Des textes qui n’avaient pas de nom

Ateliers d’écriture et résidence

par Laurent Contamin, en résidence en 2010-2011 au collège Jacques-Monod (Beaumont/Oise),
dans le cadre du dossier transversal "ateliers d’écriture en résidence"..

Formation, origines

J’anime pas mal d’ateliers d’écriture depuis une dizaine d’années, notamment en lycées (général et professionnel), avec des étudiants, des jeunes dits "en difficulté", des comédiens, des usagers de bibliothèques… J’avais beaucoup plus rarement pratiqué l’atelier d’écriture avec des enfants et adolescents.

J’ai été très peu formé : J’ai suivi quelques ateliers d’écriture animés à l’époque au Théâtre de l’Est Parisien par Michel Azama, c’était en 1994. J’ai échangé avec des collègues, notamment Bruno Allain et Dominique Paquet, sur la pratique d’atelier. Et pour ce qui est des lectures, on en revient toujours au François Bon, c’est vrai, Tous les Mots sont adultes, qui a ceci d’inépuisable qu’il n’est pas un catalogue de recettes mais un livre qui se déploie et se re-déploie en permanence, qu’il ouvre et interroge, et puis quelques autres, dont celui d’Alain Knapp, A.K, Une École de la Création Théâtrale, qui m’a sensibilisé à un cheminement de pensée intéressant et fécond.

La particularité de ma résidence, c’est qu’elle était longue, puisque j’étais au collège sur toute l’année scolaire, donc de septembre à juin. Les demandes des enseignants étaient diverses : parfois c’était juste un atelier de deux heures, une seule fois. Parfois c’était un rendez-vous régulier, sur deux mois. Parfois encore ce fut plus long, comme avec cette classe de 4ème qui a écrit Voix d’Eau, un texte mis en voix en fin d’année à la Fondation Royaumont. Le travail évidemment s’organisait différemment selon ces différences de durée et de fréquence.

Manières de faire

Enfin, à ces ateliers intégrés au rythme scolaire s’est ajouté quelque chose de plus souple : le « laboratoire d’écriture ». Cela signifiait que les collégiens pouvaient venir me voir pour écrire avec moi. Des choses très courtes s’ils venaient sur le quart d’heure de la récréation, un peu plus longues s’ils venaient sur une heure de permanence ou après la cantine. La parole était importante, des fois on passait l’essentiel du temps à discuter sans aboutir à un écrit (http://remue.net/spip.php?article3999), des fois ils écrivaient sur le tableau noir, quelques mots qui devenaient peu à peu des textes poétiques. Ils se réservaient des zones, sur le tableau noir.

Il y avait une thématique qui irriguait ma résidence : l’eau. Avec beaucoup des collégiens, j’ai travaillé sur des formes poétiques courtes : le haïku (http://remue.net/spip.php?article4089, quelques tanka aussi), le calligramme, le poème rythmique. Nous sommes partis soit de photos que je leur demandais d’apporter, dans lesquelles l’élément aqueux était présent, soit de souvenirs (http://remue.net/spip.php?article3984), soit de rêves… Avec les « petits » (les élèves de 6ème), je privilégiais le ludique, on était pas mal dans le jeu d’écriture. Avec les plus grands (3ème), on a abordé davantage l’eau dans sa dimension symbolique, notamment à partir de Bachelard (http://remue.net/spip.php?rubrique381). Mais je me suis surpris aussi à être très axé sur Bachelard avec une classe de 6ème, celle avec laquelle j’ai conçu mon Atelier de Création Radiophonique (À Vau l’Eau pour France Culture).

On a beaucoup écrit à partir de visuels, que je leur demandais d’apporter, et puis la documentaliste avait tapissé mon "laboratoire d’écriture" de posters de Yann Arthus-Bertrand qui représentaient différents paysages aquatiques, et chaque semaine j’écrivais sur le tableau un vers lié à l’eau. Souvent ce vers tracé à la craie, ces photos, étaient un point de départ pour les collégiens qui venaient me voir, ils démarraient l’écriture avec ça. Parfois aussi je les interviewais, soit sur un souvenir qu’ils avaient qui fût lié à l’eau, soit à partir d’une grille de questions "bachelardiennes" (http://remue.net/spip.php?article4291), je notais leurs réponses, leur récit, et quelques jours ou semaines plus tard, je leur donnais leur récit retranscrit tel quel sur traitement de texte. Et je leur proposais d’écrire/ré-écrire un court texte à partir de ce qu’ils m’avaient dit.

