appel Breton : dossier de presse

retour page Breton

en tête / Julien Gracq : "Le surréalisme est à la portée de tous les inconscients"

C'est le surréalisme qui nous a dit le temps qu'il faisait à notre époque, je veux dire la configuration de nuages plus ou moins orageux qui s'assemblait en nous tous. Lorsqu'un recul de quelques dizaines d'années nous livrera la parenté profonde des oeuvres si disparates de l'entre-deux-guerres, c'est en lui probablement qu'il faudra retrouver le climat où baigne la poésie de notre temps, à travers lui que passera le lien qui unit non seulement Char à Michaux et Prévert à Ponge, mais encore Fargue à Saint-John Perse et peut-être même Céline à Giraudoux. Malgré la condamnation formelle qu'il a portée contre elle, il aura déterminé pour la poésie de notre temps la plus spécifique des variations spontanées, il aura été la sève de l'arbre et le pigment même de la peau. Personne, ou presque, ne reconnaît plus son appartenance au surréalisme, mais chacun, ou presque, la trahit au coin de son oeuvre [...] "Le surréalisme est à la portée de tous les inconscients", disait autrefois un tract surréaliste... Julien Gracq

 

bilan d'une vente, par Michèle Champenois dans Le Monde du 19 avril

La photo en finale de la vente Breton
Vendredi 18 avril 2003
(LE MONDE)
Durant dix jours d'enchères, l'Etat a préempté 335 des 4 100 lots, en majorité des pièces majeures provenant de l'atelier de l'écrivain surréaliste.
Si André Breton a beaucoup appris chez les Indiens Hopis, en Arizona, comme en témoigne le carnet de voyage où il notait ses observations, il n'a pas retenu en tout cas leur méfiance à l'égard de la photographie, voleuse d'âme. Le nombre de portraits de l'écrivain, posés ou subreptices, images composées ou clichés d'amateur, en groupe, ou seul, est significatif de cet intérêt. On les a vus lors de la dispersion de 1 500 lots durant les trois derniers jours de la vente qui, du 7 au 17 avril, pour 4 100 lots, aura obtenu un produit total de 46 millions d'euros (avec les frais), soit 50 % de plus que les estimations annoncées. Ces portraits, conservés 42, rue Fontaine, témoignent de la place que le surréalisme accorda dès ses débuts à cet art nouveau qui autorisait à la fois l'instantané et la manipulation, le collage et l'irruption du rêve, l'empreinte immédiate et la composition. La franchise avec laquelle le futur écrivain regarde l'objectif, quand il pose en habit militaire, ne faiblit jamais, au long des années, même quand l'artiste s'appelle Man Ray, Cartier-Bresson, Isis, ou Sabine Weiss. Symbole de cette confiance dans la magie de la chambre noire, un portrait de 1922, réalisé par Man Ray, de Breton maquillé, appuyé contre un tableau de De Chirico, L'Enigme d'une journée (adjugé 58 000 euros), donne le ton. Autre indice, André Breton est le premier à insérer des photographies dans le cours du texte de certains livres, non qu'il doute de sa capacité littéraire, mais pour faire partager au lecteur l'expérience d'un roman-objet. Préemptées par le Centre Pompidou, les photos de Boiffard qu'il insère dans Nadja ou celle d'un tournesol par Man Ray (Cette espèce d'hélianthe, 1934, adjugé 80 000 euros hors frais soit dix fois l'estimation) qui illustre L'amour fous ont les jalons d'une manière de traquer le réel. Ainsi la photographie, également pour l'Amour fou, par Man Ray de cette cuiller en bois avec un petit soulier pour support, a été emportée à une enchère plus élevée (23 000 euros hors frais) que l'objet lui-même, préempté par le Centre Pompidou, lundi 14 avril. Même si rien d'inconnu n'est apparu dans le rassemblement photographique proposé, ce sont les choix esthétiques précoces d'André Breton et de ses amis qui sont, plus que jamais, confortés et confirmés. Man Ray, bien sûr, Raoul Ubac (Penthésilée, 1937, adjugé 95 000 euros), Claude Cahun la mystérieuse, Manuel Alvarez Bravo, découvert au Mexique en 1938 (Parabole optique, 1934, adjugée 130 000 euros), et surtout Hans Bellmer. PLANCHES DE PHOTOMATON Toutes les estimations ont été largement dépassées pour ces tirages colorés des années 1930 de La Poupée, jusqu'à un record mondial pour cet artiste, à 185 000 euros hors frais, tandis que deux autres compositions de la Poupée, mannequin brisé près d'une chaise, étaient préemptées, à des montants moins élevés, par le Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Un acheteur étranger avait lancé le mouvement en offrant jusqu'à 185 000 (plus les frais) pour une version rare de la Poupée rouge dans un sous-bois qui laisse apparaître l'ombre d'un homme dissimulé. Mais les simples planches de Photomaton