Chemins de sable


La dune

Avec les rêves, on se trompe moins ou même pas du tout sur les dunes chaotiques, les caoudeyres, les barkhanes, sur les choses de l’eau, les pinasses, les pignots, sur les choses de la plage, les minéraux lourds qui constituent les grains de sable si légers et les petites dunes vives qui varient en fonction des vents et de l’espacement des oyats . . . les rêves sont d’une exactitude absolue. Je feuillette un album de rêves et je regarde au hasard une photographie de la dune. Avec sa hauteur variant de 80 à 110 mètres, environ, le monument de sable blanc borde les Passes d’entrée du Bassin et l’ouverture de ma mémoire. C’est sans doute le souvenir de sa couleur uniformément éblouissante sous la lumière de l’été qui m’arrête devant cette dune si blanche encore au milieu de tant de gris bleu, d’un temps si gris bleu.


La marée basse

Je garde toujours à l’esprit certains paysages de mes rêves. Celui qui me faisait préférer quand il n’y avait pas d’eau, quand il fallait marcher longtemps dans le chenal vaseux pour atteindre le Trou de Jeannette, pour se baigner enfin tout au bout de l’estran dans un creux d’autant plus profond et mystérieux qu’il était absolument noir. Au retour, et bien sûr sans patin à vase, à quatre pattes sur les varechs gominés de près, des palourdes et autres bigorneaux se laissaient cueillir sans histoires, sauf les coups de soleil dont il était encore question huit jours après quand la peau s’effeuillait toute seule. Qu’il fasse beau, qu’il fasse sombre ou que le près salé soit indécis avec seulement trois taches de soleil sur la plage, à ce point là des eaux, les yeux gris bleu du parqueur paysagent le goût du vide. Le Bassin dessine une courbe, une sorte de lac, d’enclos. C’est un lieu très sensuel, un véritable corps.


La maison

La plage était située à l’extrémité de ma rue. La maison, à l’autre extrémité, était une typique petite Arcachonnaise en rose et rouge sur un fond gris. Distribuée en longueur, avec ses pièces en enfilade donnant sur petites terrasses aux portes-fenêtres en bois, elle nichait son toit de tuiles entre de grands arbres toujours verts. C’est ici tout à l’intérieur que se visitera un jour le jeu de « la soupe aux lettres ». Apprendre à lire est difficile et la grande dame à la disponibilité infinie garde très vive en elle la sensation physique d’un affrontement avec d’opaques caractères d’imprimerie si peu que peu transparents. Elle avait cédé pourtant, elle avait franchi le passage douloureux, elle n’avait plus peur de l’arbre mort, elle avait appris à lire et, miracle de la lecture, une voix gris bleu n’avait plus jamais cessé de lui parler quand elle s’était mise à écrire.


L’île

Aussi longtemps qu’elle flotte, l’île existe. Les plages sont encore plus belles ici, surtout juste après le reflux par lequel elles se laissent recouvrir pour ne plus former qu’un minuscule îlot. Les cabanes tchanquées le surlignent du haut de leurs pilotis où tantôt elles sont les pieds sur le sable, tantôt le pas de porte à la hauteur des premières vagues. Entièrement soumis à la marée, le rivage est aussi étincelant que la mer qui se gonfle et se dégonfle au rythme des aller et retour d’un Casanova au regard gris bleu. Le sable n’est pas plus actif avec l’eau qu’il ne l’est avec mon doigt quand j’y inscris les lettres de son nom. La plage n’écrit pas, elle est seulement disposée à écrire, elle se tient tranquille et consent. Le marécage n’est qu’un acquiescement. On ne peut pas faire une image visible des chemins de sable.


Toutes photographies copyright Laure Fritsch

28 juillet 2006
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