Philippe Ripoll / l'abri-livre
écriture en milieu pénitentiaire

« Opération » initiée par le Ministère de la Justice, relayée par le Service d’Insertion de Probation de l’Eure, cofinancée par la Direction Régionale des Affaires culturelles de Haute-Normandie et organisée par Comellia (Coopération des Métiers de la lecture, du livre et de l’audiovisuel en Haute-Normandie)

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remue.net a déjà publié des dossiers concernant les ateliers d'écriture en milieu pénitentiaire
nous proposons ci-dessous l'approche de Philippe Ripoll, ainsi que quelques extraits anonymes de textes résultant de son atelier d'écriture
à télécharger : un abri-livre pour le livre errant (PDF) , présentation complète du travail de Philippe Ripoll, "une expérience siocio-littéraire en prison"
en supplément : un atelier vaut par l'écho, le trouble, la transformation qu'il induit chez celui qui l'a conduit - c'est, après coup, la raison de ce texte Tous en boule au pied de la porte, écrit par Philippe Ripoll
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NOTA: "Ce projet en est à la phase éditoriale. Selon la règle, l'édition sera soumise à l'autorisation de l'Administration pénitentiaire. C'est pourquoi, par précaution, les extraits publiés ci-dessous préservent l'anonymat de leurs auteurs.
Du même coup, cet anonymat de précaution engendre ce territoire d'expérimentation souhaité pour une lecture entrecroisée des productions de détenus et de celles de "l'écrivain", sans distinction. Toutefois, l'édition finale garantira l'intégrité de chaque texte et de chaque signature."

 

Que peut le poème dans la cité, voilà la question de départ. Et que peut la cité, à l’intérieur du poème ? deuxième question, non pas renversée, mais seulement creusée à partir de la première.
Tout un abri-livre pour donner consistance à cette question, qui ne peut être appropriée, annexée ni par l’écrivain, ni par une quelconque instance, ni par les « vrais gens » qui ont cherché à faire leur livre.
Au fond, qu’est-ce qui s’est passé ? quelqu’un qui s’est présenté comme écrivain a eu l’opportunité de rentrer dans une prison, de proposer aux détenus ainsi qu’aux personnels le projet d’écrire – quelque chose qui ferait exister le mot livre. Un certain nombre de détenus ont gravité autour de cette proposition, puis quelques-uns s’y sont engouffrés. « L’écrivain » a continué son propre travail à l’intérieur de son fichier nommé « Ecrire, respirer ».
Qu’est-ce qui s’est passé pendant ce temps-là, pour les uns et pour les autres. Qu’est-ce qui s’est passé dans ce qu’on appelle « le poème » ? et c’est quoi ce nom-là. Autant l’avouer tout de suite : c’est une approximation – poétique, philosophique, sociale – pour désigner cette attention soutenue à la vie du langage qui tient chaque parlant en haleine sur sa condition vivante de parlant.
Peut-être y a-t-il une fantastique nostalgie dans l’emploi de ce mot, puisqu’il porte tout le patrimoine génétique des littératures et s’avance pourtant comme quelque chose de dévasté, d’abandonné.
Et cependant, le mot poème garde profondément sa nature de « fabrique ». Il garde une relation avec « l’avenir », avec « l’inaccompli », avec un quelque chose qui reste à faire, sur la scène du langage.
Qu’est-ce qui s’est donc passé, sur cette scène de langage dont on a planté la tente dans un centre de détention ?
Une lecture à construire
Cet abri-livre donne à lire des entre-deux, textes à construire par les lecteurs dans les creux de l’interaction « objective » entre des productions de détenus et une production d’écrivain. La pulsion comparative, idiote mais inévitable, s’amusera à créer des palmarès, à les renverser, à inventer des génies, à s’ennuyer de la fonction poétique, à s’émerveiller du « réel » sociologique, ou inversement. Les scènes sociales du jugement – littéraires et socio-éducatives – trouveront matière à légitimer d’un côté, et renvoyer à néant de l’autre. C’est idiot, mais inévitable. Deuxième temps, la lecture pourra s’intéresser simultanément aux deux natures de l’objet (comme aux deux faces d’une même pièce) : sociale et artistique.
Même si, comme tout « animateur d’atelier d’écriture », j’ai eu parfois d’intenses émotions sur le plan strictement poétique et littéraire vis-à-vis de certaines productions de détenus, à aucun moment mon intention n’a été d’attendre d’eux des textes d’écrivains ni de développer une « didactique » d’écriture. Je n’ai pas non plus cherché à rassembler des « documents sociaux », je ne suis ni journaliste, ni ethnologue : chaque contribution de détenu est le résultat d’une relation d’écriture avec moi visant à chaque fois à construire un quelque chose qui pourrait être son livre à l’intérieur de l’abri-livre. Alors quoi ?
Que sommes-nous capables d’entendre ? qu’est-ce que j’ai été capable de comprendre de ce qu’ils m’ont donné, ou parfois retiré ? qu’est-ce qu’ils sont capables de recueillir de ce que je lance ? et de quoi êtes-vous capables, vous, témoins devenus personnages centraux de la lecture ?
Et au-delà, que sommes-nous capables d’entendre de notre attention soutenue au langage, du poème de cette attention ?
Tout l’intérêt de cet abri-livre, si intérêt il y a, est là : dans l’ouvert, dans l’inachevé de cette question, dans cette nécessité de construire une lecture dans les interstices de nos capacités et de nos incapacités.
Philippe Ripoll

