Notes, section 3 (Léo Henry)

Dans le cadre de la résidence Hildegarde en Charybde, je me suis replongé dans mes petits carnets, dizaine de recueils de notes emplis ligne à ligne, année après année, dans lesquels je reporte aussi bien des états d’âme que des bribes de travaux en cours, des manuscrits, des rêves, des lectures, des descriptions in situ, des idées, des recettes de cocktails... L’idée était de relever, depuis la toute première (fin 2006), chaque mention du gros livre dont j’achevais le premier jet. Il me semblait que ce serait, sinon riche, du moins instructif sur le travail littéraire, et le point de vue mouvant qu’un auteur peut porter sur son propre processus au fil du temps… Achevant de relire la longue litanie que vous allez découvrir, j’y vois surtout énormément de lamentations et d’atermoiements, entrecoupées de vagues poussées mégalomanes. Sans doute manque-t-il à cette énumération quelques éléments de contexte trop intimes. Certainement, aussi, cette compilation est-elle moins représentative du travail effectué que de mes propres instants de doute ou de malaise. Je vous la confie tout de même, comptant sur votre légendaire bienveillance – voire : indulgence – de lecteur.


Léo Henry, 20 avril 2015


(les années précédentes : volume 1, volume 2
Notes, section 3


20/08/14
Le stress du travail qui revient et la joie de finir un peu de taf.

Il faut se (re)mettre au travail. Faire un gros beau chapitre de 150 ks pour Hildegarde.


27/08/14

Haguenau. L’église Saint-Georges a été construite du vivant d’HdB (sauf la tour octogonale et le transept) ; un caisson haut et noir, un monolithe creusé, un cercueil au cœur de la ville nouvelle, inventée de toute pièce par Barberousse.


03/09/14

Est-ce que j’aurai la résidence en ÎdF ? SUSPENSE !

En attendant : finir cette bêtise-beätles et se remettre au feuilleton et à Hildegarde.


07/09/14

Mon travail ne touche jamais à l’imaginé, au fabriqué, mais tend à quelque chose qui a à voir avec le vrai. Je ne parle, au fond, que de cette impuissance du langage à saisir la vérité, et c’est quelque chose qui m’est éminemment personnel (ce n’est pas ça la littérature).


16/09/14

doc Hildegarde, point de départ de la grande accélération débile de l’automne.

Demain je me mets au gros bout d’HdB sur Hildegarde.


18/09/14

Je suis impressionné par cette accélération exponentielle du temps, comme si tout devait aller de plus en plus vite, et encore. Depuis quelques années je ne vis que pour le travail et ma famille, qui m’accaparent de plus en plus. Manquent les temps de latence et d’ennui, de contemplation, de désespoir.


01/10/14

HdB au Troc. 10/30. Le bouquin avance bien. J’en devine le bout, pas si loin au bout, et je suis content et fier de monter un truc aussi absurdement dense et gavé, épais, et, j’essaie, j’essaie, vivant.


14/10/14

Le boulot est une frénésie : le Naurne et les npe, Hildegarde, Karen Fowler, le Bazaar Maniac.


15/10/14

Coup de flotte sur tous mes carnets, dont le manuscrit Hildegarde devenu proprement chiffonesque.


22/10/14

J’atteins doucement le bout du chapitre Hildegarde de HdB.


12/11/14

je termine mon 2è tiers de Hildegarde. Il fait un temps atroce.


13/11/14

Fini le 2è tiers de HdB. La Vita est dans la boîte. Revenir à du linéaire, de l’aventure, de l’épique et du magique. Je finirai ce livre. Sim senhor.


21/11/14

On a la bourse pour la résidence en Charybde ! Putain de truc de ouf ! A moi Hildegarde, les blablas, les rencontres.


07/12/14

Annie Ernaux fait une littérature fantastique, i.e. réaliste et absolument poreuse au rêve, au souvenir, au fantasme et à l’imagination. Elle fait ce que Nous faisons : de l’art avec des mots.


