La littérature est-elle soluble dans l’électricité ?


La littérature est-elle soluble dans l’électricité ?








Lorsque la lumière est apparue, la première fois, il y avait un vieil homme dans le ciel avec un zigzag, il a appuyé dessus et il a dit :

Que la lumière soit !


Quand Dieu dit Que la lumière soit !, c’est un ordre.

Quand j’allume la lumière, c’est un geste.











La lumière est une idée, un thème trop vaste, comme Dieu ou la beauté.


Il faudrait revenir à la lampe du mineur qui éclaire la crasse, l’ampoule de la cuisine qui pend au-dessus des restes de repas.

Au poêle à charbon qui s’éteint.


Se contenter de la lueur à travers le feuillage, le ciel inondé après la pluie, la première lumière du soir dans la chambre, le faible reflet de l’après-midi.


Pourquoi éclairer les évidences ? Le visage d’un homme en garde à vue, qui n’a pas dormi depuis trois jours, n’a pas besoin de lumière frontale.





Au quotidien, je n’y pense pas.


Les ampoules durent, se balancent dans le vide alors que les danseurs sont partis : violence du néon sur le fêtard qui tombe en rentrant au petit matin. C’est un aspect du jour que je n’ai pas exploré.







Sur le visage d’Andy Warhol passe la lumière des nuits blanches, des retours manqués.



Un poème n’est pas écrit à chaque nuit d’insomnie.

Il faut une condition spéciale, que l’inspiration tombe progressivement, comme l’influence du gaz d’éclairage, des lampes à arc sur la végétation, de la lune sur la fragilité du dormeur, de la splendeur de la lune quand elle est visible.

Excitation du rayonnement, beauté d’une lampe à pétrole,
abat-jour oblique sur le visage du poète.




























La physique triomphe de la poésie, on le voit dans les grandes avancées de la science, les poutres, les ponts, les phares des marins nocturnes, mais les effets du nucléaire sur le texte moderne, on ne les connaît pas.


Si l’électricité me permet de traverser une pièce sans me cogner aux murs, je préfère la lumière naturelle. Qui m’oblige à la menace de l’électrocution ? Les fils emmêlés de l’ordinateur sur le fil de la machine à laver ? La durée d’une ampoule me permet de lire un roman sans me dépêcher.

Le savant peut relire la Genèse, se laisser pousser la barbe, plonger dans les carnets de Léonard. A une époque, il ressemblait à l’artiste, les mêmes lubies, la même panique, le goût de l’hypothèse identique : regardez les brouillons de Galilée.


Le savant en blouse et l’artiste en tablier, c’est fini.


Le progrès a engendré des petites catastrophes (ampoule grillée, évier bouché).

























Sachant que la lumière voyage à une vitesse limitée, quelle est son incidence sur ma création ? Vais-je appeler mon poème :


Point du jour


Ou


Soir de Paris

Flambant d’électricité ?







La force attractive d’une rencontre, je la reconnais à la gravité de cette rencontre (le carré de la distance entre deux personnes côte à côte). L’électricité sert à mesurer le paysage, la personne, la nouveauté, amoindrit mes possibilités : dès que j’embrasse, les électrons se mettent en travers du contact.

Un coup de foudre durera le temps de remettre ma montre en marche : trois minutes + deux – une.




















Une panne optimiste donnera :


Ville dans le noir

Jour sans nuages

Lampe d’Aladin

Mes désirs sont réalisés

{}



Une panne préoccupante :


Ecrans vides

Imprimantes silencieuses




Une panne interminable, plus longue qu’une grève :


Les radios et les télévisons n’émettent plus, on n’ose pas recharger les portables, on renonce à Internet. Les ports ferment, les stations service. S’ensuit un isolement progressif, la famine, l’assèchement des océans, nos brins d’ADN dispersés.

Dès que l’oxygène manque, on se bat à mains nues pour la nourriture, les plus malins vendent leur hémoglobine dans des petits sacs en plastique, comme autrefois le poisson rouge en revenant du marché.

Qui veut un peu de ma substance contre un minimum d’électricité ?



Véronique Pittolo

26 août 2014
T T+