Andrea Inglese | Mes adieux à Andromède

Ce texte est extrait de Commiato da Andromeda paru aux éditions Valigie Rosse en 2011.

Andrea Inglese sur remue.


 

Jeunes filles, regardez-y à deux fois
Avant de dédaigner un pauvre monstre.
Ainsi que cette histoire vous le montre,
Celui-ci était digne d’être le plus heureux des trois.

Jules Laforgue.

Io non ti compro un sottomarino, ti compro un transatlantico.
Piero Ciampi.

 

Quand l’histoire d’amour de neuf ans, la plus importante, la plus longue et la plus intense, a commencé à s’écrouler, et moi avec elle, à éclater en plusieurs figures probables, ou rien qu’amorcées, indécises, quand, disais-je, notre amour si solide et évident devint un morceau improvisé jour après jour et qu’on ne pouvait donc plus rien prévoir vraiment, mais que tout devait être exposé, expliqué, imaginé à nouveau à chaque minute pour qu’il manifestât, après franche inspection, un sens quelconque, à cet instant précis, pendant cet intervalle déchirant, La Libération d’Andromède de Piero di Cosimo, dont la reproduction était restée collée au moins trois ans dans les toilettes – la salle d’eau des Français – sur le mur en face de la porte, eh bien ce tableau, que j’avais absorbé au fil du temps comme on absorbe le paysage découpé par une fenêtre, m’offrit une clé globale et précise pour sortir des ténèbres et avec clairvoyance trouver une trame différente, plus adaptée, pour organiser mon histoire amère, mon histoire brisée en morceaux.

Le tableau est étrangement très peuplé, il semblerait qu’il y ait beaucoup de figures, trop peut-être, tant et si bien qu’on les oublie vite, impossible de les retenir toutes, et même en les énumérant, avec la cadence mathématique implacable qui isole et définit, même alors quelques-unes d’entre elles échappent au décompte, se dérobent à la somme finale : combien de personnes y a-t-il, en définitive, rassemblées sur la plage, et éparpillées sur tout le paysage ? Les groupes de personnes en premier plan, de véritables agglomérats, empêchent un recensement serein : sur la gauche surgissent des couvre-chefs (turbans, chapeau en paille avec plumes d’autruche), il faut guetter chaque tunique, jambe, pied et soulier, et sur la droite l’intrusion discrète, partielle, d’un visage. Si l’on exclut le couple protagoniste, les spectateurs du drame – qui pourtant lui tournent le dos – pourraient être vingt-deux, mais en étendant la vue aux collines, promontoires et villages que l’on arrive encore à discerner, on peut en ajouter vingt-deux autres (figures humaines, anthropomorphes), mais j’en oublie certainement quelques-unes, les plus reculées, cachées dans les plis du coteau sur la gauche, autour ou juste en dessous des deux grandes fermes, et il est d’autant plus difficile de distinguer les vivants des statues dans le groupe de figures qui peuplent, à droite, le village et ses environs, surtout si, et c’est mon cas, l’on observe la peinture dans une unique reproduction, grande comme une feuille A3. Je ne veux pas trop m’occuper de cette foule qui se comporte de façon imprévisible et désorganisée, qui ne semble pas appartenir à la même famille, et qui, par ailleurs, plus que comme un clan ou une communauté, agit comme une multitude, animée par des passions et des intérêts divergents : certains, harassés par la douleur, ne parviennent pas à rester debout, plient les genoux, se tordent au sol, et n’offrent pas même le visage au spectateur tant il est défiguré et rompu ; d’autres, au contraire, dansent et font de la musique avec une impudence affichée, comme s’ils ignoraient toute calamité, ou justement pour surmonter la menace et le chantage des deuils à venir, en lançant un exubérant air de joie à travers les notes d’étranges instruments à cordes et à vent, que très peu de musicologues parviendraient à reconnaître comme l’emblème pittoresque d’engins ayant réellement existé et non pas le caprice d’un homme absorbé et talentueux dans le trait et la couleur. Il faudrait en réalité se consacrer à ces figures réunies en bandes opposées sur la plage, les souffrants et les jouisseurs, les rompus et les réjouis, les déroutés et les heureux vagabonds, il suffirait de se laisser emporter par cette mêlée émotive, alternant dans une berceuse hypnotique joie et chagrin, rires et larmes, pas de danse et spasmes nerveux, il suffirait de ce rythme humain, élémentaire, pour calmer l’esprit qui veut, lui, tisser histoires, biographies, rôles et épisodes. Mais derrière le groupe bariolé des vingt-deux, trois figures décisives se dressent, quatre plutôt, car l’une d’entre elles apparaît dédoublée : il s’agit d’une femme à moitié nue, d’un monstre qui encombre (un cachalot hybridé avec anaconda et dinosaure) et d’un guerrier agile et téméraire. La femme, comme dans beaucoup de rêves érotiques, a les bras liés et offre son corps dénudé de la taille à la poitrine : une robe blanche, ou un drap ordinaire, l’enveloppe soigneusement, en lui couvrant les jambes et les avant-bras. Son sexe apparaît et disparaît, il est suggestion : le tissu qui lui serre la taille se plie vers le bas, à la hauteur du pubis, de telle sorte que la pensée, vorace, aveugle, y insiste. Mais c’est la pose, de total abandon, la tête penchée sur l’épaule droite, les yeux entrouverts (qui peut le dire ?), les seins poussés vers l’extérieur, le buste légèrement courbé vers le sol, c’est cette condition d’esclave sexuelle, désormais soumise au carrousel de sévices que son tortionnaire lui réserve, c’est cette lassitude qui la rend d’une certaine façon intolérable au regard, jamais trop longtemps véritablement contemplée du spectateur, qui préfère déplacer son attention vers le monstre, qui se dresse, lui, terrible et vaincu, renversé de trois quarts, au centre du tableau. Et au-dessus de lui, presque sur la pointe de pieds, discrètement, l’exécutant au travail, le jeune tueur armé d’un sabre : Persée.