18/12/14
Écrire, un jour, une fresque à la Manuscrit trouvé à Saragosse ou à la Les Mystères de Lisbonne, pleine d’histoires dans les histoires et de niveaux de rencontre alambiqués. Pour le tiers 3/3 de Hildegarde ?


22/12/14

Pas d’espace pour laisser vaguer ma pensée ; il faut que me centre, me locke sur Hildegarde. Et, du coup, tout s’ouvre et chavire et se fracasse, je rêve des choses insensées et autres, ailleurs, des possibles littéraires.

Essayer, partout, de parler politique ; i.e. de comment nous agençons nos comportements, pratiques, connaissances, moyens financiers, temps libre, bénéfices symboliques, au sein des différents milieux (boulot, famille, maison, quartier, etc.) Reposer, sans cesse, la question du rapport de domination. Rendre des comptes. Poser, au moins, les questions.


23/12/14

Fini Les Mystères de Lisbonne. Blabla érudit et palpitant de Ruiz dans le livret, un vieux type qui s’en bat la race. Pour lui, la narration n’est pas l’héritage Ibsen-Shaw (le fusil de Tchekhov). C’est la novela. C’est la vie, imprévue, torrentielle et absurde. C’est Azincourt (et non Guillaume Tell).

Et, là aussi, le politique. L’absence de destinée. L’échec de la volonté. Shit happens. Puisque nous sommes vivants, essayons de vivre.

Peut-être que la narration m’intéresse, au fond. Mais pas celle qu’on cherche à nous imposer. L’histoire comme un jardin, une efflorescence. Le fantastique, le merveilleux dans HdB.


01/01/15

Notre nouvel ordinateur (ultrabook, comme on dit) est en mise en route. L’outil pour finir Hildegarde ! La poésie populaire de Roy contient, en germe, de nombreuses chansons de country. L’art populaire est, certainement, un contre-exemple et un contre-modèle à l’industrie des divertissements. Politique !


03/01/15

Débordé par le boulot accumulé, les enfants saoulés d’être avec nous, nous avec eux. Et puis : la pression des 100 k signes du mois avec encore toute la doc à faire.


04/01/15

Passé une heure dans une tache de soleil de l’Elsau, à relire les 6 premiers mois de 2014 dans le carnet précédent. Constantes préoccupations autour d’Hildegarde... Demain, retour aux affaires. Doc HdB jusqu’en fin de semaine, puis 13 jours pour le chapitre suivant. Je ne sais pas encore bien comment m’y prendre.


05/01/15

Hildegarde sur le nouvel ordi, dans la petite chambre. On ne profite guère du soleil, du ciel tout à fait bleu. Tête baissée, à essayer d’apprivoiser le monde. Au boulot, bœuf de labour.

Pas de piste pour la partie féerique. Un carnaval goliard ? Un délire, un rêve, un enchantement du langage ? Quel acteur ? Quel narrateur ? La nature comme théâtre. Les villes, les gens vus par le peuple féerique ?


07/01/15

La doc part dans tous les sens. La panique s’accroît. Le temps, entre les doigts, file.

Toujours pas de piste nette pour le prochain chapitre d’HdB.


13/01/15

Retour dans HdB à marche forcée. Le légendaire. Mon nouvel ordi est un outil parfait, au toucher, à la mobilité. Je bosse au bistro, le ventre noué par l’enthousiasme et le jus nerveux que ce boulot me tire. Trois mois denses et nerveux.


14/01/15

Du taf. Du taf. Du taf. Le chapitre musical d’HdB est finalement assez stylé. À ne pas prendre par n’importe quel bout. Un gros bouquin ardu. Vivant, un peu, j’espère. Quelle fatigue.


15/01/15

Le stress du boulot s’insinue dans mes nuits, suinte et ronge mes rêves. Trop de bruit ce matin au Troc. J’ai l’œil qui palpite, le cerveau saturé. Ce sera un long, long marathon.


16/01/15

Stress du blabla de ce soir. Je m’empresse de noter mes demi-idées : elles étaient déjà inscrites.


