Claire Boniface

trois entretiens sur l'atelier d'écriture

 

Claire Boniface est inspectrice de l'Education Nationale

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entretien pour la Nouvelle Revue Pédagogique (1999)

intervention dans la revue Autrement (1994)

entretien dans Ecrire aujourd'hui (1992)

Ateliers d'écriture, mode d'emploi

"L'ouvrage que publient Odile Pimet et Claire Boniface se présente comme un guide pratique pour les animateurs d'ateliers d'écriture. Le livre s'ouvre donc sur une série de conseils pour celles et ceux qui souhaiteraient créer et animer un atelier d'écriture. Mais l'essentiel de l'ouvrage est consacré à des descriptions de séances, extrêmement variées, regroupées autour de cinq grands thèmes : exercices de style, autobiographie, fiction, pastiches, réécritures. Originales et diversifiées, les situations d'écriture sont souvent ludiques (logo-rallye, la demande d'augmentation, j'écris sur les murs, etc.) mais elles sont aussi l'instrument de la découverte de soi et d'une réflexion sur la relation avec l'autre (écrire l'amour, le corps, le désir ; écrire à plusieurs voix ; lettre à l'écrivain qui a changé ma vie, etc.).

Parce que la littérature est au coeur du livre (faire des digressions avec Marcel Proust, une méthode autobiographique avec Agota Kristof, le sens de l'étrange avec Marcel Béalu, etc.) et que tous les types d'écriture sont abordés, Ateliers d'écriture, mode d'emploi est une véritable mine d'idées et de pistes pédagogiques pour les professeurs de français, y compris ceux qui ne sont pas familiers des ateliers d'écriture. L'ouvrage offre en effet de quoi renouveler et rendre plus ludiques les activités d'expression écrite." NRP.

Odile Pimet et Claire Boniface, ESF éditeur, collection " Didactique du français ", Paris, 1999.

un entretien avec Corinne Abensour pour la Nouvelle Revue Pédagogique, n°1, septembre 1999.

Depuis quelques années, les ateliers d'écriture qui se sont implantés avec succès dans le secteur social et le domaine de la formation, gagnent tous les niveaux de l'institution scolaire : de l'école jusqu'à l'université. Au collège aussi, vous êtes de plus en plus nombreux à avoir recours aux ateliers d'écriture pour animer des séances en petits groupes avec des élèves en difficulté ou tout simplement pour mettre en oeuvre des activités différentes de nature à donner le goût d'écrire.

Pour ceux d'entre vous qui souhaiteraient découvrir la démarche des ateliers d'écriture ou pour ceux, plus expérimentés, qui sont à la recherche de nouvelles idées pour animer des séances, un livre vient de paraître qui offre des conseils et des pistes concrètes. Nous vous présentons cet ouvrage ainsi que le témoignage d'un de ses auteurs, Claire Boniface, Inspectrice de l'Éducation nationale et romancière, qui a organisé les premières " Rencontres des ateliers d'écriture ".

NRP : Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux ateliers d'écriture ? Votre intérêt pour cette démarche est-il lié à vos activités professionnelles ?

Claire Boniface : Je me suis d'abord intéressée personnellement aux ateliers d'écriture, hors de toute considération professionnelle. Écrire en atelier d'écriture m'a passionnée, m'a fait écrire j'ai à ce moment-là publié un roman . Puis j'ai eu envie de participer à différents types d'ateliers pour aborder l'écriture par d'autres angles et enfin la fibre pédagogique l'a emporté : j'ai suivi une formation pour animer des ateliers d'écriture, j'en ai animé et ai créé une association , tout en réunissant de la documentation et en cherchant un ouvrage qui fasse le point sur le phénomène des ateliers d'écriture qui semblait en pleine expansion. Cet ouvrage n'existait pas : nous l'avons fait, suite à une enquête qui a mis en évidence la diversité des ateliers d'écriture .

NRP: Comment définiriez-vous l'objectif des ateliers d'écriture ?

C. B. : À mon sens, il n'y en a pas qu'un. Ils diffèrent selon que l'on vise le développement personnel (l'écriture est un moyen au service de l'expression de la personne, de la relation avec autrui, voire d'une thérapie), ou l'expérience de la création littéraire. Il y a bien sûr des chevauchements, et l'on peut viser la littérature, voire la publication, développer une meilleure maîtrise de la langue, des techniques, et découvrir, comme dit Proust, " un autre moi que celui que nous manifestions dam nos habitudes, dans la société, dans nos vies ".

NRP : Qu'est-ce qui fait la spécificité de la démarche des animateurs d'ateliers d'écriture ?