De toutes les figures, bien qu’étant la moins arrangeante, celle du monstre (le cétacé dragoniforme) est certainement la plus fidèle : elle se laisse regarder sans arrêt, attire vers elle la curiosité têtue des vivants, l’indiscrétion des spectateurs, la grossièreté de ceux qui ailleurs, au-delà d’eux-mêmes, cherchaient une issue : un malheureux épisode à contempler, à peine compatissants, assoiffés d’une revanche bien connue. Le monstre est là, parfaitement plongé dans son rôle d’opprobre, stupide et dangereux, mais néanmoins, d’une certaine façon, pudique : il offre la jugulaire à son bourreau, s’effondre sur un flanc, se porte candidat pour être, avec l’accord de tous, toujours abattu. Le monstre a d’étranges barbes fauves, qui toutes vibrent sur la partie postérieure de son profil, alors que de ses narines il fait gicler des barbilles d’eau et regarde Andromède, avec une plausible tristesse : il sait qu’il ne la reverra plus, qu’il ne l’a jamais possédée, qu’il n’a pas eu le temps, à cause de ses nombreux engagements de ravisseur, de s’octroyer un instant de paix avec elle. Persée est discret et charmant : il tue avec une élégance désarmante, pliant le bras vers soi, comme un joueur de tennis préparant un revers hors normes, de telle sorte que le sabre reste un instant suspendu derrière sa nuque, avant de tomber, sec, sur la gorge du dragon aquatique.

Dans cette histoire en rien linéaire ou moralisante, mais insinuant sans arrêt le doute, comme si tout s’était déroulé trop facilement, sans effort ni véritable friction, si ce n’est pour réserver à plus tard d’imprévisibles et funestes surprises, dans toute cette tension inachevée, qui grandit à la toute fin au lieu de s’atténuer par un exutoire cathartique, les vagues, elles, accomplissent un ajustement miraculeux : elles épongent tout contentieux, dette, retard, dommage involontaire. Cette broderie de vagues, onirique et ironique, vague et scientifique, est un message toujours actuel de calme et de maîtrise de soi. Chaque vague, en effet, se rattache à une force épouvantable et dévastatrice qui, pourtant, a été domptée avec classicisme, parachevée, enfermée dans une cylindrique expression des eaux : ces reptiles torsadés qui – enfin apaisés, épousés – forment le lieu même du monstre et de l’épisode qui se déroule et se propage autour de lui à travers berges et promontoires, chagrins et bagatelles, pieds ailés et poitrines apparentes. Les vagues concentriques, solides et bien polies, endiguent ainsi le tout, tendues comme corde d’arc repoussant de chaque côté les rives et les clans de droite et de gauche et arriment au centre le monstre de manière à ce qu’il serve, de nuit comme de jour, par le vent et par la pluie, de passerelle, de soubassement, de piste d’atterrissage à l’attention du héros, le Persée volant, un peu Flash Gordon un peu Yves Klein, faisant son saut de l’ange par la fenêtre.

