Sylvain Jamet | Galop

Photographie : Azzedine Allaoui




Histoire d’une œuvre

Un homme vit à côté de son œuvre
vit dans l’ombre portée, dans le vide glacé de son œuvre absente.

L’œuvre d’une vie dans le rêve de l’œuvre, près de quoi l’homme vit couché,

qu’il respire, qui le berce sans mains,
qui le console sans joie.

L’œuvre énorme. L’homme petit. À force,
aussi transparent qu’elle.




Histoire d’un homme

J’ai connu un homme, une fois, qui ne savait rien faire sans son corps.
Il le suppliait de rester mais le corps a dit : non

non
non




Une histoire d’ombres

Le voisin a fait construire une piscine pour personne.
Il la laisse vide et, à vingt heures,

le soir la remplit d’ombre.

Le voisin n’a ni femme, ni enfant pour nager dans l’absence d’eau chlorée,
ni fantôme de femme ou d’enfant

pour flotter dans l’absence.

Le voisin est seul et méticuleux. Il ne sort jamais.
Il a peut-être servi, allez savoir,

dans une autre guerre.




Galop

Un cheval plus un cheval font
un cheval,

le même mais décliné en deux
robes distinctes,

deux
points séparés de

l’été.

.

Nous sommes deux
fois deux jours plus tard,

puis dix.

Un cheval soudain ne
s’égale plus lui-même.

.

Un cavalier sort
dans le pré,

l’air emprunté avec sa bombe
et sa cravache ridicule.

Il chevauche l’Un, qui se divise
au premier virage

puis s’éparpille.

.

L’ombre dans laquelle
le cheval entre

avec sa foule n’est plus du tout
celle d’un pommier,

mais
le dévore.

.

Dix fois dix jours plus tard

nous existons par

diffraction

et plus trop sûrs non plus
d’être nous-mêmes,

quand le pré s’ouvre un matin
sur l’absence des chevaux.




Histoire d’Yeux et de Mains

Vous pourriez toucher un oiseau de vos yeux
et le faire dévier lentement de son vol.

Vous pourriez être un oiseau dévié de son vol
lentement, fermement, par des Yeux.

Un oiseau plus ou moins vivant jusqu’à ce que des Mains s’en saisissent,
tentent de le soigner, de le nourrir, maladroitement, fermement.

Puis l’oiseau meurt. Vous pourriez n’être, rendez-vous compte,
que la moitié d’un oiseau mort,
parce que les Mains vous auraient divisé.

Vous pourriez ne poursuivre qu’à moitié votre course,
incessamment dévié mais allant quelque part,

moitié ressuscité et moitié mort, certain
d’avoir perdu quelque chose (mais quoi ?)

à votre façon encore (d’une certaine façon)
un oiseau

14 septembre 2025
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