bio et biblio de Philippe Ripoll (cliquer fort!)

1 – LA DANSE DU LIVRE (extraits)
Le temps partagé, et, dessous, un langage qui couve.
Au creux de l’oreille on susurre des mots doux, provisoires, délicats.
Et on plonge dans l’abîme que le langage creuse quand on s’avise de parler.
L’écriture nue est un viol, une perversion, un meurtre.
Sa place jusqu’ici ressemblait à celle du modèle en peinture, mais au lieu de poser devant moi, nue, à telle date, selon telle fréquence, c’était sa vie, sa vie de corps auprès de moi qui constituait en quelque sorte son temps de pose.
Est-il des mots à hauteur de ces corps splendides et uniques qui peuplent le cœur de l’errant ? Et lorsqu’un seul être rassemble toute la beauté en son multiple, y a-t-il seulement un langage océan qui se plierait aux couleurs de cet être unique – ciel , infiniment ciel ? La nuit s’enfonce dans des sommeils d’argent où les fêtes solitaires psalmodient le nom de l’aimée. Bientôt au cœur du vide, le dormant hisse les voiles de telle femme qui palpite dans ses reins et ses rêves, et le vent, tout aussi femme, le guide assurément. C’est tout un monde qui sort de ses mains tournées aux embruns dits de l’amour, et fût-elle loin, cette femme, en vérité, tout la rapproche des côtes intimes du voyageur. Le voilà, ainsi, qui dort, au plus profond des paroles, dans la nuit claire où s’exposent nus les désirs hommes à dire « femme » –celle-ci, ceinte du collier sonore de son nom, et ainsi, toute une nuit.
Crime au départ du poème. Le chant poétique a pour fond obscur le viol : l’usage violent de la femme.
De vivre si souvent auprès de vous, j’ai un jour formé le désir d’écrire sur vous.
Sur chaque partie de votre corps.
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

