Benoît Artige | La foi foutraque

Statues de saints dérisoires, ex-voto anonymes, bouquets séchés et cierges fondus, reliquaires recelant doigts, tibia et mandibules : le véritable trésor des églises se trouvent dans le fond des absides, dans les chapelles désertes et dans les sacristies – là où s’accumulent avec ferveur des preuves, des signes, des indices de ce qu’est, de ce que pourrait être la foi ou du moins, admettons, sa pratique. Ça s’allume, ça s’éteint, ça rougeoie et ça brille, parfois ça clignote : l’obscurité y est celle du sépulcre, la clarté, à travers les vitraux bariolés, celle d’une réminiscence ouatée de fête foraine. « Silence de la prière, prière de faire silence » : réglementation stricte du bruit, mais apparemment pas de la vue. Il faut une véritable ascèse pour s’y agenouiller et prier sans être gêné par cet entassement hétéroclite de dépôt-vente : la capacité du dévot à retrouver le divin partout, même dans les lieux les plus encombrés, ne saurait être ébranlée.
Excepté la prière, il y a toujours quelque chose à faire dans les églises pour quiconque les hante, un truc à épousseter, cirer, déplacer, ranger, remplir – mais bizarrement jamais faire place nette, comme si chaque fidèle, à travers les époques, y allait de sa touche personnelle en décoration, intercession ou rituel. D’où cette esthétique invraisemblable du bric-à-brac – dont personne, fidèle comme visiteur, bizarrement ne s’étonne – dans la réunion providentielle de vierges en plâtre, d’affichettes imprimées de travers, de chaises en bois vermoulu et de fleurs en plastique. On s’abandonne à Dieu ; on lui abandonne aussi un peu de soi, quitte à ruiner l’harmonie factice que des siècles d’inventivité architecturale n’ont jamais réussi à véritablement figer. Les colonnes et voûtes du transept auront beau aspirer les âmes pures vers l’Infiniment Haut, il y aura toujours dans les recoins, en bas, à l’écart des foules dominicales, les traces accumulées du conciliabule en cours de ceux qui doutent, s’empêtrent, vacillent, mais ne renoncent pas avec Celui – croient-ils – qui est le seul à les voir et leur pardonner tout.