceur vient aussi du soleil, de la lumière qui se cache au travers des premières couches des eaux d’été. Lorsqu’il joue à la limite entre le vent et l’eau, entre la clarté et violence…
La douceur est électrique, elle traverse la gelée conductrice des ampoules de Lorenzini qui parsèment la périphérie de notre ample gueule et génèrent une sensation à rien égale. Quelques microvolts de délicates et tendres caresses qui dessinent au cœur même de notre cerveau une envie, un frisson, une vision en prise directe qui plonge ses racines mécaniques au sein de l’igue qui nous recueille dans sa pâleur, faisant de nous un rêve harmonieux.
Bien sûr, on ressent la douceur dans notre bouche. La perception de la chair qui doucement se laisse broyer sous nos dents innombrablement acérées. Les sucs qui s’en échappent, nourrissants, encore un peu vivants avant d’être infusés.
Parfois il arrive que l’on ressente un goût extrêmement désagréable. L’eau devient un ennemi nocif, vénéneux, corrompu. On ne sait pas pourquoi. Mais plus on sent qu’il y a de verticaux, plus l’eau est toxique. Pourtant on sait que ce ne sont pas eux qui ont ce goût-là. Ils sont douceur dans la bouche, agréable.
La douceur se glisse parfois ailleurs, on ne sait pas où dire, c’est étrange. Elle ne vient pas de l’extérieur, elle est dans nous. Un sentiment, pas une sensation. Une douceur triste (?) mélange d’immobilité solitaire et de souvenirs espoirs.

Philippe Aspord

20 février 2017
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