2 - FEUILLE BLANCHE (extraits)
Feuille blanche – excuse – mes mots, la pression de mes doigts sur le stylo, il est mal, il écrit, tu es belle – tu étais propre – maintenant tu es enceinte de mes mots, c’est un acte d’amour, et celui-ci n’est jamais propre – ce n’est qu’un plaisir, ce qui compte, n’est-ce pas ce que tu cherches, belle feuille ? tu es généreuse ! je comprends que tu ne veuilles pas rester aussi blanche, propre – neutre – sans connaître le plaisir, celui d’écrire, simplement écrire, et tu aimes quand – ça vient – comme ça.
Je t’aime comme un homme avec une femme. Mais avec toi, il y a le silence ! ! ! ! ! ! ! il pèse lourd. Tu es le bonheur, et le malheur de l’homme. eh oui, comme toujours ce n’est pas de ta faute. Et je sais pourquoi – parce que tu es enceinte des mots – de ceux que t’aimes pas.
Mais, moi non plus !
Mais tu étais présente, et j’étais là – et le stylo aussi.
Donc ne pleurniche pas, c’est ça d’être enceinte ma belle – et je suis le responsable. Ah ! oui, c’est juste ton expression de joie ! O.K – je comprends.
Et bien – c’est parti pour une longue histoire…
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

3 – THEATRE DE LA PRISON (extraits)
Tout à l’heure je vais en prison. Au bord de la prison, locaux administratifs. Pas encore besoin de papiers, d’autorisations. Rendez-vous avec le directeur. Dans la salle où se trouve deux maquettes de l’établissement.
Introduction verticale, par le haut. Par le plus haut possible : projet national, Ministère de la Justice. S’assurer de cette entrée la plus hiérarchique possible pour s’assurer la connexion avec le plus bas qui soit : les détenus, le crime, la peine, le temps immobile.
Pourquoi ça ? les raisons ?
Les raisons errent.
Cette entrée la plus hiérarchique possible pour s’aménager une entrée la moins morale possible. Y a-t-il autre chose que l’art pour travailler l’honneur de ne pas être moral.
Morale de gardes-chiourmes.
Mon numéro d’auteur à la SACD : 60485/15.
Qu’est-ce que j’ai fait ?
Quelle culpabilité ? quelle peine, quelle purgation ?
Cette intrusion narcissique.
Amadouer cette tentation.
Moi qui ai toujours voulu gagner mon innocence.
Symptôme : ce n’est qu’auprès de Dieu que j’ai pu parler de mon innocence. Seul le contact divin me fait approcher de l’innocence. C’est idiot mais c’est comme ça.
Mais c’était encore trop mentir. Si on ne dit pas, décrit pas les choses telles qu’elles sont, c’est le mensonge qui nous parle. L’infini désir de mensonge.
Il pleut, il pleut et il pleut. C’est la fin octobre.
Quand je suis seul à seul avec un de mes fils : je peux mesurer mon devenir. Plus de dix-sept ans pour calmer la faute d’être. C’est microscopique comme sensation. Dans le train, avec le fils qui me dépasse d’une tête, entouré d’un essaim de donzelles. A parler. Sans ce trouble lié au silence, à l’impossibilité de parler.
Le temps présent, dans le train, qui ne serait plus doublé par cet autre train : le passé du temps, l’ancienne faute, l’ancien malaise.
Il n’y a pas de plus grande splendeur que d’être père.
A l’intérieur de la prison, être prêt à parler de la pluie et du beau temps.
Ce matin, le jour se lève avec son paquet d’obscurité. Il y a ce public pris en otage à Moscou. C’était quoi, le spectacle qu’il regardait ?
Je ne vais pas rentrer dans une prison politique. Faire en sorte que chaque détenu devienne un prisonnier politique, disait Armand Gatti. C’est-à-dire redevenir sujet, gagner l’inaliénable de la liberté. On ne peut pas parler de souveraineté sans déboucher sur le sens politique. Faire quelque chose de cette ouverture qui s’opère dans la pensée. Conscience disait-on, ouverture de la pensée, dira-t-on aujourd’hui.
Je ne suis pas un aumônier, mais je vais rencontrer l’aumônier de l’établissement. les médecins et infirmiers.
Tout parcourir, les murs, les portes et les gens.
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

