Le vent de l’impermanence

Les Horizons égarés, de Paul Louis Rossi (Obsidiane, 2025)

Depuis Le voyage de Sainte Ursule (Gallimard, 1974), qui fut pour moi une révélation, et dont j’ai gardé en mémoire certains vers, tels que ceux de la « Simple ballade pour Maud Gonne », Paul Louis Rossi n’a cessé d’être pour moi l’homme qui erre dans une légende ou dans des mots, le poète des « horizons égarés ». Le livre qui nous parvient aujourd’hui, publié aux éditions Obsidiane, est là pour nous rappeler que la poésie nous aide, comme il l’écrivait en introduction au voyage d’Ursule, à « retrouver les allées et venues de nos périples, avec les hésitations, les élans, et ce murmure qui traverse toutes les contrées, qui semble peu à peu nous livrer notre propre histoire comme une eau mouvante qui brille, pour nous la montrer un instant et tout de suite après la faire voler en éclats, à l’image de la fable indicible. »

Ainsi, toute la première séquence, qui donne son titre à l’ouvrage, nous apporte-t-elle, une fois encore, ce que j’ai autrefois appelé une « preuve de poésie. » Le voyage de Sainte Ursule est devenu, ici, récits d’explorations chimériques. Le « voyageur intrépide » se nomme Alfred Pinard, ou mieux encore Aldebert de Chamisso, et l’on comprend la fascination que celui-ci a pu exercer sur Paul Louis Rossi quand on sait qu’il est l’auteur d’un livre extraordinaire intitulé L’homme qui a perdu son ombre !

Une « preuve de poésie » ? Comme je l’avais écrit à propos de Faïences (Flammarion, 1995), cette preuve nous est donnée « par l’invisible ». Elle tourne autour de l’objet comme langue de l’être dans la mémoire. Celui qui marche vers les horizons égarés, il peut saisir les mots qui lui avaient échappé. Il suffit d’un souffle d’air pour lui ravir l’esprit. Pour être éveillé du sommeil et du silence, il faut que chaque mot retrouve son innocence et sa fraîcheur, sinon comment les prononcer, tous ces noms des divinités ? Et c’est ce souffle de fraîcheur à nos tempes que nous éprouvons à la lecture des Brûleuses d’algues, la séquence centrale, et plus encore dans les dernières pages, magnifiques, de Méditations, Rivages :

toutes choses
ne sont
que de rêves […]

le vent de
l’impermanence
ne choisit pas l’instant

l’ombre
suit
la forme

Autrement dit : comment saisir l’ineffable, le grand secret de cette innocence, de cette fraîcheur des mots ? Ce n’est plus de « vers » qu’il faut parler, mais de touches légères appliquées sur la toile. La touche du vocable appelle irrésistiblement l’espace tout entier sur lequel elle se pose, qui entoure le poème. Certains poèmes apparaissent comme un idéogramme sur la blancheur de la feuille. Et chaque poème est alors une apparition, entre l’éblouissement et l’effroi : « Ne vous fiez qu’aux étoiles / De la Chevelure de Bérénice » écrit-il. Et plus loin, parlant

de celui qui jamais
ne se promène
sans un masque

la mémoire est pour lui
seul comme le miroir
d’une mélancolie

Toute l’œuvre de Paul Louis Rossi se présente à mes yeux comme une quête de ces instants de transparence perdue au cours d’un impossible périple. La quête d’un autre regard, suspendu entre les images et les mots, pour atteindre ce cœur autre, qui est plus que nous-mêmes :

O stupeur ! ainsi donc cette nuit,
à la clarté de la lune qui a franchi les crêtes,
de rosée sur la feuille fugitive
une dernière goutte : votre histoire
viendrez-vous sous mes yeux la revivre ?

Et c’est, lisant ce livre, celui qui avait le « visage des nuits » que je vois s’avancer une fois encore vers moi pour me dire ces mots : « Je crois que rien ne demeure / je sais que tout change » :
Et songeant à son propre destin :

Ainsi que les
simulacres
de ma destinée
sur une vaste mer
inconnue
à la dérive
je
m’en
suis
allé


Claude Adelen

2 juillet 2025
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