surréalisme à vendre, suite Avec plus
de 1600 signataires, l'appel de protestation contre la vente Breton s'amplifie.
Il est temps encore de nous rejoindre. Un "comité de vigilance",
incluant déjà Jacques Derrida, Michel Deguy, Kenneth White,
Yves di Manno, Guy Goffette a été constitué par Mathieu
Bénézet, demandant que soit prononcé dans un premier
temps, par un classement en "trésor national" ou autre
recours d'état, une interdiction de sortie du territoire pour l'ensemble
de la collection. Voir aussi la Une du site France Culture,
avec forum André Breton à
l'encan : vulgaire, par Yves Bonnefoy A priori, je ne suis pourtant nullement hostile à la dispersion de ce qui fut assemblé. Regrettable, condamnable, l'atteinte aux instruments de travail, par exemple les bibliothèques savantes. Triste, la vente des œuvres ou des objets, souvent peu nombreux, dont quelqu'un avait fait son bien avec tant d'affection et parfois si peu de moyens qu'ils en étaient devenus son être même, lequel se dissipe donc une seconde fois, maintenant. Mais les collections, surtout les grandes, n'ont pas souvent cette qualité. Elles peuvent ne signifier que le fait qu'à un certain moment, en un certain lieu, des pièces rares furent ensemble, et je connais des collectionneurs auxquels suffirait, et ils ont raison, les quelques exemplaires d'un livre qui rappellerait qu'il en fut ainsi. Ce document désignerait ce mystère : qu'un être fut ; et la vie reprendrait ses droits en disséminant des objets comme constamment elle fait avec des vies. Mais cette vente d'André Breton ? Eh bien, d'abord, je relève la vulgarité de cette entreprise de style grand magasin qui s'abat sur quelqu'un qui resta si exactement aux antipodes des manipulations commerciales, celles qui font choses des œuvres. Mais je remarque aussi l'intention, réfléchie, délibérée, que laissent paraître ce projet et ses prospectus. Breton, avec passion – ce mot galvaudé lui convient – ne rassemblait pas des objets, il reconnaissait des présences, au besoin il les ranimait ou en suscitait, il leur restituait leur dignité, ensemble elles étaient devenues chez lui une communauté vivante dans le miroir courbe de laquelle se dessinait la société à laquelle Breton rêvait pour l'avenir, et qui méritait notre attention, et notre respect. Cette collection – mais faut-il la nommer ainsi ? – était de ce fait la poésie, radicalement. Or, c'est du regard de la poésie que beaucoup dans l'heure nouvelle ne veulent plus. A voir ce dépliant qui reprend, de façon perverse, une parodie qu'André Breton avait faite – avec, pour une fois, indulgence – d'une certaine façon d'être journaliste, je me suis souvenu de ce que Jacqueline Lamba disait dans des occasions semblables : "Ils l'ont eu." Une question, toutefois. Un des aspects nocifs de la vente du "42, rue Fontaine", c'est qu'elle rendra difficile à l'Etat ou à des fondations de préserver par leurs achats peu ou prou de cette unité qui jusqu'à présent avait été maintenue. Mais comment se fait-il que de ces côtés-là rien n'ait été fait ou n'ait pu aboutir, pour prévenir cette situation ? Et aussi pour aider les héritières d'André Breton, certainement victimes, à ne pas tomber dans le piège ? Il est vrai que nombre des collections léguées ou acquises par des musées, des bibliothèques, s'éteignent, dans l'empoussièrement des salles où elles échouent, sous vitrine. Mais n'a-t-on pas su voir qu'il y avait dans l'apport de Breton une flamme qui aurait consumé, au moins pour certains visiteurs – mais ce sont ceux-là seuls qui comptent –, cette impression délétère ? Qui aurait signifié l'espoir, à l'encontre de tant qui en bafouent l'idée même ? "Je cherche l'or du temps", avait dit Breton, signifiant par cet or la présence à soi et aux autres de la personne à venir, là même où le temps mal compris paraît signifier le néant, l'inutilité de tout, et inciter à l'indifférence. C'est sous le signe de cette phrase que beaucoup de jeunes gens s'étaient spontanément retrouvés, à sa mort, pour la seule cérémonie qui ait sens encore, celle qui atteste, en dépit de tout, sans préparation, sans mots d'ordre, cette espérance. Sachons au moins prendre mesure, aujourd'hui, de ce qui à peine se dissimule dans ces annonces de ventes, de catalogues sur papier ou sur CD-ROM, dans ces bulletins de souscription avec indication du montant de la remise, dans cette évocation de "lots" de dossiers et d'albums dont le nombre semble se perdre dans le mauvais infini : ce que veut le plus la spéculation commerciale, c'est éradiquer jusqu'au souvenir de tout ce qui est aimant et libre. Prenons mesure. Et faisons ainsi de cette vente la preuve, par l'absurde, que Breton avait raison, en tout cas souvent. Yves Bonnefoy est écrivain, professeur honoraire au Collège de France. sur le Net Les raisons de la vente (étude Calmels Cohen). Le mur d'André Breton (série "Maisons d'écrivains",
Le Magazine littéraire). "Dormez en paix, braves gens ! En France on n'a pas le sou pour
projeter un musée André Breton" (pétition de
remue.net). Les soutiens américains. André Breton vivant (D'autres espaces). "La France se doit de ne pas laisser le contenu de la maison d'André
Breton se faire exhiber sur le marché public comme la culotte de
Marilyn Monroe ou la canne de Fred Astaire" (La Revue des ressources). "J'ai toujours été condamné à mort
mais mon exécution a sans cesse été remise..."
(éditions Corti). Petite bibliothèque André Breton (ADPF). Art surréaliste (Centre Pompidou). © Le Monde |