4 - KLELOS, SORTIE DE BOITE - (extraits)
Sortie de boîte une foule de personne n’a qu’une hâte, aller se faufiler dans le meilleur endroit qui puisse exister à cette heure-là, son lit, surtout après une douzaine de whisky coca, quelques dizaines de centimètres de fumette et des heures de pseudo danse. J’ai dit une foule pardon sauf une vingtaine de personnes qui ont envie de prolonger l’after d’une étrange façon, « Qu’est-ce que t’as à me regarder » crie Pepito, six mots si dangereux à cette heure-là, « Va te faire enculer » réplique un bon quatre-vingt quinze kilos, les deux amis de Pepito, Klelos et Face assistent à la scène, menaçants. « Attends ! » et Pepito se met à courir ses deux potes le suivent sans réfléchir Pepito arrive à sa voiture ouvre le coffre et sort un U en granit qui sert d’antivol pour les motos, Klelos ramasse une pierre de quelques kilos et voilà les trois qui se remettent à courir vers l’entrée, arrivés sur place une mauvaise surprise les attendait : le quatre-vingt quinze kilos s’était transformé en cinq cents kilos, ils étaient sept à les attendre, sous alcool ça ne change rien pour nos trois amis, « BAM ! » Pepito place un coup de U sur la tête du premier le sang a giclé tellement loin que Klelos qui était à quelques mètres en a reçu sur sa chemise, lui-même enchaîne un coup de pierre sur l’épaule du second qui est tombé comme une feuille morte, Face place un coup de poing sur la tête du troisième, on avait l’impression que rien ne pouvait les arrêter en quelques secondes ils ont allongé les sept lascars ces cons de videurs qui ont tout vu se sont décidés à réagir en aspergeant les trois compères de gaz lacrymogène et là même saoul on dessaoule vite fait, les trois ne savaient plus où donner de la tête ils ne voyaient plus rien criaient de douleur, les autres acteurs de la soirée regardaient ça comme un film ou une pièce de théâtre, après quelques secondes de douleur Klelos parvient à s’essuyer les yeux le temps de se retourner et les sept par terre s’étaient retransformés en une vingtaine de lascars courant vers lui affamés de sang on aurait cru un troupeau de bisons avec le nuage de fumée, dans une situation pareille nos amis ont une fraction de seconde pour choisir une des deux options qui se présentent à eux, se mettre en boule et attendre que ça se passe ou prendre ses jambes à son cou et ils n’ont pas traîné c’est incroyable la vitesse qu’on a dans ces cas-là les voilà tous les trois courant vers la lumière du péage qui se trouve à trois cent mètres de la boîte, le troupeau derrière leur jette dessus tout ce qui leur tombe sous la main, du bout de bois au portable sans pour autant les toucher, nos trois amis parviennent à les distancer de quelques secondes juste le temps pour Klelos d’ouvrir une porte au niveau du péage il s’infiltre dans une sorte de sas en verre il a toujours la pierre avec lui il regarde le gardien et le supplie presque de ne pas attirer l’attention sur lui, et pour la première fois de sa vie Klelos est content qu’on appelle les flics.
Pepito et Face ont continué tout droit vers l’obscurité, Klelos, lui, fait très attention de ne pas faire un bruit la vingtaine de sauvage tourne autour du péage proférant toutes sortes d’insultes il y en avait deux qui se chamaillaient, l’un reprochait à l’autre de ne pas les avoir attendu à la sortie.
De longues minutes passent, Klelos allongé par terre serrant fort sa pierre se refaisait le film de cette soirée il était dégoûté car il n’y était pour rien dans cette embrouille. Il reprochait à Pepito d’avoir créé une série d’événements malheureux juste avec quelques mots, dits à une heure qu’il ne fallait pas, à une personne qu’il ne fallait pas. Quand on est bourré on se croit invincible.
Soudain plus un bruit, à l’évidence ils avaient laissé tomber, Klelos tend l’oreille vers la porte il entend des bruits de chaussures claquant sur l’autoroute il lève la tête c’était Face il était content de le revoir sain et sauf il se leva donc et lui ouvrit la porte pour l’aider à se cacher malheur ! les bisons étaient derrière lui plus affamés que jamais, quasiment à sa hauteur, en voulant aider Face il s’est jeté dans la gueule du loup et c’est là que se présente la seconde option, quand on n’a pas le temps de courir on se met en boule et on attend que ça se passe, Klelos appelle ça danser la polka, le lynchage a commencé.
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