où le groupe surréaliste s'exposait les yeux clos pour illustrer, de Magritte, Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt, ont eu un sort non moins enviable, partagé entre musées et particuliers... La nuit, André Breton dormait peu. Il lisait, écrivait et souvent, déplaçait les objets qui dialoguaient dans son atelier, parmi les livres et les tableaux. "La rue Fontaine, c'était un texte immense qu'il avait mis quarante ans à écrire et il vivait à l'intérieur de l'œuvre. C'est cela qui vient d'être démantelé et ça me bouleverse, dit l'artiste Jean-Jacques Lebel, ami de la famille depuis l'exil new-yorkais où, enfant, il fréquentait la même école que la fille de Breton, Aube. Mais ce qui me révolte, c'est qu'on mette en doute la sincérité et la générosité de sa fille, car je sais tous les efforts faits, dans les années 1980, pour qu'il en soit autrement. Pour que l'on crée un lieu, qui n'aurait pas été un musée, mais un laboratoire de la pens&#! 233;e créatrice." "Le génie du surréalisme, rappelle Jean-Jacques Lebel, cette nouvelle façon d'usiner, c'était qu'il n'y avait pas d'auteur. C'est le collectif qui crée l'œuvre. Jusqu'à il y a peu, beaucoup de choses, les cadavres exquis par exemple, n'avaient pas de valeur pour les musées parce qu'il n'y avait pas de nom, pas d'étiquette... Cette subversion de la pensée dominante, le refus des catégories, les institutions n'en voulaient pas." Ce témoignage d'un proche, recueilli juste avant les dernières enchères, celles des arts primitifs, dans la soirée du jeudi 17 avril, résume aussi la confusion de sentiments qu'inspire cette épreuve, à la fois un immense succès pour le surréalisme et sa confrontation avec l'univers quantifié du règne marchand qu'il rejetait. Entre émerveillement et désarroi, la vente-marathon du 42, rue Fontaine s'est déroulée sur dix journées, selon une organisation impeccable réglée par les commissaires-priseurs, Laurence Calmels et Cyrille Cohen, en accord avec Aube Elléouët : ferveur des nombreux visiteurs venus découvrir l'univers privé d'un artiste qui avait voulu, avec ses complices, abolir les frontières entre l'écriture et l'expression plastique, enthousiasme des collectionneurs et des marchands, emportés dans des enchères constamment emballées, baroud des opposants venus exprimer à haute voix les protestations recueillies depuis trois mois sur Internet... En contrepoint, on notait la présence active des représentants de l'Etat préparés à intervenir pour enrichir les collections publiques comme l'avait promis le ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, r! épondant tardivement aux inquiétudes légitimes de ceux qui voyaient s'annoncer un formidable ratage. PIÈCES D'EXCEPTION Les chiffres sont impressionnants : sur 4 100 lots qui ont attiré 2 000 enchérisseurs, l'Etat a préempté, pour des musées nationaux ou des bibliothèques et des musées municipaux, 335 lots (dont 222 pour les livres et manuscrits), ce qui est beaucoup. Comme il s'agissait souvent de pièces d'exception, cela représente, en valeur, plus du quart du produit total de la vente : 11,8 millions d'euros (hors frais) sur un total de près de 40 millions (hors frais), 46 millions avec les frais. Lors d'une concertation préalable entre les grandes institutions, le choix avait été fait, nous a précisé Alfred Pacquement, directeur du Musée national d'art moderne au Centre Pompidou, de mettre l'accent sur les pièces majeures. Si l'Etat a dû renoncer à certaines préemptions souhaitées, il en a réalisé la majorité, certaines de première grandeur : trois des quatre enchères les plus élevées (Arp, Picabia, et Man Ray) entrent dans les collections publiques, tandis que le grand Miro (adjugé comme Arp 2,5 millions d'euros) n'était pas jugé prioritaire. Côté livres et manuscrits, c'est la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet (Le Monde du 15 avril) qui rassemble l'essentiel des œuvres préemptées, à commencer par le manuscrit d'Arcane 17, auxquels s'ajoutent, sur les 148 lots qui lui reviennent, les documents et objets (le gant en bronze, la boule de voyante, et la série des dessins de Nadja). Ils viendront compléter l'immense correspondance de l'écrivain, dont il avait lui-même décidé la destination après sa mort. Les exégètes pourront s'interroger encore sur le sort qu'André Breton aurait aimé réserver à son atelier, creuset d'affinités esthétiques. Le hasard, qu'il a longtemps traqué, a repris la main. Michèle Champenois Vient de paraître : 42, rue Fontaine, l'Atelier d'André Breton. 14 photographies de Gilles Ehrmann, texte de Julien Gracq. Editions Adam Biro. 40 p., 38 €.