Mais comment toute cette chorégraphie généreuse est-elle profondément gravée dans certains destins, dont le mien et celui de mon amour perdu, cela reste à dire, à démontrer peut-être, mais c’est un fait : par suprême évidence. Cette histoire, si bien dessinée et dépeinte, composée et colorée, parle de moi, de la façon que j’ai eue d’interpréter, pendant neuf ans, mon rôle d’amant, et parle d’elle, de son rôle à elle, et de comment nous nous sommes retrouvés, à deux, happés dans la même intrigue, un monstre à la main, désespoirs et bonheurs, larmes et danses, toujours en mouvement, bercés par l’énormité de la tâche. Le monstre d’Andromède était le dégoût et la terreur vis-à-vis de la vie, c’était le désespoir qui régulièrement surgissait des flots, secouant et renversant, gonflant des vagues et les écrasant sur la rive. De ce désespoir grabataire Andromède était la victime, la prisonnière et l’esclave : son corps docile s’offrait au regard sur le point d’être dévoré. Andromède avait le charme lancinant de l’extrême vulnérabilité : enchaînée, dénudée, immobile face au pire des dangers : le dégoût de vivre. Et j’étais Persée, c’est-à-dire le héros, convaincu de mon métier, bien équipé, prompt dans mes élans, rarement j’arrivais en retard ou passais un tour. J’avais une certaine aisance avec le monstre : en dessus et en dessous des eaux, à travers ses barbes hideuses, courant sur sa queue turgescente et visqueuse, j’avais moi-même largement traîné. J’étais familier avec chaque fond, chaque profondeur marine, avec chaque puits et chaque grotte, avec chaque trou, écaille, tentacule, avec le brun désespoir. Je savais, avec la grâce du héros au pied ailé, m’approcher de lui alors que des paladins plus virulents et solennels auraient hésité, trop attendu ou bien l’auraient furieusement attaqué pour finalement être engloutis. Moi, j’allais et venais du monstre, en jouant sur les temps longs, sans être impatient de clore le match, mais sûr qu’un jour ou l’autre il ne referait plus surface. Car le but de la mission n’était pas de se résigner aux corps à corps cycliques, il prévoyait une blessure mortelle, la disparition finale de l’antagoniste et le triomphe sur la plage des musiciens aux rameaux flottants.

(Par ailleurs, tout le monde le sait : s’il y a un monstre, presque toujours il nous appartient. C’est saint Georges qui sécrète le dragon, saint Georges tout entier est une machine complexe marchant à énergie animale, avec la chambre de compression en métal – l’armure – et le filiforme tuyau d’évacuation, la lance, d’où siffle, en prenant poids et forme, s’enflant d’un seul coup, l’écailleux, le limoneux dragon. Désarmé et désarçonné, on ne distingue pas saint Georges du monstre, il le porte dans ses entrailles, le monstre le suit comme une ombre, il reste collé à ses gestes ; mais une fois monté le solennel appareil, avec le destrier, la selle, le tabar, la cotte de mailles, l’armure et le heaume, le fourreau, l’épée et la lance, le harnachement et la crinière, une fois l’ensemble bien ajusté, uni, boulonné, le monstre est prêt pour être distillé par saint Georges : à force expulsé, il jaillit en dehors, séparé et solide, à une distance suffisante pour être pointé, attaqué, enfourché. L’extroversion du monstre implique une noblesse d’habits, de solennels frottements de cuirasse, gonfanons et chevaux triés. Un indigent, sans alambic en acier ni quadrupède, portera le monstre sur soi, cela se lit sur son visage : c’est pour cette raison que, quand la foule le happe, sans trop séparer le dedans du dehors, elle lui passe la corde au cou, comme à un seul homme, à l’indigent et à son monstre, car personne ne les distingue, vivants ou morts.)