C. B. : En général quatre étapes : motivation, production, communication, réaction. L'atelier d'écriture déclenche l'écriture, crée la motivation, dans un certain plaisir ; nombre d'ateliers se situent hors classe, hors école, voire contre l'école, ou du moins contre certaines pratiques scolaires (le " bien écrire ", la correction); une autre caractéristique est la pratique de la " publication " des textes (par la lecture orale de ceux-ci et parfois par la circulation, voire le recueil des textes) ; enfin, l'utilisation des réactions des autres, et pas seulement de celui qui conduit la séance, amène dans certains ateliers à réécrire, à reprendre les textes ; la fréquentation de la littérature, que ce soit par la présence d'un écrivain qui anime l'atelier, ou celle de textes littéraires, est une caractéristique de certains ateliers.

NRP : Quelle peut être la place des ateliers d'écriture au collège?

C. B. : Ce peut être un atelier pour volontaires, hors temps de classe, organisé par un professeur ou une documentaliste passionnée, qui vise une autre approche de l'écriture que celle proposée en classe. Ou encore un atelier de pratique artistique avec un écrivain, défini par un texte officiel qui très clairement " donne priorité au désir d'écrire " autour d'un projet qui " relève plus de l'énoncé d'intentions que d'une programmation ", toujours pour des élèves volontaires. Enfin, ce peut être la pratique d'un enseignant dans sa classe, fondée sur des objectifs pédagogiques, visant à initier les élèves à la fabrique du texte - comme dans un atelier- où le rôle des interactions entre pairs est essentiel et où le texte est un chantier et non pas une copie. Précisons que l'appellation " atelier d'écriture " n'est pas... déposée et peut qualifier toute pratique qu'on décide d'appeler ainsi.

NRP : Est-il possible d'animer un atelier d'écriture si l'on n'a pas soi-même expérimenté la démarche en tant que simple participant ?

C. B. : Ce doit être possible puisque de nombreux animateurs le font ! Chez les enseignants, souvent, c'est le fait d'avoir expérimenté - en stage de formation par exemple -la participation à un atelier, même bref, qui les amène à l'introduire.

Personnellement, je pense que pour un animateur professionnel, il est hautement souhaitable d'avoir participé à un atelier d'écriture. Pour un professeur, qui est un professionnel de la pédagogie, je serais plus nuancée. Ce qui est très utile, c'est surtout de se confronter à ses propres difficultés d'écriture pour pouvoir mieux comprendre les difficultés des élèves et l'investissement personnel qu'entraîne l'écriture.

NRP -. Votre ouvrage Ateliers d'écriture, mode d'emploi présente des " séances clés en mains ". Quelle utilisation les enseignants peuvent-ils faire de votre ouvrage ?

C. B. : Tout dépend de leurs objectifs. S'il s'agit d'expériences ponctuelles, voire hors de la classe, ils peuvent piocher en désordre dans nos propositions d'écriture, pour renouveler le rapport à l'écriture et à la lecture. S'ils veulent introduire des séances dans une progression pédagogique, alors c'est à eux de choisir la séance qui répond à leurs objectifs en fonction de notre catégorisation : propositions ludiques, gammes d'écriture ou exercices de style ; propositions centrées sur la création de fiction ; propositions stylistiques à partir d'un écrivain ; propositions incitant à la réécriture et à l'écriture plus longue. L'adaptation de certaines séances est prévue, sous forme de variantes.

NRP : Vous accordez une place primordiale à la littérature dans votre livre. Pourquoi ? Est-ce que la participation à un atelier peut développer, outre le goût d'écrire, celui de la lecture ?

C. B. : L'atelier d'écriture peut dépasser la simple recherche du désir d'écrire et du plaisir d'écrire, tous deux essentiels. Il peut permettre à l'apprenti, quel qu'il soit, de devenir un amateur de littérature peu à peu éclairé. L'atelier d'écriture l'aide à devenir un familier des écrivains qu'il fréquente, sans sacralisation, en apprenant à les lire en rapport avec sa propre écriture, en découvrant des techniques, les motifs des effets produits sur le lecteur, des libertés littéraires qui encouragent l'audace, et aussi des affinités personnelles avec des univers littéraires.

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une intervention dans AUTREMENT, n°146, juin 1994, " Machines à écrire " : De la voix à la machine

Dans les ateliers d'écriture, les textes sont d'abord lus à haute voix. Plus ou moins joueuses plus ou moins chargées d'émotion les voix masquent l'écrit. La dactylographie vient, elle aussi, faire écran au texte lui-même. Ce "passage" est cependant une avancée décisive...