La dispersion de l'atelier du 42, rue Fontaine, à Paris Livres et manuscrits : du 7 au 12 avril, 1 692 livres et 532 manuscrits ont été vendus pour un montant total de 8 384 460 euros (7 116 610 hors frais). Préemptions : 215, dont 128 pour la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. Record : manuscrit complet et relié d'Arcane 17(1944), à 848 072 euros. Numismatique, arts populaires : Le 14 avril, 118 lots de monnaies anciennes (83 558 euros) et 323 lots d'arts populaires (727 908 euros) ont été adjugés. Tableaux modernes : Les 14 et 15 avril, 233 tableaux ont été dispersés pour un montant total de 26 399 272 euros (22 910 300 hors frais). Préemptions : 44. Records pour l'artiste : Jean Arp, Femme, 1927. Adjugé 2 807 372 euros (2 500 000 hors frais). Préempté. Victor Brauner, l'Etrange Cas de M. K, 1933. Adjugé 792 092 euros (700 000 hors frais). Préempté. Clovis Trouille, Religieuse italienne fumant la cigarette, 1944. 277 076 euros (240 000 hors frais). Photographie :du 14 au 17 avril, 1 500 photographies ont été vendues pour un montant total de 5 324 534 euros (4 455 050 hors frais) Préemptions : 44 Records pour l'artiste : Hans Bellmer, la Poupée (lot n0 5046), 1936. Adjugé 215 498 euros (185 000 hors frais). Raoul Ubac, le Triomphe de la stérilité ou Penthésilée, 1937. Adjugé 114 315 euros (95 000 hors frais). Arts primitifs : le 17 avril, 95 lots de documentation et 150 objets d'Amérique et d'Océanie ont été dispersés pour un montant total de 5 092 550 euros (4 327 400 hors frais). Préemptions : 9 Record de cette série : Statue "Uli", Nouvelle-Irlande, adjugée 1 239 932 euros (1,1 million hors frais).


 

 

 

la Société des Gens de Lettres de France (SGDL) contre le dépeçage Breton

La Société des Gens de Lettres de France et ses milliers d'adhérents auteurs de l'écrit, s'élèvent vigoureusement contre le projet de vente aux enchères du musée privé d'André Breton et de ses trésors. Une telle dispersion, si elle avait lieu, ne ferait que démanteler et saccager un lieu "magique", que le devoir de l'Etat est au contraire de préserver tel qu'il a été légué à notre mémoire littéraire. Elle n'aboutirait qu'à l'amputation de notre propre patrimoine artistique, dont la singularité est la composante essentielle de notre spécificité culturelle. Ce lieu de vie et de création, ensemble inestimable d'objets d'art, de dessins, fragments et autoportraits, témoins du rayonnement dans le monde du mouvement surréaliste, appartient à notre collectivité nationale, et ne saurait être dépecée, éventuellement hors de France, au profit des plus offrants. Notre Société y veillera avec la plus extrême rigueur.
Alain ABSIRE, Président de la Société des Gens de Lettres de France

