2/12. Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant

Le point commun entre Richard Wagner et Boris Vian ? Gustave Flaubert et la chienne Laïka ? Joseph Beuys et Dalida ? Celui qui unit à Eugène Weidmann …“ dernier condamné français à être exécuté en public le 17 juin 1939 à Versailles …“ au boxer Jimmy Doyle tombé sous les coups de Sugar Ray Robinson ?
A devinette basique, la réponse est simple : tous, un jour, sont morts. Et tous se retrouvent dans un ouvrage, patiente collection établie par Stéphane Audeguy.

Après s’être intéressé aux nuages, au frère inconnu de Jean-Jacques Rousseau, à la douceur et aux monstres, et simultanément à la publication d’un nouveau roman situé au Kenya [1], Stéphane Audeguy livre un recueil de décès fameux ou non (morts de personnes célèbres, ou qui devraient l’être, précise l’auteur). Il s’agit de faire collection, de dresser catalogue, et de relater, en peu de mots, parfois une phrases, parfois un court paragraphe, le décès d’un personnage.
L’exercice tient à la fois de l’inventaire et de la brève nécrologique. L’un après l’autre, les décès tissent une vanité littéraire, et brassent tous les sentiments.
Ainsi, on passe du cocasse :

Tennessee Williams, auteur dramatique

En ouvrant le 25 novembre 1983 un tube de médicaments avec les dents, Tennessee Williams mourut étouffé par le bouchon.

Au tragique :

Thierry de Martel, médecin

Le 14 juin 1940, il se fit une injection mortelle de strychnine, au moment où les troupes nazies pénétraient dans Paris.

Du burlesque :

Adam, premier homme

Il eut beaucoup d’enfants, perdit le deuxième, Abel, dans des circonstances particulièrement douloureuses, et mourut à 930 ans.

Aux testaments trahis :

Luigi Pirandello, écrivain

Dans son testament, il demanda que sa mort soit passée sous silence ; qu’on n’envoie ni faire-part ni condoléances ; que son seul vêtement soit le linceul ; qu’il n’y ait ni cierges ni fleurs ; que le corbillard soit celui du pauvre ; que l’enterrement soit de la dernière catégorie ; que personne n’accompagne le convoi ; que personne n’assiste à l’ensevelissement ; que son corps soit brûlé, que les cendres soient dispersées. Mais ses amis, comme font toujours les amis, le trahirent ; ils enterrèrent l’urne de ses cendres au pied d’un pin, dans la ville d’Agrigente, en Sicile.

Il faudrait tous les citer pour rendre honneur à l’ouvrage. Le catalogue des morts laisse un arrière-goût doux-amer, le tragique côtoie facilement le dérisoire. Curieux projet que celui de ce petit livre, curieux et passionnant, car à force de parler de la mort, on se rend compte qu’elle nous échappe, que rien ne se dit qui soit consolation ou raisonnable. A mesure que la mort se raconte, elle se dérobe. Elle a beau se dire, se détailler, se révéler dans mille anecdotes, elle a beau être décrite, chantée ou pleurée, la mort demeure toujours hors du dicible. La langue est muette lorsqu’il s’agit de l’appréhender vraiment. Ou, à défaut d’être muette tout à fait, la phrase ultime s’évanouit avant d’être consignée, comme ce fut le cas pour :

Albert Einstein, physicien

Il prononça en allemand quelques mots juste avant de mourir mais l’infirmière de l’hôpital de Princeton qui était de garde ne parlait pas cette langue, et ne sut les répéter.

In memoriam, de Stéphane Audeguy. Éditions du Promeneur.

2 février 2009
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[1Nous autres, éditions Gallimard