Maë l Guesdon & Marie de Quatrebarbes | Théorie du projet Général Instin


La multiplication intrinsèque des Archives Instiniennes [1] nous permet de disposer de données toujours plus importantes, riches d’enseignements sur la vie et les productions du Général.

Nous nous proposons ici de présenter deux documents inédits issus de certaines ramifications récentes : un tract imprimé recto-verso et une archive sonore.

(Extrait de Conquête du pays Ugogo, juin 2014 - images : Arnaud Gautier)

 

Texte et son

La première spécificité de ces deux documents est leur stricte contemporanéité qui les rend précieux pour la Recherche Fondamentale : on sait, depuis les premières investigations sur le Fonds, que le Général et Adèle utilisaient différents supports pour fixer et diffuser leur travail. L’association textes-sons-images – ou haplologie – est revendiquée àplusieurs reprises dans les carnets du Général. Mais la synergie que présentent ici l’archive sonore et le tract est inédite : le texte qui est lu par Adèle dans la bande son [2] est directement extrait de celui qui est imprimé sur le tract.

 

La traversée du pays

Conformément au projet nommé par convention « Général Instin  » [3], le séjour avait pour but de trouver des « matériaux  ». Non pas des formes inédites – le général a immédiatement abandonné le concept de forme auquel il reprochait d’être trop attaché àune conception du temps « strictement chronologique  » – mais des « solidifications provisoires  » selon la formule employée dès la fin des années 1860.

Extrait des carnets de travail : « Cette boîte nous a permis d’enregistrer quelques sons du pays, en particulier le chant des oiseaux. Le chant des oiseaux est parfois un peu plus grave que celui du reste du monde, parfois un peu plus aigu. Adèle dit : ce sont des conversations. Les oiseaux parlent. Ils disent peut-être des choses àvenir. » [4]

Théorie du projet (selon le Général) : dépassement des contours comme contenant [5], repenser la succession.

 

Description de la bande son

Superpositions de lectures et captations du pays. Entremêlement de descriptions d’événements historiques ultérieurs, extraits de films – peut-être La religieuse de Rivette – et citations de Bachelard, de Luigi Serafini, Karl Ernst von Baer, Suzanne Lindelton, Lucrate Milk…

Problématique : comment le Général a-t-il pu capter en 1877 des sons de films, des citations et certaines situations historiques de la seconde moitié du 20e siècle ?

 

La boîte

Depuis les années 1860, le Général était un ami intime du typographe français Édouard-Léon Scott de Martinville. Il était fasciné par le phonotographe, machine de captation inventée par Martinville qui permettait d’enregistrer des sons grâce àun stylet fixée sur une membrane élastique. Le 9 avril 1860, Martinville fixe sa propre voix qui chantonne Au clair de la Lune.

Fin des années 1860. Invention de la boîte qui permet non seulement d’enregistrer les sons mais aussi de retranscrire et d’imprimer l’empreinte sonore du son capté sur des bandes de papier qui se présentaient en rouleaux d’une largeur de 148 mm. Impression continue en adéquation stricte avec l’enregistrement. Taille : approximativement celle d’un petit monospace familial (Nissan Prairie par exemple). La machine était montée sur roulettes.

La boîte fonctionne de façon très simple. On retrouve dans la légende les notions bien connues de voie d’air, de membrane, de lames…

Dispositif : mécanique élémentaire reliant un système d’enregistrement par double-cylindre compresseur àun système d’impression par cartouche àretardement. Le papier s’enroule autour du cylindre en Y, puis il passe par le tuyau en Z et il est conduit jusqu’au point X, où il est propulsé de N en M et redirigé vers le second cylindre R avant de sortir sous forme de rouleau en S.

L’intérêt du mécanisme repose sur ce système de ressort qui permet de passer d’un cylindre àl’autre très rapidement, par un effet d’entraînement. Le goulot d’étranglement (en W) est directement relié au cylindre àpointe (en B). Le piston àcoulisse n’est pas relié àla membrane vibrante. Le système d’enregistrement se fait sans stylet.

Dernier point : le dispositif est pourvu d’une batterie mais n’a pas de moteur. La seule source d’énergie vient des roues. Les séances de captation s’effectuaient donc en déplacement, ce qui supposait une machine très légère.

 

La traversée du pays (suite)

Janvier 1877. La boîte fonctionne. Le Général, Adèle et Martinville traversent le pays. Ils enregistrent plusieurs heures par jour les sons, le bruit des plantes, les oiseaux (chants et vols), leurs pas et leurs mouvements. Ils associent ces sons àun texte « Ã l’image de nous  » .

Enjeu technique : la traduction permanente des sons en caractères d’imprimerie, parfois en mots ou en phrases très explicites, parfois moins lisibles, en lignes ou en paysages, crée immédiatement des composés qui ont inquiété l’ensemble des troupes (ainsi qu’Adèle et Martinville eux-mêmes).

Phénomènes d’interférence du rapport lignes - sons : les prises de sons ne correspondent en rien aux paysages sonores qu’ils devaient capter. Plutôt que d’enregistrer les sons qui viennent de se déployer, les bandes donnent àentendre des sons qui se déploieront un peu plus tard, souvent ailleurs.

Conséquence : les textes lus par Adèle n’ont jamais été écrits. Les films ou livres cités n’ont pas encore été tournés ni publiés.

Le tract en pdf


 

15 novembre 2014
T T+

[1Les Archives se développent au contact les unes des autres.

[2Il est ànoter que ce document donne àentendre pour la première fois la voix de Suzanne Lindelton.

[3« Une production sensible rêvée totalement disponible et transformatrice des modalités d’existence devenant, en elles-mêmes, des questions  » (Notes sur le projet).

[4Carnets de travail.

[5Ce projet remonte àl’enfance du Général, cf. entre autres le récit des premières années de vie du Général par Marc Perrin.