Ecrire est une activité solitaire : saisi par l'inspiration, l'artiste, contemplant les précipices d'une nature tourmentée, pareille aux affres du coeur humain, gratte le papier d'une plume électrisée dans une tour battue par le vent. Ou bien, habité par une scène sanglante mais passionnelle sur fond de terrain vague de banlieue, il fait cliqueter sa machine à écrire dans sa chambre de bonne. Ou encore, ayant digéré Joyce, le Nouveau Roman, le néo-polar et le retour du sujet et du récit, il permute deux phrases sans ponctuation sur son écran. Mais toujours SEUL !

Et pourtant, dans les clubs de quartier, à la fac, dans les bibliothèques, en entreprise, dans les prisons, dans des associations, des stages de vacances, à l'école, dans des groupes informels, se multiplient des ateliers d'écriture. Qu'est-ce qu'un atelier d'écriture ? C'est un dispositif collectif en quatre étape : l'animateur fait une proposition d'écriture ; les participants écrivent ; ils communiquent leurs textes, en général oralement, puis réagissent aux textes des autres.

Les objectifs des ateliers d'écriture varient suivant le public et les partis pris des animateurs : déblocage, découverte de soi, ou bien jeux d'écriture à la manière oulipienne , ou encore exploration de "son écriture ", travail du style, et même véritable création littéraire, voire recherche de publication.

Même variété dans les propositions d'écriture qui recourent à des contraintes linguistiques (écrire sans e à la manière de Perec), à l'autobiographie (une maison d'enfance), à l'élaboration littéraire (faire une nouvelle pour un concours, écrire un roman).

Dans la plupart des ateliers, les textes sont lus oralement sur-le-champ. C'est une publication. Les réactions, selon les types et les exigences des ateliers, vont du simple enregistrement positif (" j'aime beaucoup ton texte ") au commentaire technique ("je me demande si l'alternance de la tentation à la troisième personne et du monologue intérieur ne fait pas procédé "), en passant par les commentaires de réassurance psychologique ("bravo, cette fois-ci tu as fini ton texte"). Quoi qu'il en soit, il y a découverte à l'audition, par le groupe et l'animateur, d'un texte inédit. La manière de lire n'est pas anodine : on peut entendre un texte intéressant massacré par une lecture hésitante, un texte convenu mis en valeur par une voix théâtrale, un texte dont on appréciera mal l'humour en raison des inflexions de la voix, un texte plat étoffé par une voix chargée d'émotion. Émotion : l'exposition du texte à tous décontenance l'auteur, le thème autobiographique ranime les fantômes d'un matériau inconscient, ou encore la lecture orale fait du texte visuel, familier à l'auteur, un autre texte, sonore et surprenant, provoquant le trouble d'une révélation.

Toujours est-il que l'accès au texte est brouillé par le corps : la présence de l'auteur, la voix de l'auteur. Il ne s'agit plus de lecture, mais de spectacle. L'attention nécessaire au texte subit un déplacement vers la personne. On sera donc indulgent en sentant la fragilité exprimée dans la lecture, perplexe face à un texte mis en lambeaux par une voix qui avale les mots, méfiant devant l'acteur qui aura par la voix exprimé ce qui manque au texte.

De nombreux ateliers s'arrêtent à la communication d'un premier jet oralisé Certains sollicitent la dactylographie et la photocopie des textes.

Pour ceux qui ont déjà une pratique d'"écrivant ", la machine à écrire, l'ordinateur, sont familiers. Pour d'autres qui accèdent à l'écriture grâce à l'atelier, il faut faire cette acquisition, puis un apprentissage de la frappe. La motivation se déclare à cette occasion. On utilise d'abord une machine mécanique prêtée, puis on s'offre la petit Canon qui permet de corriger une page et, quand le pli de la réécriture est pris, que les textes s'allongent, on passe au traitement de texte.

Le texte, qui avait été précédemment lu dans l'atelier à haute voix, acquiert tout à coup une dignité, un maintien nouveau. On ne le reconnaît pas d'emblée. On oublie la voix qui donnait de la chair au terme pour découvrir que ce, n'est plus le corps de l'auteur qui s'interpose, mais celui du texte : des caractères épais et ordi-naires des vieilles machines, avec des fautes de frappe corrigées à la main, aux élégants caractères Times sur Macintosh, des photo-copies noircies aux exemplaires individuels tirés sur machine laser, l'inégalité est de mise, réglée par les machines. Certains varient les caractères d'une séance à l'autre. On raffine la mise en page. On fignole, on bichonne amoureusement ses propres productions.

À l'occasion de la dactylographie des textes, même si l'inten-tion correspond à une simple copie, l'auteur passe déjà à la cor-rection. Un texte est rarement transcrit à l'identique. C'est une astuce pour mener les participants au retravail du texte.