5 - « GEORGES WHITMAN BUSH » (à partir d'une lecture de Walt Whitman)
Il y a des moments où il faut laisser ce qu’on est en train de faire parce que quelque chose arrive. Mars 2003 nous arrive, on attend une déclaration du Président. On attend sa déclaration de guerre.
Ce n’est pas très nouveau, de laisser ce qu’on est en train de faire parce que quelque chose arrive. Je crois bien même que tous les jours c’est la même chose, on laisse ce qu’on est en train d’être parce quelque chose arrive.
Là où nous sommes il fait un soleil frais et les oiseaux naissent dans la partition du jour, ils font partie de ce qu’on a à chanter aujourd’hui. Chaque jour nous entamons un chant que nous ne savons pas clore à la tombée de la nuit. Et pourtant, nous le sentons bien, chaque jour a sa perfection, mais notre pulsion à contrer le jour au sein même du jour nous noie dans le désordre, dans l’entropie des jours et des chants.
Je suis un petit Français de rien du tout. Une vie obscure, tranquille, effacée, un confort moyen, très moyen, il suffirait d’une petite claque, d’une petite pichenette économique, familiale, ou d’une petite maladie mortelle, ou d’une soudaine affaire de justice ou je ne sais quoi encore pour faire de moi un Français du bas, et il y a maintenant si longtemps que nous nous sommes moulés dans le style dépressif que rien n’assure que je m’en sortirais mieux qu’un autre, dans cette vie basse.

(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

6 – LE LIVRE DES QUESTIONS (extraits)
A qui…
Qui ça peut bien intéresser ? mes écrits, mes mots, mes dires !
Je le fais quand même ! même avec mes doutes.
Suis-je capable d’un tel exploit ? faire comme les grands, écrire ce que les autres aiment lire.
J’ai peur de tomber dans le ridicule mais, je le fais quand même. J’écris !
Je sais. Je ne suis pas du monde d’en haut mais je ne vis pas non plus en enfer même si je ne connais pas le paradis, moi ! pauvre pécheur !…
Qu’est-ce que je peux dire qui n’est pas encore dit ?
Qu’est-ce que je peux faire qui n’est pas encore fait ?
A quoi je dois servir ? est-ce que je me comprends moi-même ?
Peut-être que oui ! puisque je le dis ! pas comme les autres ! mais comme les autres, je dis que le monde c’est nous, comme pour dire que la terre est ronde. La terre, ma planète.
J’y vis depuis longtemps et je me rends compte seulement maintenant que le chemin que j’ai emprunté ne mène à aucun boulevard – mais, je n’ai traversé aucun désert, puisque je n’ai souffert ni de soif ni de faim. Mais… de savoir.
Suis-je capable de me laisser lire ? ou de m’entendre dire que le savoir c’est quelqu’un d’autre ? et que ça, je devrais le savoir ? puisque je ne peux pas tout avoir ! Mais…
Je ne demande pas plus que ce que je dois avoir comme bagage, alors, qu’est-ce que je dois emmener d’autre ? le jour où je partirai. Ou alors, qu’est-ce que je dois laisser derrière moi ? qui ne doit embarrasser personne !
Je dois me garder intact en voulant changer quelque chose mais pas le monde. D’ailleurs, je ne sais rien de lui. Je crois même que je n’ai jamais cherché à le comprendre ou alors, on ne s’est jamais compris !
Suis-je capable de rester simple tout au long de mon discours ? ne vais-je pas ennuyer ta philosophe de vie ? tout le monde quoi !
Pourtant, je suis persuadé que quelqu’un écoute mes envies et envie mes désirs.
J’attends de savoir si mes écoutes sont comme des silences de respect. Mais… saurai-je un jour, ce que je dois savoir ? à qui je dois m’adresser ? et est-ce que j’aurai une réponse ? L’important pour moi c’est de savoir que je dois quand même faire ma propre démarche pour que la vérité puisse se dévoiler d’elle-même.
Suis-je capable de renoncer à tout, pour comprendre toute la complexité de mon existence ?
Je ne veux pas non plus envahir mon existence de trop de questions afin de répondre à l’essentielle ! mais vais-je la reconnaître ? parmi toutes celles qui me tiennent à cœur ? !…
Si un jour j’entends mes écrits résonner dans la bouche d’un semblable, je me dirai que quelqu’un essaie de me comprendre ? peut-être ? ou alors ! n’a-t-il rien d’autre à faire ?
Si quelqu’un me demande, mais, pourquoi écris-tu ça ? je lui répondrai quoi ça ? et s’il insiste, je lui dirais tout simplement que, du temps des encriers, j’étais absent, oui, j’étais toujours absent, mais !…
Heureusement, avec le progrès, l’encre est devenue moins salissante, et il y en a de toutes les couleurs, comme pour chaque sentiment de l’instant. Ou pour chaque châtiment.
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

