Ce matin, lisant les textes sur la vente du premier avril, m'apparaît soudain l'anagramme suivante, dans le nom d'André Breton :
"TE BRADER, NON"
Didier Daeninckx

plus de 3200 signatures contre le dépeçage Breton
l'appel et la liste intégrale des signataires

retrouvez les dernières infos transmises aux signataires via liste

Le gâchis se confirme... (dimanche 2 mars, 17h)

Nous transmettons ci après, aux 2500 signataires de l’appel Breton, l’enquête parue dans l’Express de la semaine dernière.

Cet article rend bien compte des différentes tentatives de la famille d’André Breton de sauvegarder l’intégralité de la collection, et de la réticence qu’avait Elisa Breton à une dispersion aux enchères, motif pour lequel la solution privée d’un rachat par la fondation Pinault à Boulogne Billancourt avait été refusé (le groupe Pinault possédant aussi Christie).

L’article rend très bien compte aussi, comme l’a fait Michèle Champenois dans Le Monde (article transmis à parution) de la richesse patrimoniale unique de cet ensemble. Il symbolise, bien au-delà d’André breton, une mutation décisive de notre histoire littéraire, en prise avec les plus grands traumatismes du siècle: nous ne sommes pas encore en position d’en juger. Mais, dans un mois, il sera trop tard. La chance unique d’un tel dépôt de mémoire ne s’est jamais produite dans notre histoire littéraire: souvenons-nous de Spoelberch de Loewenjoul rachetant aux poissonniers les manuscrits et épreuves de Balzac dispersés par sa veuve. Et les “sommeils” de Desnos, qui vont aussi être vendus aux enchères, est-ce que ce n’est pas faire à nouveau mourir Desnos après le camp? De Lautréamont et de Rimbaud, que, plus que n’importe qui d’autre, André Breton a inséré de force dans notre histoire littéraire, nous n’avons rien: pour une fois que cette mémoire existe, voilà qu’on se glorifie qu’elle soit un événement majeur du commerce de l’art.

“La culture ne doit pas plier devant le commerce”, claironnait officiellement Jacques Chirac devant l’Unesco il y a moins de 3 semaines... Mais quand 2500 personnes, dont des dizaines d’écrivains, philosophes, artistes, des dizaines d’universitaires, des éditeurs, des dizaines de conservateurs de bibliothèques, signent solidairement leur peine à voir se disperser un tel trésor, alors que les solutions techniques existent pour la garder dans son intégralité, ni le président de la République ni le ministre de la culture ne semblent disposer d’un timbre poste pour nous en accuser réception.

Il reste un mois pour une décision politique. Elle est symbolique, elle ne coûtera pas un centime à l’état. Cette décision ne lèsera pas d’un euro les proches d’André Breton: décréter simplement cette collection, dans son ensemble, comme “trésor national”.

Nous sommes près de 2700 signataires de l’appel. Assez pour des actions très fortes, quand cette vente s’ouvrira sous les yeux du monde entier, quand la France bradera publiquement son patrimoine aux enchères dans l’événement présenté sur tous les sites d’art internationaux comme “’l’événement de l’année”.

Il reste un mois à l’état pour cette décision, et garder la tête haute. Le relais par une fondation, un musée, ou une gestion commune par les fonds publics pourra être envisagé sereinement dans un second temps.

Lisez l’enquête de l'Express : quoi donc, dans la collection Breton, bénéficiera des généreuses enchères de Madonna et d’Elton John? Quoi donc s’en ira dans les musées des villes pétrolières du Texas? On nous a taxés de “franchouillards”, non: du monde entier des centaines d’écrivains, universitaires, artistes étrangers nous ont dit et redit, à la lecture de notre appel, que pour eux “Paris était la capitale du surréalisme”. Le “voeu” récemment exprimé à l’unanimité par le conseil de Paris le souligne aussi: cette collection doit rester à Paris, et préservée dans son intégralité, qui seule lui donne sa valeur de mémoire collective, d’image d’ensemble de la quête du surréalisme.

Desnos ne doit pas mourir une seconde fois.

Lisez l’article de l'Express : le galet du Lot, des lecteurs de Saint-Cirq avaient déjà proposé, il y a plus d’un mois, qu’il soit rendu à sa rivière. Aujourd’hui, même ce simple galet, élu pour ses correspondances avec les autres objets intercesseurs, est évalué de façon marchande.

C’est un avertissement que nous souhaitons lancer aujourd’hui au ministre de la culture, silencieux depuis le communiqué officiel de résignation qui a suivi l’envoi de nos signatures, et malgré les protestations qui se multiplient. Nous ne laisserons pas faire ce dépeçage dans la sérénité de l’argent roi.

