Christian Garcin & Patrick Devresse | Mini-fictions, 3. Champions

photos Patrick Devresse, textes Christian Garcin.
Une série de textes et images en dialogue, àsuivre en son intégralité ici


©patrickdevresse


Avant d’être interné, Samuel J. Philips était un biogénéticien bardé de diplômes, reconnu et respecté par tous ses confrères. Les prémisses de la détérioration de sa santé mentale apparurent évidents lorsqu’il se mit àannoncer partout qu’il entendait, àforce de manipulations génétiques, créer le surhomme parfait, qui sauterait plus haut que le champion du monde Javier Sotomayor, plus loin que le champion olympique Mike Powell, qui serait plus rapide qu’Usain Bolt àla course, que Mark Phelps àla nage, et plus puissant encore que le Lituanien Zydrunas Savickasis, qui venait de réussir àsoulever 524 kilos àbout de bras lors d’un concours de force, performance àlaquelle Samuel J. Philips avait assisté en direct dans sa ville de Columbus, Ohio, et qui l’avait fortement impressionné. Précédemment, indiquait-il, le même Zydrunas Savickasis avait traîné sur cinq mètres et pendant trente secondes douze véhicules Nissan attachés les uns aux autres ‒ et lorsqu’il évoquait ces tours de force, dirent certains de ses confrères par la suite, d’étranges étincelles semblaient jaillir de ses yeux bleus et froids.
C’est l’éthologue Peter Z. Aravantinos qui sans le vouloir précipita l’effondrement mental de Samuel J. Philips. Un soir en effet, lors d’un cocktail àla suite de la remise d’une médaille honorifique àun directeur de laboratoire qui partait àla retraite, alors que la plupart des invités s’éloignaient insensiblement de Samuel J. Philips dont la conversation répétitive et passionnée les dérangeait autant qu’elle les inquiétait, Peter Z. Aravantinos lui fit remarquer d’un ton léger et souriant qu’envisager de telles performances n’était pas si exceptionnel, attendu qu’Usain Bolt ne courait pas plus vite qu’un modeste chat, que Mark Phelps nageait àla vitesse d’une carpe (« qui est un poisson assez lent  », précisa Aravantinos), que si Javier Sotomayor parvenait àaligner les performances d’une simple gerboise il ne franchirait plus 2,40 mais 25 mètres en hauteur, que Mike Powell ferait triste figure comparé àune grenouille australienne qui, ramenée àtaille humaine, serait capable d’effectuer des sauts en longueur de 180 mètres, et quant àZydrunas Savickasis, ses performances étaient tout simplement ridicules comparées àcelles du hanneton, qui pouvait porter quatre cents fois son poids, ce qui équivaudrait, pour le jeune Lituanien, àsoulever non plus 524 kilos mais 68 tonnes àla force de ses bras.
Chacun remarqua qu’àl’énoncé de ces chiffres, les yeux bleu métallique de Samuel J. Philips clignèrent alternativement et de manière fort précipitée. Il ne dit rien, reposa son verre et quitta la salle en titubant. Le lendemain il était interné àl’hôpital psychiatrique Arnold Johnson.










Christian Garcin est écrivain, àlire notamment sur remue.net - lire en particulier cet entretien paru en aoà»t 2014,àla parution de Selon Vincent (Stock). Christian Garcin est auteur de nombreux livres chez de nombreux éditeurs - on se référera àl’excellente bibliographie du site des non moins excellentes éditions Verdier, ainsi qu’àsa notice wikipedia, pour en saisir l’ampleur.

Patrick Devresse est photographe. De lui, Dominique Sampiero dit : "Patrick Devresse est un homme qui regarde. Qui scrute doucement le réel autour de lui. Comme ça. Mine de rien. Et même parfois qui baisse les yeux en souriant. L’esprit ailleurs. Comme si poser une vigilance sur le monde et vivre étaient intimement liés."
Voir son site http://www.patrickdevresse.com/, et son parcours personnel.

20 avril 2015
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