Maurice Nadeau : le Surréalisme, ce truc ringard
" La partie étant jouée, avec quel brio ! les pièces du puzzle sont remises à la disposition de nouveaux joueurs. "
De quoi s’agit-il, et qui me donne un coup ?
D’une " vente publique ", c’est-à-dire aux enchères, c’est-à-dire à l’encan, de tout ce qu’André Breton avait réuni, sa vie durant, chez lui, 42 rue Fontaine.
L’information m’est parvenue, comme à tous mes confrères. Aucun, à ma connaissance, n’en a fait état. André Breton ? Vous connaissez ? Le Surréalisme ? Ah, oui, ce truc ringard.
D’accord, bien qu’admirateur d’André Breton, je me suis permis d’être impertinent. D’accord, il n’a pas été gentil à mon égard, jusqu’à honnir mon nom dans ses Oeuvres complètes. D’accord, en 1945 il était un peu tôt pour constater une certaine fin d’"histoire du Surréalisme", mais où était-il, alors, Breton ? D’accord, je viens de publier le procès-verbal d’Alain Joubert sur la dissolution mouvementée du Mouvement. Mais penser que tout ce qu’avait choisi André Breton pour enchanter son existence 42, rue Fontaine, penser que tout cela, qui nous aussi nous a fait rêver, va finir à la criée, est-ce que, vraiment, cela ne vous fait rien ?
"Chacun pourra acquérir selon ses moyens", nous dit le dossier de presse", une œuvre :
parmi les 400 tableaux, dessins et sculptures lui ayant appartenu " ... de Arp et Brauner et Duchamp à Tanguy en passant par Lam et Man Ray ",
parmi les 1500 photographies qui constituent " la mémoire photographique du surréalisme ",
parmi les 3500 ouvrages "vêtus pour la plupart de papier cristal ", ouvrages des amis, ou dédicacés par des personnages illustres, d’Apollinaire à Léon Trotsky...
parmi les 500 dossiers de manuscrits, du dossier de Nadja à ceux des jeux surréalistes, des Cadavres exquis...
parmi les 1500 objets océaniens et amérindiens...
parmi une " petite collection de cannes ", de cent bénitiers bretons et " plusieurs dizaines de moules à hosties ", sans compter " un coffret des Alpes, une collection de bouteilles moulées, une grenouille tabatière, une carapace de tortue "...
À vos poches !
Quant à ceux qui, aux maigres moyens, ne pourront se procurer un de ces tableaux, manuscrits, ouvrages, objets, il leur restera la consolation d’acquérir un CD-Rom où seront réunis dans " une juxtaposition brutale, sur une galette de celluloïd, sans hiérarchie ni préséance, du grand et du petit, du célèbre et de l’inconnu, du public et de l’intime, et qu’on parcourt au hasard des index et des moteurs de recherche..." Le fin mot de la technique et le fin mot de l’histoire. " Sur une galette de celluloïd " ! On ne pensait tout de même pas que cela finirait comme ça.
Maurice Nadeau.
© La Quinzaine littéraire, n° 844, 16/31 décembre 2002.

Les vases brisés
par Philippe Lançon, Libération, vendredi 10 janvier 2003
----------------------------------------------------------------------
Au cours de sa vie, André Breton acquiert puis entasse, dans son appartement parisien de la rue Fontaine, une série d'oeuvres et d'objets impressionnante; par la quantité, la qualité, et surtout la vivante définition qu'elle donne du surréalisme. On y trouve entre autres des tableaux du Douanier Rousseau, de Miro, de Magritte, de Picabia, des obets et des masques africains ou indiens qu'il fut l'un des premiers à remarquer. Mais faire l'inventaire, c'est déjà commettre un contresens sur ce qui forme un tout et reflète une personnalité. L'appartement de Breton n'est ni une collection, ni un musée: c'est le cabinet d'instinct et de sensibilité d'un homme de goût. Il semblerait que, trente-sept après sa mort, les ayant-droit de l'écrivain n'aient trouvé aucun organisme, d'Etat ou privé, pour le prendre en charge. En avril prochain, ces objets et ces oeuvres seront vendus publiquement. L'intimité cohérente de l'artiste va se dissoudre dans de très bonnes affaires. Breton surnommait Salvador Dali par son anagramme: Avida Dollars; les Avida Dollars attendent aujourd'hui paisiblement sa dépouille. Ce ne serait qu'une fin de partie ordinaire si elle ne portait atteinte à ce qui fit l'esprit même du mouvement surréaliste, et dont l'appartement de la rue Fontaine est le meilleur témoignage. Breton est avant tout un amateur révolutionnaire de beauté. Son oeil et sa sensibilité repèrent infailliblement les tableaux, les photos, les masques, les statuettes, tel ou tel objet quotidien que sa forme ou les circonstances rendent magique. Leur cohabitation fait l'essence même sa pensée; elle en révèle le mécanisme et la sensualité: s'y unissent le rêve et l'existence, l'aventure et le quotidien, le hasard et l'habitude, l'amour et l'orgueil, le parapluie et la machine à coudre (mais, comme il s'agit de Breton, le plus jaillissant des parapluies et la plus étrange des machines à coudre). "Changer la vie", c'est d'abord cela: faire sauter les vieilles barrières; rapprocher, par une perception instinctive et infiniment cultivée, tout ce qu'une rationalité frustrante et une habitude molle nous commandent de séparer: serviettes de soie sauvage et torchons de lin au vent. L'appartement de Breton navigue avec fureur entre vénus imprévues et chevaux lâchés; il fond les catégories: il donne à voir le coeur surréaliste, tel qu'on peut le découvrir dans son Dictionnaire abrégé. Dans un monde où le goût s'aplatit et où l'utilitarisme se répand comme lèpre en catacombes, la conservation et la mise en valeur de l'appartement de Breton ne serait donc pas un acte de gardien du temple vieillissant ou d'obsédé de la taxidermie: mais, tout simplement, une manifestation collective de liberté. Quatre-vingts écrivains et universitaires ont déjà signé une pétition. Mais il est à craindre qu'au printemps, les vases communiquants ne soient brisés, et leurs fleurs, jetées un peu, beaucoup, à la folie, à l'or du temps.
(© Philippe Lançon / Libération - reproduit avec son autorisation)