L’anagramme proposé par Didier Daeninckx: ANDRE BRETON, TE BRADER NON, c’est notre résolution. Justement parce que ce monde est aux prises avec des soucis plus graves, la littérature, et celle-ci en particulier, née de l’onde de choc d’une guerre mondiale atroce, est une arme et un recours nécessaire. Les surréalistes ont toujours fondé ici leur questionnement. Pouvoir relire cette aventure dans son contexte, c’est un devoir pour nous de le permettre à ceux qui viendront après nous: c’est pour cela aussi que nous ne céderons pas quant à ce dépeçage.

Nous demandons solennellement aux autorités françaises de proclamer, avant le 1er avril prochain, l’interdit de sortie du territoire pour l’ensemble de la collection Breton, et son classement comme trésor national pour empêcher sa dispersion.

Mathieu Bénézet, François Bon, Laurent Margantin

l'appartement Breton, ce n'est pas seulement André Breton, mais la mémoire collective du surréalisme, et par cela même la plus haute dette de nos propres apprentissages d'écriture, et le sens d'un engagement littéraire aujourd'hui
"il y avait ici tout un refuge contre le machinal du monde"
visitez le musée Breton avec Julien Gracq
document : l'enquête de l'Express "histoire d'une vente surréaliste"

" Breton à l'encan : vulgaire " - Yves Bonnefoy

Bientôt 2000 signatures à l'appel lancé il y a moins d'un mois par Mathieu Bénézet. Le débat mis sur la place publique, l'attention déjà requise de la presse.
Nous avons sollicité quelques personnalités pour constituer un "comité de vigilance". La réflexion et les initiatives, grâce à cette liste d’information, pourront continuer de s'effectuer en commun.
Dire fortement aux pouvoirs publics notre volonté que la collection Breton, parce qu'elle symbolise l’ensemble du surréalisme, ne soit pas dispersée et reste en France. Qu'une solution puisse être trouvée, via les collections publiques, la constitution éventuelle d'une fondation: les contributions reçues, le très fort engagement des bibliothécaires et conservateurs, nous ont montré que c'était possible, à condition que le premier point soit satisfait.

La procédure de classement en "trésor national", par exemple, pourrait en être le support.

Alain Absire (président de la Société des gens de lettres), Michel Deguy, Jacques Derrida, Yves di Manno, Alain Jouffroy, Guy Goffette, Bernard Noël, Jean-Yves Tadié, André Velter, Eliott Weinberger et Kenneth White ont accepté de participer au comité de vigilance fondé par Mathieu Bénézet, François Bon et Laurent Margantin.

adresse aux pouvoirs publics

Nous reprenons aujourd'hui les termes de l'appel du 7 janvier 2003, tel qu'il est signé par près de 2000 personnalités des arts et lettres, bibliothécaires, universitaires, de France, d'Europe, des Etats Unis, du Mexique, du Canada, d'Afrique, d'Amérique du Sud ...

  • dans un premier temps, nous demandons aux autorités culturelles françaises l'interdiction de sortie du territoire des collections d'André Breton, rue Fontaine;
  • dans un deuxième temps, notre Comité souhaite obtenir des acteurs culturels, dont certains y sont déjà favorables, l'acquisition par les fonds publics des lots mis en vente à l'Hôtel Drouot grâce au droit de préemption.

Pour ce faire le Comité sollicite par la présente une rencontre avec M. le Président de la République, M. le Ministre de la Culture, M. le Ministre des Affaires étrangères et M. le Maire de Paris.

mise en ligne initiale du 26 décembre
on l'apprend aujourd'hui: début avril 2003, le fabuleux musée privé d'André Breton sera dispersé à Drouot – on pourra acheter bénitiers, masques, oiseaux empaillés, livres et tableaux – quant à nous, il nous restera, comme sur les fouilles de sauvetage sous les autoroutes, un CD ROM avec visite virtuelle
il nous semble que c'est à la mémoire collective qu'on atteint, à ce qu'on doit tous au surréalisme et à sa force de subversion
nous nous proposons de réagir, le plus largement, le plus haut possible – nous ouvrons le dossier – nous attendons aussi vos propositions et réactions -
et tout d'abord, ci-dessous, le magnifique texte de Julien Gracq, qui resitue l'exact enjeu de cette mémoire à préserver : "Le désert s'accroît. Malheur à qui porte en lui des déserts." C'est notre pays et notre mémoire littéraire qui pourraient bien, après les marchands, s'accroître d'un désert.

liens à suivre
site de l'étude Calmels Cohen, commissaires priseurs, inclut présentation des catalogues et revue de presse, ainsi que le texte Les raisons de la vente insistant sur l'inaction des pouvoirs publics depuis 1966, malgré les pressions de la famille d'André Breton
dossier de presse sur remue.net : chronique de Philippe Lançon dans Libération, puis compte-rendu par Le Monde et par le New York Times ("surréalisme à vendre", le titre est sans ambiguïté, il y a même les chiffres...)

sur D'autres Espaces, débats et contributions, documents et encore des liens

les mails reçus et échangés, avec un choix parmi quelques réactions, réflexions, propositions
le mur d'André Breton - pour mémoire : article du Magazine Littéraire