Les réactions à la lecture orale et à la lecture visuelle sont dif-férentes. Des mises en relations s'effectuent, les réactions subjec-tives s'affinent : pièces en main, les commentaires deviennent plus précis, plus techniques. Tandis que l'audition interdisait les retours en arrière et imposait une impression d'ensemble, le travail sur le texte dactylographié devient un travail sur la langue : les participants griffonnent des annotations, on parle du texte avec plus de distance : il a cessé d'être une parole pour devenir un objet.

Quand le travail du texte concerne des versions successives, le traitement de texte s'avère indispensable. Puis, l'agrafage, au-delà de vingt pages, ne suffit plus ; on passe à la reliure. Parfois - c'est très rare - le manuscrit revient dans l'atelier sous forme d'un livre publié. On compare avec le manuscrit d'origine sur lequel chacun avait indiqué ses commentaires, ses approbations, ses désaccords. On découvre l'objet livre, son papier, ses caractères, sa mise en page. Le livre défait l'illusion que le texte existe sans son enveloppe, comme une âme sans corps.

Claire Boniface

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un entretien dans la revue ECRIRE AUJOURD'HUI, n°14, septembre-octobre 1992

Claire Boniface est Inspectrice de l'Éducation nationale. Elle est l'auteur, notamment, d'un essai sur les ateliers d'écriture, qui paraît ce mois-ci. Louis Timbal-Duclaux évoque avec elle le thème de cet ouvrage.

E.A. : Pourquoi un livre sur les ateliers d'écriture ?

Claire Boniface : Parce qu'ils se multiplient. N'importe qui peut ouvrir un atelier d'écriture. Et il s'en crée partout : à l'école, dans les hôpitaux, dans les maisons de jeunes, dans les formations pour chômeurs, à l'Université, dans les associations, dans les maisons de retraite, en prison, la liste est interminable ; j'en ai même découvert à l'armée ! Ce développement tous azimuts nécessite de faire le point, de dresser un état des lieux, de voir qui fait quoi et comment.

E.A. : Comment vous y êtes-vous prise pour étudier le phénomène ?

C.B. : J'ai moi-même participé à de nombreux ateliers d'écriture avant d'avoir l'idée d'écrire ce livre. Leur diversité m'a donné envie de la faire connaître. Puis j'ai procédé à une enquête en rencontrant nombre d'animateurs, de participants et de responsables culturels. J'ai également recensé la documentation existant sur le sujet.

E.A. : En résume, que trouve-t-on dans votre livre ?

C.B. : D'abord, je tente d'expliquer ce phénomène et de retracer son histoire, puisqu'il existe des ateliers depuis 1969 en France. Je détaille les grandes tendances, des " psy " aux littéraires, des formalistes aux " émotifs ", en montrant des filiations et des différences. Ensuite, je présente les différents milieux où l'on trouve des ateliers, pour montrer que les pratiques correspondent à des objectifs différents : par exemple, avec des alcooliques ou avec des étudiants en scénario, les perspectives d'un atelier d'écriture sont différentes. Je fais une petite virée à l'étranger, aux USA évidemment, mais aussi en Amérique du Sud et même au Japon, pour dégager la spécificité de notre phénomène français. Enfin je rends compte de ce mouvement de plus en plus net, celui des écrivains qui, sollicités par les institutions culturelles, se mettent à animer des ateliers d'écriture, en particulier auprès des publics en difficulté.

E.A. : Quels conseils donneriez-vous à un de nos lecteurs désireux d'aller dans un atelier d'écriture sans savoir lequel choisir ?

C.B. : Je lui suggère de se poser ces questions : est-ce parce qu'il écrit déjà et souhaite améliorer ses techniques et son "style", voire être publié, est-ce par désir de pratiquer une activité "culturelle", est-ce pour mieux se connaître, mieux se sentir, partager son goût de l'écriture avec d'autres, etc. Si le désir d'écrire avec d'autres est flou, et parfois il est trop complexe pour être clair, je conseille d'essayer plusieurs ateliers. La plupart organise des séances de "sensibilisation". Mais je pense que la lecture de mon livre aidera le lecteur à aller vers un type d'atelier plutôt qu'un autre.

E.A. : Votre livre donne-t-il des adresses ?

C.B. : Il se termine par "le bottin des ateliers", forcément incomplet puisqu'il en naît tous les jours...

E.A. : Vous allez également organiser un colloque en 1993 : de quoi s'agit-il, et qui peut y participer ?

C.B. : Pendant trois jours seront réunis tous les grands noms des ateliers d'écriture, de l'Oulipo à Élisabeth Bing. Des tables rondes alterneront avec des ateliers qui permettront aux participants d'avoir un aperçu de la diversité des pratiques. Les participants seront aussi bien des professionnels de l'animation (animateurs, enseignants, formateurs, écrivains) que des "curieux" désireux d'en savoir plus.

Propos recueillis par Louis Timbal-Duclaux.

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