7 - « GEORGES WHITMAN BUSH » 2 (extraits)
Il n’y a pas de premier mot.
Il n’y a que des premières bombes.
La guerre, celle-ci, illégale selon la fragilité du droit, légitimée à toutes forces par la force, l’intérêt et le mensonge, le mensonge à l’origine de tout.
De tout.
Nos paroles s’incurvent, glissent dans la poche de gravité des bruits de bottes, la parole défile dans la rue les pieds nus.
Une guerre est faite de mouvements .
A distance, dans la proximité mondiale, ces mouvements nous mettent en contre-mouvement, nous nous sentons agités. Par quoi vraiment ?
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

8 – ECRIRE POUR ME SAUVER LA VIE (extraits)
« Elle dit : « Antigone, Larissa et moi, nous écrivons depuis bien longtemps, mais tout ce que nous avons écrit aurait aussi bien pu se dire. Œdipe écrit des choses qu’on ne pourrait pas dire. Peut-être que l’écriture va devenir plus humaine que la parole. » Œdipe sur la route - Henry BAUCHAU -
A ce jour, le compte des semaines, des mois, des années passés loin du cercle familial, de ma terre ou d’une terre, loin de chez moi et loin de moi, me laisse songeur. Il m’impressionne par sa longueur, sa disproportion, quand l’exception devient la règle et que la règle ne veut plus rien dire. Parce qu’un trop long temps la règle n’a pas été entendue, n’a pas été comprise, n’a pas été assimilé. Quand la parole, jaillissant en flots bouillonnants, en torrents tumultueux que rien n’arrête, a tout ravagé sur son passage. Ne reste que le silence. Des mots pour rien. Des mots mal dit, mal exprimés. Non entendus. Non entendables.
Puis vint l’écriture. Puis vint la lecture … A moins que ce ne soit l’inverse. Mais est-ce important, Ecriture et Lecture ne vont-il pas de pair ? Nous lisons tous, mais nous nous différencions par le choix de nos lectures, et ce que nous en faisons. Qu’est-ce que nous faisons quand nous lisons ? Que recherchons nous ? Que trouvons nous ? Nous écrivons tous. Certains ne font qu’écrire dans leur tête. Cela leur est-il suffisant, où ne souhaitent-ils pas, ne peuvent-ils pas passer à l’étape suivante. D’autres écrivent des lignes, des pages, des tomes qui ne seront lus que par eux, n’intéresseront qu’eux. Qu’est ce que nous faisons quand nous écrivons ? Que recherchons-nous ? Que trouvons-nous ?
Je chemine vers mes quarante-cinq ans l’âme souffrante, blessée. Paroles, Lecture et Ecriture ont été pour moi des béquilles, des moyens de comprendre le monde et ce que je suis. J’ai parlé, j’ai lu, j’ai écrit pour m’apercevoir que tout cela n’était que des mots pour travestir une réalité indicible : la solitude. A cette solitude s’ajoute, à moins que cela n’aille de pair, une difficulté à communiquer évidente. Une difficulté à aller vers l’Autre. A aller à sa rencontre, le reconnaître pour ce qu’il est. Mais je vais un peu vite, car j’en suis déjà à la conclusion. Recommençons l’histoire. Relevons en les pics, les points remarquables, et voyons ce qu’ils veulent dire.