l'article de Michèle Champenois dans Le Monde, 22/12/02

Le musée privé d'André Breton aux enchères
Toute sa vie, le chef de file du surréalisme français a accumulé, dans son appartement de la rue Fontaine, à Paris, des livres, des tableaux, des sculptures, des ∫uvres d'art primitif, des objets du quotidien glanés un peu partout... Un ensemble devenu mythique, qui sera mis en vente au printemps.
Au printemps de 2003, la vie et l'atelier d'André Breton sortiront de l'ombre et défileront durant plusieurs jours dans la clarté éphémère d'une salle des ventes, à Paris, à l'Hôtel Drouot.
Avec trois semaines d'exposition et un catalogue encyclopédique à paraître en février, l'adjudication par l'étude Calmels-Cohen durera du 1er au 18 avril. Trente-six ans après la mort du meneur de jeu du surréalisme, dans l'appartement du 42, rue Fontaine, à Paris, où il vécut de 1922 à 1966.
L'événement peut être considéré comme une ∫uvre en soi et il semble que ceux qui le préparent, experts et organisateurs, galeristes et collectionneurs, dans le cadre généreux des volontés de l'héritière, la fille de Breton, Aube, agissent en ayant pleinement conscience de dévoiler un ensemble devenu mythique. L'annonce de la dispersion aux enchères du trésor de la rue Fontaine n'a pour l'instant soulevé aucune polémique. On sait que les initiatives prises pour une conservation globale n'ont pas abouti, mais que des achats et des donations importantes ont déjà eu lieu ; d'autres sont en discussion.
Déjà, le grand mur de l'atelier où Breton composait, avec livres, sculptures, peintures, photographies, selon les correspondances intimes qu'il décelait entre ces éléments, un tableau vivant de ses panoramas intérieurs, a été recueilli dans le patrimoine national grâce à l'action de plusieurs directeurs successifs du Musée national d'art moderne. Il figurait dans "La révolution surréaliste", l'exposition organisée début 2002 par Werner Spies au Centre Pompidou, et cette pièce résume à elle seule la manière dont l'appartement tout entier était habité, à la fois par son hôte et par les éléments, savants ou naïfs, bruts ou élaborés, signés ou anonymes, d'une ∫uvre d'art qui englobait toutes les formes d'expression.
La rue Fontaine monte vers la place Blanche, au pied de Montmartre. Au 42, un couloir longe un petit théâtre arts déco. Dans la cour, l'appartement est "au deuxième étage et demi", comme le notait Breton dans un pastiche de reportage en 1959. L'atelier, deux pièces principales, hautes de plafond, n'est pas grand et donne sur le boulevard de Clichy. Jusque dans la salle de bains où étaient accrochés les petits bénitiers trouvés aux puces, tous les murs disponibles étaient couverts soit de livres, soit d'objets et de tableaux. Les vitrines d'oiseaux de paradis, les collections de cannes ou de moules à gaufre, voisinaient avec les toiles de Wilfredo Lam, de Tanguy, de Miro, de Picabia ou de Chirico, côtoyaient les figures d'art océanien ou des Indiens d'Amérique, notamment les masques Haïdas de Colombie-Britannique, que Breton, l'un des premiers à s'intéresser à ces mondes, à Paris d'abord, puis à New York durant la guerre en compagnie de Claude Lévi-Strauss, sut regarder d'un ∫il neuf. Quelque 150 ∫uvres d'art primitif, d'où l'Afrique est quasi absente, en témoigneront dans la vente, dont la première acquisition du jeune bachelier, un objet de l'île de Pâques. Les rencontres avec les peintres collectionneurs viendront ensuite.
De nombreux écrits, Nadja (1928), L'Amour fou (1937) et les textes Manifestes du surréalisme ont insisté sur le rôle "catalyseur" de la trouvaille, sur l'inlassable désir d'être surpris par les rapprochements que des objets, anodins ou rares, pouvaient faire naître dans l'esprit que celui qui les choisit, sans savoir immédiatement pourquoi, et sur le travail poétique qui s'accomplit à l'insu du chineur, inventeur de sens cachés.
DISPOSITIF PROTECTEUR