(Les monstres ne sont pas tous pareils et plusieurs sont les solutions de jonction entre l’élégance urbaine et l’abomination rurale ; les femmes, par exemple, s’en servent souvent comme d’une balance, d’un tapis de course, dérivé du vélo d’appartement : la Sainte Marguerite de Giulio Romano – au Kunsthistorisches Museum de Vienne – avec une indifférence blasée y pose son pied gauche, presque à vouloir tâter la consistance du conduit vaseux en caoutchouc, déjà fissuré, le gouffre ouvert face au spectateur, mais néanmoins toujours enflé et pulsant, convexité maligne, aberrant reptile, qui toutefois entraîne et raffermit les jambes de la sainte, telles qu’elles apparaissent à travers sa chaste tenue, toniques et pleines. Un sport surveillé, une lutte narcotisée que celle entre le gigantesque serpent et la jeune Marguerite, à moins qu’il n’affleure une tout autre signification et qu’il ne faille renverser la physionomie : un satan qui se pelotonne comme un chat contre la sainte, dans un état d’abrutissement béat, et elle, presque distraite, se laissant effleurer les cuisses et le bas-ventre, tous les deux immergés dans le vibrato grave, hypnotique, des ronronnements. Une chatterie amoureuse obscène, donc, avec le mâle nu, implorant, se faisant ver-de-terre rien que pour un genou où bavouiller, et la femme glaciale, enveloppée dans sa tunique de distinction, à l’opposé de comme la voudrait encore aujourd’hui le cinéma, qui dévêtit à la hâte la femme et fit copuler l’homme encore en maillot et pantalon de flanelle. Qu’on n’oublie pas non plus la gym de la Sainte Marguerite du Louvre, où Giulio Romano et Raphaël conjuguent leurs méfaits visuels, en proposant une sainte qui semble presque pédaler sur son démon, en actionnant de la pointe du pied son aile de cartilages, la gueule entrouverte tel un tuyau d’échappement. Cette aisance féminine avec les monstres, en même temps athlétique et sensuelle, cette façon qu’elles ont de poser le pied sur eux, comme pour les faire délirer de tout cet éros s’ils étaient un minimum fétichistes et avides de se faire marcher dessus, cette aisance n’est-elle pas plus surprenante, en définitive, que l’appareil clinquant de tous les saints Georges ? Ces grosses larves lucifériennes ne sont-elles pas enfantées en silence, peu de temps avant que le peintre n’arrive avec son chevalet et ses pigments et se mette avec zèle à observer, transposer, esquisser ? Peut-être expulsés même du saint sexe, mais lentement, comme un liquide huileux qui s’épaissirait une fois à terre, en se gonflant et se faisant dur et cylindrique, avec des squames, un appareil digestif, une dentition, et des branchies, même, des ailes de chauve-souris, une queue crantée multiple ? Pire encore, ces saintes Marguerites ne sont-elles pas rompues à cette poupée-gonflable, version piton ou brochet disproportionné ? Et après l’avoir gonflée, n’en jouissent-elles pas à coups de généreuses talonnades ?)

