nous suffisait l’urgence | poèmes d’Ingrid Bringas

La publication de ces poèmes d’Ingrid Bringas se fait en partenariat avec le site de poésie marocain Electron libre. Pour lire la version originale du poème, il suffit de cliquer sur le titre




La mémoire du feu

Avant nous ne savions pas voler nous avions les yeux pleins de sable
dieu a créé l’insomnie terrible
les chauves-souris
il y a des lieux qui se souviennent de ce que nous sommes
nuque galop du cheval
or je ne reconnais pas son geste
son chant serein
avant d’apprendre à voler nous apprenions les grandes paroles que d’autres
disaient
et nous suffisait l’urgence de l’amour et du vol



Rien ne m’a été étranger

Nous perdons trace de nous-mêmes
sens de nous-mêmes
diaspora
nous avons une pièce en notre sein
un cœur de porc, un lieu peuplé de morts et de vivants
une terre qui toutes ces années nous a ensevelis pleine de songes terrifiants
de rires d’une fête qui jamais ne prend fin
je les entends crier avec leur peau orangée face au soleil
et leur question est :
qu’as tu déterré de toi durant toutes ces années ?
mon troisième œil me dit que jamais je n’ai été seule
que seul ce qui reste est trace de nous-mêmes
(exil exil)
de ce que j’ensevelis rien ne devra mourir



Animaux domestiques

Nous avons toujours été ces animaux domestiques
ces chats vicieux dansant sous la pluie
nous semblons si humains derrière le mur
derrière le jardin qui nous a vus nus
archaïques
nous avons toujours été ces animaux domestiques
qui apprirent à écouter hurler le cœur contre l’oreille des autres
nous sommes la poussière
la puanteur du sexe
la danse en ses sables mouvants
animaux domestiques qui écrivent des télégrammes à leurs amis suicidaires
nous, animaux unis par la même côte
par le même manifeste sauvage que seul dieu sait
le sifflement de la ville est aussi une cicatrice qui se souvient de nous
une poignée électrostatique
nous nous dévorons les uns les autres
les pommes, les yeux verts
confus nous dévorons comme les premiers dieux
en me léchant les lèvres je me dis chaque lundi que nous sommes
des animaux domestiques


Ingrid Bringas, née à Monterrey en 1985, a collaboré à plusieurs sites et revues de poésie, est publiée au Mexique et en France ( éditions cartonnières), est créatrice et éditrice de la revue Cosmonauta. El Edad de los Salvajes a paru en 2015 aux éditions Montea.

Traduction : Lucie Taïeb.

27 janvier 2016
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