Conservés pieusement dans leur arrangement final par Elisa, la veuve d'André Breton, disparue en 2000, et légués par celle-ci, pour compléter la part qui lui revenait, à Aube Elléouët, fille du poète et de Jacqueline Lamba, l'appartement et son contenu ne sont pas restés silencieux. Ils ont reçu des chercheurs, nourri les travaux de l'édition dans La Pléiade (le quatrième volume est achevé) sous la direction de Marguerite Vionnet et fait l'objet d'un film de Fabrice Maze, produit par le Centre Pompidou en 1994. Au-delà, la conservation sur place n'était pas possible, et la configuration de l'endroit rendait pratiquement impossible l'ouverture au public. D'où la décision de mettre en vente, non sans un dispositif protecteur : le choix de Paris (ce qui permet aux institutions publiques de se manifester) et d'une étude qui officie à Drouot-Richelieu, au coeur de la rive droite pré-haussmannienne où les surréalistes, de passage en passage, de café en vitrine, ont su lire la ville dans le texte. Ces décisions confirment le souhait, exprimé par Aube Elléouët, que la plupart des collections puissent rester en France et que tous puissent y avoir accès. "A côté des oeuvres prestigieuses dont certaines sont évidemment destinées aux musées, il y aura aussi des petits prix", précise Marcel Fleis, expert pour les tableaux, soit 400 numéros.
La production d'un cédérom, à prix raisonnable, proposera un inventaire complet, sans négliger les pièces les plus modestes de cette vente exceptionnelle, et offrira une visite virtuelle de l'atelier, avec toutes sortes de liens et de croisements, indiquent Laurence Calmels et Jean-Michel Ollé, ancien de Bibliopolis, qui le réalise. Le catalogue servira aussi à diffuser ce qui a pu accompagner et inspirer, tout au long de sa vie, le chef de file du mouvement surréaliste.
"J'espère que ce sera l'occasion de reconsidérer l'homme lui-même, note Claude Oterelo, libraire d'ancien, expert pour les livres et les manuscrits. On a beaucoup souligné son intransigeance, une certaine dureté. Certaines dédicaces démentent cette impression. Je pense à Genet, qui lui a fait un envoi très chaleureux et dont il a toujours défendu l'oeuvre. Il s'est fâché, on le sait, avec beaucoup de ses amis, mais on trouve encore dans la bibliothèque (peut-être les avait-il oubliés) deux ou trois ouvrages que lui adressa Aragon. Et si l'absence de littérature érotique est notable - il était pudique, mais sûrement pas coincé -, Breton est le premier à avoir défendu Molinier, qu'il exposa à Paris dans les années 1950." Le fonds photographique, très divers, comprend près de 1 500 documents où figurent bien sûr Man Ray, Hans Bellmer, Raoul Ubac, Brassaï, Alvarez Bravo, Claude Cahun. On sait le rôle que jouèrent les photographes dans la galaxie surréaliste, leur présence dans les grandes expositions manifestes et, en contrepoint au texte, dans certains livres de Breton. Son environnement immédiat en témoigne.
Dans la bibliothèque (3 500 ouvrages) voisinent roman noir et littérature populaire, sciences occultes et philosophie, à côté des livres dédicacés de ses contemporains (de Freud à Apollinaire, en passant par les complices surréalistes). Selon la volonté d'André Breton, toute sa correspondance a été déposée après sa mort à la bibliothèque Jacques-Doucet, qui possède aussi beaucoup de manuscrits. D'autres ont circulé et appartiennent déjà à des collectionneurs, l'auteur les ayant lui-même vendus autrefois, pour vivre. Seul le tapuscrit relié d'Arcane 17 (écrit en 1945 à l'intention d'Elisa), truffé de divers documents, figure dans la vente d'avril. Mais on retiendra aussi les "dossiers", où l'écrivain conservait le matériau d'un livre (celui de Nadja, avec les dessins de "la passante", sera très attendu), ainsi que les comptes-rendus des Sommeils, séances où, avec Robert Desnos, dans les années 1920, Breton et ses amis interrogeaient le subconscient et expérimentaient l'écriture automatique.
A côté des nombreux originaux d'articles, de conférences et textes sur son engagement politique, plusieurs ouvrages sur l'assassinat de Trotski (à côté de livres dédicacés) témoignent de son intérêt pour le destin de l'exilé rencontré au Mexique et avec qui il avait rédigé le texte intitulé Pour un art révolutionnaire indépendant (1938).
© Michèle Champenois - lemonde.fr