Tout ce long malentendu qu’avait été l’histoire d’amour, qui comme chaque amour semblait édifier sa durée sur la compréhension, bien évidemment pas seulement verbale, et non plus sur une simple affinité de visions ou accords des affections, mais sur un jeu calibré de fantasmes et de désirs, de rêves et d’attentes, qui trouvent quotidiennement des surfaces, des appuis, des soutiens pour se relancer, pour alimenter la folie réciproque, car rien d’autre n’est l’amour sinon ce malentendu prolongé, simulant un paysage définitif, alors que chaque amour est saisonnier, soumis à l’équilibre instable entre ressources oniriques et preuves du réel, entre mensonges climatiques, froids extrêmes ou sécheresses impromptues. Et après un temps plus ou moins long, le point de vue se décale, en brouillant proportions et alliances, et chaque atome de la maison, chaque ligne et chaque point du paysage tombent dans une position différente, comme si le bonheur amoureux n’avait été que la capacité de garder sa propre place dans un tableau, calmement immergé dans sa chorégraphie, chacun satisfait de sa propre pose, jour après jour, recréant une circularité de tensions, de poussées et contre-poussées, parfaitement exprimées et malgré cela retenues, absorbées. Mais quand, insensiblement, chacun glisse ailleurs en se dégageant de sa propre figure comme s’il s’agissait d’une curieuse constriction et non pas de la courbe naturelle du corps et de l’esprit, c’est alors que l’équilibre psychotique se brise, des vagues de réalités envahissent la scène de tous les côtés sous forme de détails obscènes et inquiétants qu’aucun ordre de lignes ou faisceau de couleurs ne peut apprivoiser : ce fut ainsi, après de longues années, entre Andromède et moi, quand nous avons commencé à naviguer dans les morceaux, dans les détritus d’un tableau qui ne tenait, qui ne nous tenait plus ensemble.

C’est pour cela qu’à la fin, brisé le cadre, éjectés hors de notre orbite annelée, nous nous sommes éloignés, à vitesse croissante, les phrases les plus banales devenant inintelligibles une fois prononcées, et toute tentative d’analyse, de récit, de baume conceptuel, tout effort de circonstancier les faits, toute vérification historique, s’en remettait à l’onirique, à des ombres ou des hallucinations, à des voix intérieures, sifflantes, et non pas à des phrases enregistrables et sonores. Sans une misérable goutte de réalisme, telle est la catastrophe amoureuse : la sortie du tableau, de la saison fertile. Quand un amour meurt ou explose, l’exercice étiologique s’impose, inévitable et masochiste : fût-ce à cause des trahisons (nous nous sommes trompés, mutuellement mais différemment), des défauts caractériels (nous en étions riches tous les deux), des malheurs d’un destin adverse (maladies, accidents), fût-ce à cause de l’argent (la différences des patrimoines, des salaires), à cause de l’égoïsme, de l’égocentrisme, du narcissisme, ou bien de l’auto-agression, de l’autocastration, du décadentisme ? Fût-ce à cause de pannes de l’esprit ou d’éclatements de la matière, d’obstacles tangibles ou de menaces imaginaires ? La torpeur mélancolique, tel un somnifère d’abord, puis comme une lame glissée en biais dans la chair, résout finalement le tout, l’enquête et les comptes : en toux, spasmes, larmes : c’est le film, c’est la vie, la vraie, la seule véritable souffrance que l’on connaisse – disait un poète – est celle de l’amour.

Ce n’est qu’en étant dans les morceaux, comme un enfant jambes ouvertes face aux pièces éparpillées du puzzle – trop de pièces – que l’on commence à douter qu’il y ait eu un contour précis, ou une extension des figures, au moins, qui ait inclus tout ce qui paraît, aujourd’hui, verbalement opaque, incapable d’être une trame, de cause à effet, d’avant et après, linéaire développement de biens, jusqu’à l’intromission du mal, à l’agonie, ou à la déflagration. Il n’y a d’histoire qui soigne, ou sorcellerie d’explications, car dans l’esprit toute vérité sur l’amour défunt se meut, volubile et par traîtrise, comme dans un petit théâtre héraclitéen, ou dans un livre aux caractères magiques et changeants. Déterminant fut dans mon cas le hasard, trop rusé pour ne pas se donner le titre de destin : la reproduction de la Libération d’Andromède de Cosimo, accrochée dans les toilettes, pendant les années de cohabitation avec Andromède, sans qu’aucun de nous deux, ni elle ni moi, ne nous appelions par nos noms les plus adéquats, Persée et Andromède, vu que notre malentendu était ici même clairement recelé et minutieusement représenté, dans cette peinture, dans cette reproduction de peinture, jour après jour vue et revue, déraisonnablement ignorée.

Traduit de l’italien par Eloisa Del Giudice. Traduction publiée par Art Fiction éd.

15 juillet 2015
T T+