Pour chorus seul / À Jean-Pierre Duprey et Claude Tarnaud

Essai de Patrice Beray.


En choisissant de s’approcher au plus près des Å“uvres et parcours respectifs de Jean-Pierre Duprey et de Claude Tarnaud, deux des poètes les plus marquants de l’immédiate après-seconde guerre mondiale, Patrice Beray retrace non seulement l’itinéraire particulier de chacun de ces auteurs mais aussi les lignes de force de deux aventures qui bousculent bien des codes établis. Les évoquer dans un même ouvrage est une initiative très pertinente. L’un et l’autre (tout comme Stanislas Rodanski qui apparaît également dans ce livre) n’ont en effet jamais publié avant guerre. Ils sont, de plus, souvent oubliés par la critique et sujets àde fréquentes éclipses éditoriales. Si le surréalisme (ou plutôt “l’esprit surréaliste†, non assujetti àun modèle) est présent chez eux dès leurs premiers textes, ce sont avant tout des solitaires, des irréguliers, des créateurs discrets qui désertent volontiers. Ne désirant pas s’attacher àun territoire, ils préfèrent se rendre aux frontières (de la langue et de l’imaginaire) pour les franchir en dissimulant leur ombre, si besoin, dans l’encoignure de quelques portes.

« Â Pour l’essentiel, c’est donc en eux, fà»t-ce séparément, que ces poètes doivent éprouver “ce caractère d’existence de la liberté†que Georges Bataille reconnaît (en juillet 1946) au mouvement surréaliste dans son ensemble.  »

Patrice Beray revient, dans la première partie de son essai, sur la trajectoire fulgurante de Jean-Pierre Duprey. Celui-ci, né en 1930, a publié son premier livre, Derrière son double, (avec une lettre-préface d’André Breton) en 1950 au Soleil Noir. Il s’est ensuite consacré àson Å“uvre de sculpteur et de peintre pour ne revenir àla poésie que quelques années plus tard, n’achevant son dernier manuscrit, qu’il titre de façon prémonitoire La Fin et la manière, que quelques jours avant de se pendre, le 2 octobre 1959, dans son atelier de l’avenue du Maine.

« Â De tous les jeunes poètes qui se déclarent dans l’immédiat après-guerre, il n’est parvenu sans doute message plus désespérant, et retentissant, que celui du suicide en 1959 de Jean-Pierre Duprey, pas seulement pour ceux qui gravitaient dans l’orbe du surréalisme mais tous ceux qui en cherchaient les issues.  »

Cela n’en fait pas pour autant un poète maudit. Et pas plus un poète sans Å“uvre. Son passage-éclair est d’une rare densité. Patrice Beray le note avec justesse, en pointant les poèmes, leur force, leur capacité às’adapter au présent, et àle dépasser. Lire aujourd’hui un auteur de cette envergure (disponible en Poésie Gallimard) reste très revigorant.

Il en va de même pour Claude Tarnaud, tout aussi discret, familier du silence et également marqué par la présence de ses doubles, réels ou inventés. Il travaille àdistance, d’abord àGenève, puis longuement àMogadiscio et enfin àNew York pour recueillir nombre d’intersignes, de coïncidences et de concordances afin de jeter les bases d’un récit àplusieurs. Ce sera L’Aventure de la Marie-Jeanne ou Le Journal indien, son grand livre, qui vient d’être réédité par Les Hauts-Fonds.

Patrice Beray s’attache d’abord aux textes et àleur genèse. Il les replace ensuite dans l’époque qui les as vus naître, éclaire certaines zones plus sombres (les solitudes, les doutes, des amitiés qui se délitent) et montre enfin combien ces poètes s’avèrent éminemment actuels.


Patrice Beray : Pour Chorus seul, Les Hauts-Fonds.
Journaliste àMédiapart, Patrice Beray anime également, sur le site d’informations en ligne, un blog que l’on peut retrouver ici.

7 novembre 2013
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