Ça va vite et pourtant

Ça va vite, la vie au LHSS des Lilas, ça va vite.
Parce que la vie, c’est de l’imprévisible.
Et on a souvent peu de temps. Peu de temps pour se connaître au-dessus des crayons et des feuilles de papier, peu de temps pour se dire et se raconter autour d’un cake aux poires :
« Moi, pendant 25 ans, j’ai été pâtissier et puis le divorce et l’alcool,
et moi, cuisinière internationale et surtout pas secrétaire comptable comme le souhaitait ma mère ; quant àmoi, pendant 14 ans, j’ai été pompier, et puis je suis tombé malade, il y a mon chat, mes amis s’en occupent, je connais plein de monde, j’attends le RSA, donc ça va aller… »
Chacun, vraiment, m’épate.
Chacun a son étrange histoire, chacun sa zone d’ombre.
Chacun n’est pas toujours celui qu’on croit.
Ça va vite parce que beaucoup de ceux qui écrivaient en septembre et octobre sont repartis (mais où ?), et de nouveaux visages se présentent :
Jean-Jacques, comme Rousseau, me dit l’un,
et Jean-Claude, comme moi-même, précise l’autre.
Or le lundi suivant, alors que je ne confonds plus leurs deux prénoms, voilàque j’apprends que J.-J. et J.-C. sont déjàailleurs (mais où ? on ne le sait pas toujours).
Ça va vite aux Lilas, et pourtant.
De l’autre côté de ma page s’est installée une lenteur inconnue, une difficulté rare, encore jamais rencontrée, alors même que rien n’aurait dà» entraver mon pas.
À quoi l’écriture, et son flux en nous diffus, est-elle subordonnée ?
Au temps ? À l’argent ? À la reconnaissance d’une institution ? Au travail acharné ?
À l’inattendu dont on guette le surgissement ?
À la peur qui saisit et fige comme glace, avant de fondre un beau jour ?
De quoi l’écriture ne veut-elle pas se mêler alors même que je suis làpour elle comme jamais je ne l’ai été, comptant àma table plus d’heures que rêvées ?
À moins que je n’y sois pas, àcette table ? Et que mon attention, toute mobilisée par les ateliers et ce souci d’être un « légitime écrivain social  », rôle ignoré jusqu’alors, n’ait dévoré toute crue l’amie sauvage qui m’accompagne d’ordinaire ?
Mais alors où a-t-elle disparu, cette compagne rythmée, aisée, confiante au fil des touches du clavier ? Oui, où ?
Qui me l’a dérobée ? L’aurais-je abandonnée en chemin, laissée àla rue et àla merci de tous ? L’aurais-je offerte au manque des autres plutôt qu’au mien ?
Aux Lilas, ça va vite sous les crayons, et certains jours, personne ne se sent capable et pourtant si, il y a toujours un petit miracle.
André nous a magnifiquement livré l’impossible de l’enfance, Joë l son enchantement,
et plus tard, tout entière fredonnée sur un air de Gainsbourg, une chanson par tous a été créée.
La confiance nous a fait avancer. Ne jamais baisser les bras et foncer, nous répète Denise dans un inventaire àne pas taire.
Alors ? Je veux sortir de ma chambre àmoi, quitter ma vue sur la Défense, me confronter, me risquer, ouvrir ce qui est protégé, rejoindre le monde.
Et si j’ignore encore ce que j’ai peut-être déjàrejoint, se donne pourtant la révélation d’un fait :
l’écriture, elle n’est ni visible ni invisible, ni présente ni cachée, ni donnée ni fuyante.
Elle est la grande imprévisible.
Et il faut juste être làpour la recevoir au moment où elle frappe ses trois coups lumineux.
Car « il n’y a pas une chambre d’écriture, et une intervention sociale. Il y a la construction par l’écriture d’une représentation du monde, làoù le monde ne s’est pas (encore) représenté lui-même […] et la difficulté essentielle de notre travail d’écrivain est probablement de rejoindre et d’accepter ce lieu du saut irrationnel, non prévisible.  » Merci, François (Bon).
Ça va vite, ce qui se passe là, et dans le mouvement des portes aux Lilas,
dans le regard des uns, les mots des autres, les amitiés, les tumultes, les échappées et les renoncements au cÅ“ur de chaque vie, peut-être sentira-t-on malgré tout cet hiver l’astre solaire bougrement chaud briller ànos côtés ?
Merci, Joë l, pour ce cadeau d’avant Noë l, offert àtous.

9 décembre 2011
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