17/01/15

Peinarde ouverture de la résidence. Trop peu de sommeil. Des contradictions intéressantes. Préparer Minard.


26/01/15

au Troc, je finis l’avant-dernière journée de boulot sur le légendaire. Ça avance, ça avance bien. J’ai deux jours de battement en fin de semaine pour la doc, les mails, pour autre chose. Anxieux de la suite. Février va être frénétique et fou. Il faut un peu que je m’y prépare, que je me blinde.


27/01/15

Fin du « Légendaire ».

Le soir, pas satisfait du boulot accompli, impressionné par ce qui reste à faire. Fatigué, aussi. Ce sera pas mal d’un peu se reposer.


31/01/15

Le mois est fini et j’aborde, assez serein, les trois semaines folles de rencontres et de boulot.


02/02/15

Commencé ce matin le dernier gros chapitre d’HdB avec assez de bonheur. L’astuce du TU, les possibles de liberté offerts. On va voir si je tiens tout ça, avec la doc en même temps, et les rencontre à préparer.


04/02/15

Dans une heure, blabla à Malraux. Dans deux jours, Minard à Charybde. Et bosser chaque jour.


05/02/15

Du mal à garder l’énergie pour HdB, coup de barre du matin, saoulé d’avance, et pourtant il le faut (à base de coups de pieds au cul).


07/02/15

Chouette, chouette causerie avec Minard, les curieux et les potes. Beaucoup de monde, de chaleur, de bons retours.


09/02/15

Hildegarde m’énerve et me noue le ventre, et tout ce que je fais à côté me stresse et me culpabilise.


11/02/15

au Troc. Barbara à donf et moi sec, las et accablé par tout ce travail, encore, à fournir. Je suis au milieu du gué, aux 150/300 de la résidence HdB.


12/02/15

La doc HdB déborde, trop de chose dont je n’ai rien fait, trop de détails négligés, de faits recueillis et contredits. Par quel bout prendre les corrections ? HdB s’embouteille. 4 jours de taf avant la fin du mois, pourtant, c’est plutôt large. Un ou deux d’ici à demain soir. Trouver des endroits où me poser et taper. Clouer. Conter.


13/02/15

Je suis fébrile (une pleine cafetière dans la cafetière, 14h passées, une journée tardive d’HdB dans les nerfs) et me sens loin des miens.


14/02/15

Troisième étape de la rèze validée hier soir. Tout se passe pour le mieux.


17/02/15

Plus qu’une journée sur HdB pour ce mois. Des vacances en perspective, un peu de Naurne.


18/02/15

Fini février pour Hildegarde. Plus qu’un petit tiers de contes paillards, et puis la vie de l’antéchrist. 815 ks. Gros machin qui, vu d’ici, commence déjà à paraître trop court. Quelle galère ! Quelle montagne ! Et quel bonheur que ce soit bientôt plié.


20/02/15

Pour remue.net : un retour dans les archives de ces carnets autour de l’écriture d’HdB.


05/03/15

Je passe en revue et décortique les anciens carnets, un à un, à la BMS. Un fichier sur HdB, un fichier sur les rêves. Beaucoup de choses lointaines, exotiques et oubliées. C’était il y a cinq ans. Beaucoup d’idées déjà là, aussi, politiques, vivantes.


06/03/15

Fin de la semaine hors-de-HdB. Finir ce livre, ces boulots et passer à AUTRE CHOSE.


09/03/15

Demain, retour dans HdB.


11/03/15

Troc. Stress de HdB, de la remise en route de la machine après 15 j. de pause. La fin arrive, m’arrive dessus, et que sera ce livre ? (Après en avoir tant causé, créé telle attente, si le bouquin est une daube ça risque d’être duraille !)


12/03/15

TGV pour Paris. Réussi à faire mes 8,3 ks quotidiens malgré le stress. Avant-dernier blabla à Charybde. Plus que 8 (!) jours de boulot pour achever le premier jet de Hildegarde. Cette idée, même, me paraît incroyable. Finir le livre, que le livre soit fini. Wow.


