Pedro Kadivar | Et je devins remueur...

Joyeux anniversaire à remue.net et à tous les remueurs et remueuses !

 

Dijon, mai 2004. Invité par Philippe Minyana dans le cadre du festival « Frictions », j’y présente une lecture-mise en espace de mon texte Une très douce soirée. Au lendemain de la lecture, lors d’une rencontre entre les participants au festival, je croise François Bon qui vient d’arriver à Dijon, lui aussi invité au festival pour sa lecture-performance sur les Rolling Stones. Il m’aborde - Minyana lui avait parlé de moi -, on se parle, notamment de Barahéni, de Berlin, et il me demande des textes, si je peux lui en envoyer, en me disant « compter » sur moi. Je lui ai envoyé en rentrant à Berlin, en juin, quelques textes, notamment Onze nuits d’été écrit en 2001. Il est mis en ligne en octobre sur remue.net, avec une notice biographique. Ont suivi des retours sensibles de quelques lecteurs. Nous restons en contact, François et moi, je lui envoie d’autres textes, notamment la première partie de L’extrême réel, qui vient d’être publié dans Les Temps Modernes. Nous sommes alors en 2004, la deuxième partie du texte sera écrite l’année suivante, suite à mon deuxième voyage en Iran. François lit toujours vite et réagit peu après l’envoi du texte, avec une générosité passionnée qui trouve toujours le mot juste pour louer, celui qui va droit au cœur et exhorte à continuer. Puis d’autres textes, retours rapides de sa part, proposition de me publier au Seuil, mais son séjour y fut trop bref, puis remise de mon roman aux éditeurs qu’il connaît personnellement. En 2006, je lui dis mon désir de continuer à écrire des Nuits d’été et publier sur remue.net. Il ne s’en occupe plus et me met en contact avec Dominique Dussidour, qui me lit et met en ligne mes Nuits depuis, une oreille attentive et pleine d’amitié, un encouragement permanent et enthousiaste, décisif pour moi.

On m’a quelquefois demandé, Dominique aussi, comment naissent mes Nuits. Et je n’ai de réponse que vague et fragmentaire. Un bout de phrase qui s’impose comme une loi, une voix qui résonne au-delà de tout bruit et ouvre à des paysages inattendus, appelle une suite, ou bien une image, une idée, qui se révèlent et dévoilent en silence tout un monde. Comme s’engendrent la plupart de mes textes. Mais les Nuits, il est vrai, ont leur propre place, leur propre musique, leur propre terre en moi. Je reconnais toujours, dans le bout de phrase ou dans l’image qui s’imposent, ce qui va être une nouvelle nuit, et ce qui sera autre chose, un autre texte. Je reconnais mes Nuits de loin, comme une obscurité lumineuse, une lueur qui s’approche patiemment et souverainement, je les entends venir, libres de me venir quand elles veulent, à leur rythme. Je me trompe rarement, parfois le bout de phrase ou l’image attend longtemps avant de devenir une nuit, et entre temps s’en écrivent d’autres. Je travaille depuis quelque temps à la trente-septième, elle mettra le temps qu’elle voudra à naître.

Remue.net, c’est l’espace approprié qui appelle mes Nuits et les berce, qui les féconde avec moi dans une matrice commune où le jour de notre rencontre a jeté sa semence. Une Nuit d’été s’écrit seul, mais tendue dès le premier instant, dès le premier mot vers la page où elle sera lue, consciente d’elle. Quand je finis d’écrire une nouvelle nuit, je l’envoie, elle est lue dans les heures ou les jours qui suivent et mise en ligne. Une photo l’illumine, toujours bien choisie, toujours lumineuse (et depuis quelque temps, celles de Laurence Skivée qui illuminent toute la revue, avec leur éclat singulier, doux et violent). Je suis libre de l’envoyer quand je veux, elle aura sa place, son abri bien protégé. Elle s’ajoute aux Nuits qui l’ont précédée. Pas de délai, d’échéance de publication, date limite d’envoi et remise au prochain numéro par manque de place, bref toutes les contraintes de publication dans les revues en papier. Plus libre et pour cela plus humain, car plus direct, plus immédiat. Et l’ensemble de remue.net, l’espace de vie et de respiration qu’il est réellement, la littérature qu’il représente, c’est humain, profondément humain : des êtres qui le font, pour rien, pour tout. J’ai rencontré d’autres remueurs depuis, José, Sébastien et Sereine, Laurent, Patrick, Chantal, Philippe, entre autres. Une communauté inavouable, un lieu rare où me sentir en communauté. Je vous salue tous !

Berlin, le 7 janvier 2011.

Image de Laurence Skivée ©

10 janvier 2011
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