alerte Breton 2 : les Américains ont déjà respiré l'intérêt de tout ça - New York Times, 21/12/02

Surrealism for sale: the Breton collection
Alan Riding The New York Times - Friday, December 20, 2002

In photographs Andre Breton is rarely seen smiling. As the founder and undisputed leader of the Surrealist movement, he evidently took himself seriously. Between the 1920s and 1950s he alone defined the rules of Surrealism and tolerated no challenge to his authority. He encouraged rebellion against prevailing artistic and social norms, but artists and poets who fell out of his favor were summarily expelled from the movement.

On the other hand, he must have had loads of charisma. Over the years, in addition to the artworks he bought, notably primitive sculptures from Oceania, hundreds of paintings, drawings, photographs and books were given to him by friends, followers and little-known artists seeking his blessing. When Breton died at 70 on Sept. 28, 1966, his small apartment at 42 Rue Fontaine in the Pigalle district of Paris was a treasure trove. He had lived there since 1922. His heirs - his widow, Elisa, and his daughter from an earlier relationship, Aube - decided to touch nothing.

"My stepmother lived there, and it was her family environment," Aube Breton Elleouet, 67, explained. "For 35 years we looked for an answer to what could be done with this collection. My father had never expressed himself on the subject."

Now, two years after Elisa Breton's death, with the government unwilling to buy the collection, the largest single record of the Surrealist movement is to be auctioned off next spring at the Hotel Drouot-Richelieu. One measure of the size of the sale is that the auction house, CalmelsCohen, plans at least six catalogues to cover the 5,300 lots. The auction, from April 1 to 18, is expected to raise $30 million to $40 million.

Books, which account for 3,500 of the lots, include some dedicated to Breton by Freud, Trotsky and Apollinaire. Among the 500 lots of manuscripts are originals of some of Breton's writings as well as records of Surrealist "games" and experiments. Modern art is represented by 450 paintings, drawings and sculptures and 500 lots of photographs. There are 200 examples of popular art and 150 works of primitive art, mainly from Oceania. (A description of the collection is online at breton.calmelscohen.com)

To compensate for the inevitable dispersal of the collection, the entire contents of 42 Rue Fontaine have been recorded digitally and will be made available through a CD-ROM. "Everything," explains a news release by Jean-Michel Olle and Jean-Pierre Sakoun, who prepared the database. "Paintings, objects, photos, manuscripts, books. Everything from the least important to the most, the historic and the everyday, the private and the public."

The principal item not included in the auction is what is known as Breton's Wall, the cluttered wall behind his desk that was featured in many photographs and came to be considered a work of art - the art of collecting - in its own right. The wall was given by Breton Elleouet to the National Museum of Modern Art at the Georges Pompidou Center in lieu of death duties owed to the government by the Breton estate.

The wall's shelves are crowded with dozens of Oceanic sculptures, as well as Inuit objects and pre-Hispanic figures from Mexico. On the wall itself are paintings, engravings and drawings by the likes of Francis Picabia, Alfred Jarry, Roberto Matta, Jean Arp, Marcel Duchamp, Picasso, Joan Miro and Wassily Kandinsky.

Yet the collection to be sold reveals more about Breton's approach to art, since it includes not only major works, but also lesser works by long forgotten artists and even objects that Breton bought at auctions and flea markets or simply