Un refuge contre tout le machinal du monde
l'appartement d'André Breton vu par Julien Gracq

Chez André Breton. Les deux pièces, décalées en hauteur par un court escalier, même par les jours de soleil et malgré les hauts vitrages d'atelier, m'ont toujours paru sombres. La tonalité générale, vert sombre et brun chocolat, est celle des très anciens musées de province - plus qu'au trésor d'un collectionneur, le fouillis, impossible à dépoussiérer complètement, des objets aux reliefs anguleux, objets presque tous légers: masques, tikis, poupées indigènes où dominent la plume, le liège et le bouchon de paille, fait songer à première vue, avec ses armoires vitrées qui protègent dans la pénombre une collection d'oiseaux des tropiques, à la fois à un cabinet de naturaliste et à la réserve, en désordre, d'un musée d'ethnographie. Le foisonnement des objets d'art cramponnés de partout aux murs a rétréci peu à peu l'espace disponible; on n'y circule que selon des cheminements précis, aménagés par l'usage, en évitant au long de sa route les branches, les lianes et les épines d'une sente de forêt. Seules certaines salles du Museum, ou encore le local sans âge qui hébergeait la Géographie dans l'ancienne faculté de Caen, m'ont donné une telle impression de jour pluvieux et invariable, de lumière comme vieillie par l'entassement et l'ancienneté sans date des objets sauvages.


Man Ray "Dancer/Danger", collection Breton, à vendre en avril

Rien n'a changé ici depuis sa mort: dix ans déjà! Quand je venais le voir, j'entrais par la porte de l'autre palier, qui donnait de plain-pied sur la pièce haute. Il s'asseyait, la pipe à la bouche, derrière la lourde table en forme de comptoir sur laquelle le fouillis des objets déjà débordait - à sa droite, alors au mur, le Cerveau de l'enfant de Chirico 2 -,

peu vivant lui-même, peu mobile, presque ligneux, avec ses larges yeux pesants et éteints de lion fatigué, dans le jour brun et comme obscurci par des branchages d'hiver - figure ancienne et presque sans âge, qui siégeait devant sa table d'orfèvre et de changeur, semblant appeler autour d'elle les lourdes pelisses qui peuplent le demi-jour des tableaux de Rembrandt, ou la simarre du docteur Faust: un docteur Faust toujours à l'écoute passionnée de la rumeur de la jeunesse, mais seulement jusqu'au pacte - exclu - et tous les soirs faisant retraite entre ses tableaux, ses livres et sa pipe, après le café, dans le capharnaüm peuplé de nécromant qui était son vrai vêtement, au milieu du sédiment accumulé et immobile de toute sa vie. Car tout, dans l'intérieur - et une seule visite suggérait de laisser au mot toute sa force - de ce fanatique de la nouveauté, parlait d'immobilité, d'accumulation, de la poussière ténue de l'habitude, du rangement maniaque et immuable qu'une servante hésite à troubler. J'ai quelquefois cherché avec curiosité à m'imaginer (mais Elisa Breton, qui seule pourrait le faire, ne lèvera pas ce voile) les soirées, les matinées de Breton chez lui, de Breton seul - la lampe allumée, la porte close, le rideau tiré sur le théâtre de mes amis et moi. Bien des raisons me laissent croire (dernièrement un petit carnet qui renferme des dessins, des autoportraits, des adresses fantaisistes de lettres, des phrases qu'il notait au réveil) que c'est à ces heures supposées du travail solitaire qu'il accueillait de préférence les riens charmants de la vie, crayonnant, musant, butinant dans les taillis de son musée, et toujours prêt à retarder souverainement le moment peu ragoûtant d'écrire. Ce goût qu'il avait de la vie immédiate jusque dans ses dons les plus ténus, jusque dans ses miettes - goût toujours neuf et renaissant, toujours ébloui, même dans le grand âge - rien ne me le rendait plus proche ; rien n'était plus propre que cette attention inépuisable donnée aux bonheurs-du-jour à faire vraiment avec lui à tout instant fleurir l'amitié. Je songe aux farouches et arides élucubrateurs qui sont venus après lui, dérisoirement occupés à refaire sur concepts - comme on achète sur plans - un monde préalablement vidé de sa sève et qu'ils ont commencé par dessécher sur pied, justiciables par là du mot de Nietzsche: «Le désert s'accroît. Malheur à celui qui porte en lui des déserts.» C'est quand la luxuriance de la vie s'appauvrit que montrent le bout du nez, enhardis, les faiseurs de plans, et les techniciens à épures ; après quoi vient le moment où il ne reste plus qu'à appauvrir la vie davantage encore, pour en désencombrer la planification. Il y avait ici un refuge contre tout le machinal du monde.

 

© Julien Gracq - éditions Corti "En lisant, en écrivant"