9 - « GEORGES WHITMAN BUSH » 3 (extraits)
Encore louvoyer ruser tromper feinter c’est avec l’esprit humain que nous combattons c’est contre lui contre sa volonté impérieuse de non-savoir et sa férocité de tout-savoir, contre sa volonté de pouvoir, d’accaparement.
Aucune guerre n’est comme les autres guerres. Celle-ci nous engage jusqu’à la fin de notre vie. Comment à l’intérieur de nous nous sentons ce virage et ce sale désir d’accident qui va avec, comment à l’intérieur de nous le monde nous sent.
Il faut intensifier la tranquillité. Toi là-bas plongé dans la honte de l’excitation guerrière, cette sale jouissance d’enfant, dans ta production hollywoodienne, repose-toi un moment ici, bois un peu, cette eau est tranquille.
Je ne parle pas pour rejoindre l’actualité mais pour m’en défaire, pour me défaire de ce costume qu’on m’enfile de force, je parle pour continuer mon travail d’homme, qui est un travail de traduction, le nom d’homme a besoin d’être traduit dans des langues qu’on ne connaît pas encore.
Que chacun donc raconte sa petite vie là maintenant, c’est le seul témoignage valable contre le mensonge de la guerre. Raconter sa petite vie c’est lutter contre son mensonge, c’est ça le travail du poème, non ?
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

10 – QUI ES-TU? (extraits)
Tout à coup, j’ai vu l’homme qui m’a donné du fil à retordre.
Ce jeudi soir, après une grosse fatigue, je vais me coucher plus tôt que d’habitude.
Je suis probablement entré dans une phase profonde et mon subconscient a pris le dessus. J’ai vu l’homme qui m’a donné du fil à retordre, pourtant, je n’avais pas du tout pensé à lui, de la journée.
Renaît cette question « Qui es-tu ? » Tout simplement, je lui réponds :
– « Je suis je ! je qui peut-être un jour te connaîtrai dans ta colère, dans ta bonté et sans oublier probablement dans ta frustration. Je suis celui qui peut être insolent, indifférent, inadmissible et incroyable.
Ce je que je crois connaître, et qui n’en est rien.
Ce je qui croit être un petit je, et cependant est un grand je majuscule, et incommensurable.
– Répondre à une question n’est pas toujours facile, surtout quand vous ne vous y attendez pas.
Je contre-attaque en lui disant :
– Mais pourquoi cette question que tu m’as posée : qui es-tu ?
– Tu n’as aucune obligation de me répondre si tu trouves ma question curieuse, ou embarrassante.
Je lui dis :
– je te répondrai, car j’estime que toute réponse mérite réponse. A fortiori… »
Et ! Subitement, je me suis fait réveiller en sursaut par un bruit venant de l’extérieur, et qui nous a coupé notre communication ! Après coup, je me suis rendu compte que c’était un rêve et ce rêve m’a paru presque réel contre toute attente.
Dommage, j’aurais voulu que ça continue.
Sapristi de bruit qui m’a réveillé !
Ce bruit n’est autre que Monsieur Pépé qui frappe à ma porte.
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