Dans le collège

J’appréhendais un peu d’être instrumentalisé par l’équipe enseignante comme un "renfort" en français, dans le cadre du fameux "programme". Et ça n’a vraiment pas été le cas, et souvent au contraire les enseignants ont fait évoluer leur projet d’année en fonction de ma présence. Je pense notamment à une classe de 5ème qui a écrit des nouvelles vraiment intéressantes sur la thématique de la robinsonnade.
Le collège m’a donné totale liberté. Parfois, pour ceux qui "voulaient écrire mais qui n’aimaient pas ça" (sic), j’ai organisé des petites improvisations théâtrales, et suite à ça on écrivait.
J’ai été déçu par contre de me rendre compte que les enseignants dans d’autres matières (l’eau me donnait envie de travailler avec les enseignants en géographie, en SVT par exemple) n’ont pas souhaité imaginer quelque chose avec moi. Malgré tout, je restais dans leur esprit associé au secteur "lettres".

La littérature en atelier

Je dirais que je travaillais, dans ce cas présent, en partenariat avec les enseignants de lettres et que je leur ai pas mal laissé prendre en main cet aspect-là, celui de l’apport littéraire en contrepoint de ma présence. Il faut, ici, citer la documentaliste, qui fut la cheville ouvrière discrète et efficace, de ma résidence, se procurant les ouvrages, les conseillant aux élèves, organisant des goûters littéraires pour parler des livres, etc. Rien n’aurait pu être aussi facile et fluide que ça le fut sans son travail permanent. L’essentiel de ce que j’ai apporté, comme livre, ce fut L’Eau et les Rêves de Bachelard. Et ces phrases écrites sur le tableau noir de ma salle, semaine après semaine.

L’auteur, dans l’atelier

C’est vrai que j’imaginais, au départ, que j’écrirais davantage que je ne l’ai fait. Malgré tout, quand on est dans une salle de classe au milieu d’un couloir d’école (le "laboratoire d’écriture" était une salle "customisée" pour l’occasion), qu’on laisse la porte ouverte en permanence pour que les élèves puissent entrer facilement, qu’on est souvent dérangé par les sonneries, les élèves qui passent, etc., on ne peut guère avancer sur ses projets personnels. Mais il est évident en revanche que mon recueil poétique Partage des Eaux (Eclats d’Encre) a été fortement influencé par l’écriture faite avec les élèves tout au long de cette année, par mon "imprégnation" dans toutes les écritures liées à l’eau, les rencontres, les discussions qui avaient l’eau comme pré-texte.

Quel Autre ?

La question pour moi a été la poésie, que je pratique, certes (http://www.laurent-contamin.net/page.php?r=23), mais de manière malgré tout un peu secondaire, étant d’abord un auteur dramatique. J’avais un a priori stupide, je pensais que j’aurai du mal avec les collégiens (10-15 ans) sur la poésie, qu’ils n’aimeraient pas ça. Et en fait la question ne s’est pas posée, car finalement la poésie, que ce soit eux ou moi, on s’est rendu compte qu’on ne savait pas ce que c’était. On s’est interrogé ensemble sur cette chose mystérieuse : qu’est-ce qui "fait poésie" ? Bien sûr on s’est parfois glissé dans des formes repérées (le haïku par exemple), mais le plus souvent, ils écrivaient "des textes qui n’avaient pas de nom". On se posait la question ensemble de savoir si c’était de la poésie ou pas. Peu à peu on a laissé tomber les rimes, les rythmes, les images trop faciles, on s’est posé la question de la vérité, de l’authenticité, du silence entre les mots, etc. On a vraiment avancé ensemble, comme deux aveugles s’aidant l’un l’autre, sur cet "Autre" de la poésie. On a même pratiqué, avec une classe de 4ème, l’écriture automatique.
C’est surtout ça que ça m’aura apporté, je crois, cette expérience, et cela m’a donné envie de continuer dans cet état d’esprit : ne pas arriver avec un savoir-faire qu’on transmet, dans un temps donné et avec un résultat escompté, mais plutôt venir avec beaucoup d’inconnu, de non-su, d’interrogations. On avance ensemble.

3 mai 2012
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