13/03/15

Je passe la matinée chez Matthias à ne rien branler, trop de livres cools, pas de jus pour HdB, inhibé, plein de café, il faut que j’aille dehors, un peu, mettre ça en mouvement, et faire mes pages du jour au café, sans Internet, sans tentation.

A 15h je suis à la Maison des Écrivains, près d’un bras mort de la PC. C’est le blabla sur l’os, ce soir, qui me paralyse !


14/03/15

Train du retour. Déchiré. Dormi 5, 6 heures. Belle séance hier soir, un peu dissipée, un peu à la tripe. Journée de boulot compliquée. Plus que 5, 6 jours avant la fin de la fin, avant le terme du livre. Je l’ai fait. Je l’aurai fait. Quelle étrangeté.

Pour la première fois, je pense à HdB fini : je le distingue, l’envisage.


16/03/15

Doc Antéchrist. Plans d’avenir. J’ai à la fois hâte et peur de m’attaquer au tout dernier bout. 5 ou 6 jours de taf. A compter de demain. Encore un tout petit peu de lecture et c’est bon. Trouver la voix. Celle d’Hildegarde, enfin. (?) de Moi-HdB. Ce sera un bon gros livre.


17/03/15

Deux jours de doc intense, de construction de chapitre, de magie. Je suis prêt, je m’apprête, je me blinde pour ne pas trébucher dans ce tout dernier bout. 5 ou 6 jours de taf. 45 ks. Rien, en somme. Quelle angoisse !


20/03/15

Premier jour du printemps. Pendant que j’écrivais l’ascension irrésistible de l’Antéchrist, la lune éclipsait le soleil. Ce n’est pas perçu consciemment : la lumière baisse, j’allume, continue le boulot. Puis réalise. Quand je sors, la lumière est bizarre, grise, pâle, le soleil éclaire froid et blafard, façon film danois. Calme dans les rues. Les oiseaux chuchotent... HdB – 20 000 signes. C’est le bout du bout du bout.


22/03/15

Je relis des nouvelles récentes, toujours un peu ratées, je vois la trame, les intentions, les défauts. (Est-ce important ? Perceptible par quelqu’un d’autre que moi ?)


23/01/15

Avant-dernier jour de taf sur HdB, sauf impondérable. Restent 10 000 signes.

Les nerfs grésillent. Ma tête cogne comme un cœur.


24/03/15

Hall de gare, midi trente, grand beau. J’ai fini Hildegarde vers 11 heures. Il pèse 902 ks dans son beau fichier fusionné. Je suis fébrile encore, pantelant. J’ai bien aimé ce dernier jour de taf, l’étrange mysticisme de cette fin, mon adhésion sans distance à la voix d’Hildegarde.

Me voici sans œuvre ! Me voici désœuvré !

Dès demain, écrire autre chose. Une nouvelle, pourquoi pas ?


25/03/15

Gueule de bois. Trop bu de la fin d’HdB. Enthousiasme post partum. Le cerveau court. Rendre les livres. Passer à la suite.


28/03/15

Dernière soirée de résidence. Moulinier est drôle et entière.


01/04/15

Occupé, ces jours-ci, à dépouiller les carnets un peu dans le désordre, pour en extraire les considérations sur Hildegarde. Les rêves, les métros. Pas dans l’ordre, ma vie chaotique, fragments d’instants disjoints. Beaucoup de douleurs (physiques, psychiques, morales). Pas mal de continuité dans les projets, d’une année sur l’autre. Mon travail, plus cohérent que ma vie ou mes opinions, plus tenu, lié. Le langage ordonne, tient, rassemble des choses disparates et fugaces : nous, nos identités, notre univers. Le réel est proprement inconnaissable, insaisissable et terrifiant.


02/04/15

Dépouiller tant de temps est un labeur infini et un peu impressionnant, près de dix ans de ruminations, de musique, de danse, de route, et toutes ces choses qui changent, et celles qui ne changent pas.

Léo Henry

10 juin 2015
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