Désordre du jour

"Nul ici n’ignore / l’importance des petits riens", Henri Droguet


Le désordre peut être un allié sà»r. C’est dans sa nature de s’inviter làoù on ne l’attend pas. Il déjoue le prévisible. Débarque sans crier gare. Parfois ne bouscule rien et passe en un éclair sans laisser de traces tangibles. Reste pourtant àle sentir, ànoter ses brusques et étonnantes répercussions. C’est ce àquoi s’adonne Henri Droguet. Qui ratisse large et s’appuie, comme àson habitude, sur les sautes d’humeur d’un océan qu’il vénère et qui ne se fait jamais prier pour ajouter son grain de sel àdes poèmes déjàfortement iodés.

« Â Blessé tenant lieu tu sors
du noir bleu convulsif et le sombre
barrissement dans l’ouest et partout
de l’océan parolier
qu’inlassable sauvagement tu récoutes.  »

C’est posté près du rivage qu’il reçoit les nouvelles en provenance de l’autre côté de l’eau. La météo en est grande pourvoyeuse. Habile àenrayer la belle mécanique du temps calme, elle sait comment (aidée par les vents dominants) retourner la situation, comment noircir le tableau, comment crever un ciel de suie, comment arroser terre, hommes et bêtes et ce jusqu’aux os.

« Â Il repleut pleut re-
pleut ha les effaçures
aux soirs aux matins la lumière
ténuement qui s’opacifie
àl’entrelacs le guingois des ganivelles
aux jardins et taillis buées d’os  »

Henri Droguet n’est pas seul àl’affà»t. Il se fait rincer en compagnie. Avec, entre autres, sortis de leurs lointaines retraites, Noé, Crusoé,  la bande àGodot et M. Sapiens, tous fidèles au poste et prêts àse retrouver plus tard àl’auberge du coin (« Â Chez Abel et Caïn  ») pour décortiquer ensemble ces désordres qui fourmillent en donnant du relief àla vie. Ce sont d’infimes et précieux dérèglements qu’il récupère alors. Il les cajole, les affectionne. Les sait capables de percuter ses émotions, de passer àtravers le filtre du corps et de l’euphorie pour ressortir en poèmes hautement chamboulés, chargés de belle énergie, charriant chants, dé-chants, plaintes, complaintes, contes, comptines et expressions usuelles carrément détournés.

« Â Le bel enfant trop bavard et
pas couché de bonne heure
compère a vu le renard
rouquin vif grimper la folle chienne
entendu lanturlu
monade des monades l’inconsolé
nomade et ténébreux chérubin le bougre
divaguant bougonner  »

L’étrange alchimie ici concoctée ne peut se réaliser pleinement sans cet humour que Droguet manie avec dextérité et légèreté. Il ne se prend pas très au sérieux. N’oublie pas qu’il dispose d’outils bien trop précaires pour parvenir àrépercuter toutes les variations de ces paysages habités qui bougent, vibrent, parlent, déparlent. Sur mer mais aussi sur le rivage, sur les murets, dans les landes, les prairies, sous terre et là-haut où circulent des nuées d’oiseaux qu’il faut également songer àquestionner. Tache immense. Que d’autres poètes – qu’il salue – ont commencé bien avant lui, et qu’il poursuit hardiment avec ces poèmes toniques, aux sonorités qui déferlent, dopées, cadencées par des volées de préfixes, allitérations, néologismes, interjections et répétitions qui insufflent toujours plus de rythme àl’ensemble.


Henri Droguet : Désordre du jour, Gallimard, 2016

Un autre livre d’Henri Droguet vient de paraître. Tout aussi tonique et haletant (et par làmême chaudement recommandé) il s’agit d ’un recueil de huit nouvelles, Faisez pas les cons !, éditions Fario.

29 décembre 2016
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