11 - « GEORGES WHITMAN BUSH » 4 (extraits)
Il est temps de lire ce matin un bout de Whitman
Alors je reprends
Whitman
je reprends
la Chanson des Occupations
je reprends
cette folie Whitman arrimée à la volonté des mots qui forniquent avec l’univers je reprends le poème politique de Whitman je reprends sa politique du poème son utopie sa dérive des continents c’est comme si le corps se tenait toujours à la racine du poème
Le poète dans le berceau du capitalisme dit j’apporte la valeur pure il ne divague pas ce bonhomme-là il a fait du commerce il a spéculé une affaire de maisons à Manhattan voilà exactement ce qu’il dit : « j’apporte ce que vous avez, dont vous avez tous besoin, Non pas l’argent, l’amour, les habits, le manger, l’érudition, mais bien mieux, Je n’envoie ni agent ni médium, n’offre nul représentant en valeurs, j’offre la valeur pure. »
Alors je reprends
Whitman
je reprends
la Chanson des Occupations
je reprends
cette raison Whitman bricolée avec le mot démocratie avec le mot en-masse
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)

12 – VOILA MA VIE. (extraits)
Je suis très content d’avoir écrit cette histoire qui m’a fait repenser à ma vie. J’ai été aidé par deux personnes que je remercie beaucoup. Sans elles, je n’aurais pas pu faire ce livre. Si vous le voyez pour le lire, je pense que ça vous fera un très grand plaisir. Et maintenant je vais finir ma vie encore pour quelques années. Je ne sais pas encore le temps que je vais vivre.
« Mon âme me dit : viens
Nous allons écrire des vers pour mon corps (nous ne faisons qu’un)
De manière que, si je revenais invisiblement après la mort
Ou très très loin d’ici dans le futur, dans d’autres sphères,
Et que je recommençais à chanter pour un groupe d’amis
(Tenant compte du sol, de la Terre, des arbres, des vents, du tumulte des vagues)
Je puisse poursuivre à l’infini, avec un sourire de plaisir
Et marquer ma propriété sur les strophes comme aux premières
Je viens de donner mon nom, ici maintenant, ma signature d’Âme et de Corps. »
Walt Whitman

A partir de la guerre, j’avais trois ans. Dans le Pas-De-Calais, il y avait des bombardements.
Tous les enfants ont été mis dans un train en direction de Paris. J’y étais. Ma mère était décédée et mon père était prisonnier de guerre.
Quand nous sommes arrivés à Paris, à la gare du Nord, c’était rempli de femmes sur les quais. Moi, je suis descendu du train et je ne savais où aller.
Une dame s’est approchée de moi et m’a demandé des nouvelles de ma famille. J’ai répondu : « ma mère, je ne sais pas où elle est et mon père, non plus. »
Je suis parti avec elle. Elle habitait près de l’aéroport du Bourget.
J’allais à l’école là-bas. Quand je sortais de l’école, je ne sais pas si c’était des soldats allemands ou américains qui me donnaient des gâteaux, des bonbons, des chocolats…et je rentrais vite. Ils me disaient : « n’aie pas peur, petit, on ne va pas te faire du mal. »
Je m’en souviendrai toute ma vie…
Un jour, j’ai vu mon père venir me chercher. A ce moment-là, il y avait des tractions et je suis reparti avec lui.
Comme j’étais bien avec cette dame, je ne voulais plus repartir. J’étais bien… et j’avais tout ce que je voulais.
Je me rappelle, elle avait une grande boîte en métal, pleine de chocolats. Il y avait un petit truc sur lequel j’appuyais et un chocolat tombait. Je le faisais souvent ! Quand la boîte était vide, elle la remplissait.
Comme elle était seule, son mari s’était fait tuer pendant la guerre, c’était un homme haut placé, un gradé de l’Armée, un colonel ou un capitaine, et qu’elle n’avait pas d’enfant, elle m’a adopté.
Cette dame-là, j’ai pensé que c’était ma mère.
(extrait des textes écrits lors de l'atelier d'écriture, nom retiré)