Michèle Sales | Maurice Blanchot est mort

On passe des jours à songer vaguement à l’oubli. Pas si vaguement, sur la table il y a Peter Brook, Oublier le temps, Georges Banu, L’oubli, Marguerite Duras en piles, et puis Blanchot L’Attente l’oubli. Tout ça se rassemble un peu au hasard sans qu’on sache bien pourquoi, ce qui au fond travaille.
Nouvelles de 7 heures sur France-inter, les oreilles sélectionnent, captent ou non, 40 morts à Gaza, démâtage, route coupée, Bush, Bush, Bush comme un aboiement d’armes et puis ce nom Philippe Blanchot, une brève, écrivain d’entre deux guerres, mort à 95 ans, il répète, Philippe Blanchot, mais je n’écoute plus, je ne connais pas ce Philippe.
Un doute pourtant.
Confirmation sur internet. Maurice Blanchot est mort, la famille confirme, le secret n’en est plus un, l’attente est finie.

Je suis bouleversée, je me le reproche, pourquoi ? Que m’importe la vie de Blanchot, puisqu’on a ses livres, ce socle.
Justement un socle. La fin du roman. Le droit d’écrire autre chose.
Ne comprendre la littérature qu’à partir de ce fondement.
Se promettre depuis longtemps de faire vraiment le tour, savoir ce que l’on doit.
On ne parle qu’aux vivants, mais c’est après que les questions arrivent, quand on a laissé passer le temps, qu’on réalise que peut-être on aurait dû demander.
Il y a sans doute tant de thèses, tant d’études, mais ce n’est pas cela.
Ce mystère des connexions individuelles, celles qui font que les larmes aux yeux viennent à l’annonce de la mort d’un qu’on ne connaît pas, mais dont les mots ont touché juste. Dans l’humain, dans le vrai.
Il nous reste à ouvrir les livres qu’il nous tend.
Parfait, le cercle de Blanchot se referme.

27 mai 2002
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