mercredi 24 août 2011


Il est sans doute un peu décalé, en cette période de pré-rentrée, de relater la dernière rencontre au collège Françoise-Dolto, le 21 juin 2011. Je m’en souviens, les conseils de classe avaient déjà eu lieu, certains élèves de troisième révisaient le brevet avec leurs professeurs dans une région — l’Est je crois — où il ne cessait de pleuvoir (comme l’indiquait un tableau d’information à l’intérieur du collège) et j’avais rendez-vous avec les 4e 4 de Dorothée Guilbot qui allaient lire leurs textes.

Nos rencontres avaient débuté au mois de mars. Durant deux séances, j’avais présenté mon travail : d’abord la partie récit, autour de Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin et C’est maintenant du passé, puis le travail d’adaptation en BD du Journal de Yaël Koppman avec Elsie Herberstein. Elsie était venue à cette occasion et avait fait des croquis sur le vif des élèves, ce qui les avait ravis — certains étaient même restés le temps de la récré pour être dessinés.

Après ces deux séances, Dorothée Guilbot avait sollicité les élèves : Souhaitaient-ils interroger leurs proches sur tel ou tel événement et restituer cette parole dans un récit ? Souhaitaient-ils raconter quelque chose en utilisant la forme journal ?

Le 24 mai, je suis donc de nouveau avec eux et Sita lit son texte la première : l’histoire d’une jeune fille qui a fui l’Angola en guerre pour l’Afrique du Sud, avant de partir, à 16 ans, pour l’Europe. Cette jeune fille, explique Sita, c’est sa mère.
Marwa fait ensuite le récit de ses vacances au Liban durant l’été 2006, lors du déclenchement de l’offensive israélienne. Elle évoque le calme de sa mère, leur décision de se réfugier à l’Ambassade de France puis le retour en Europe, par bateau, quelques jours plus tard. Et une fois rentrés, leur départ impromptu pour l’Italie afin de profiter enfin de vraies vacances dans la maison avec piscine de la grand-mère paternelle.

Seules deux élèves se risquent ce jour-là à l’exercice et nous continuons la séance sur des extraits choisis par Dorothée de L’arabe comme un chant secret de Leïla Sebbar et de C’est maintenant du passé. Puis, pour illustrer l’idée qu’ils peuvent aussi inventer, se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre tout en donnant l’apparence du récit autobiographique, nous leur diffusons le texte de Khadi Hane (disponible ici) autour du thème « De la terre natale à la terre adoptée » en leur expliquant qu’en dépit du « je », Khadi ne raconte ni sa propre histoire, ni celle d’un proche.

Lorsque je reviens au collège, le 21 juin, ça sent déjà les vacances et cette fois, les élèves présents ont tous préparé un texte sur l’un ou l’autre des thèmes proposés par Dorothée Guilbot : récit, journal ou « de la terre natale à la terre adoptée », ajouté après le succès de la diffusion du texte de Khadi Hane que les élèves avaient spontanément applaudie à la fin.

Nous sommes donc au CDI, en présence d’Elsa Duhail, la documentaliste du collège. Les fenêtres sont ouvertes, il fait bon, et de nouveau, Sita commence. Son texte a évolué, elle a rajouté des détails, le style s’est affirmé.
Puis Dylan raconte l’histoire de son grand-père, qui durant la guerre d’Indochine a passé trois ans en prison au Vietnam. Sais-tu où ? lui demande-t-on. Non, il n’en sait rien. Son grand-père n’en parle jamais.
Noam lit ensuite l’histoire d’Alexandre le menuisier, qui quitte la Tchécoslovaquie communiste pour la France via Berlin. Le récit est haletant, il foisonne de détails qui semblent authentiques, par exemple lorsque Alexandre tape à la porte de l’association France-Libertés sans parler un mot de français ou lorsqu’il saisit soudain, en écoutant des étudiants français de gauche discourir sur les pays communistes, la profondeur du décalage entre ce qu’ils disent et ce qu’il sait. C’est l’histoire de quelqu’un de ton entourage ? demande-t-on prudemment. Non, répond Noam et jusqu’à la position de son corps indique qu’il ne souhaite pas être questionné davantage.
Le texte de Jean-Marc sur Chang, collégien sans-papiers dont la famille est originaire de Chine, est émouvant car il adopte un point de vue à hauteur de collégien (les copains, la vie au collège), très éloigné d’un discours politique ou militant.
Caroline ne cache pas le caractère autobiographique de son texte qui m’évoque Ce que savait Maisie d’Henri James. Un texte incisif dans lequel ses parents divorcés ne cessent de lui renvoyer, au moindre mécontentement, sa ressemblance avec l’autre parent, désormais détesté : « tu es bête comme ta mère » dit le père et la mère : « Oh, dépêche-toi, tu me fais penser à ton père ! »
Nasser a inventé l’histoire d’un dictateur ridicule qui emprisonne ceux qui ne chantent pas l’hymne national. Le texte est inattendu et la manière de décrire la parenté aussi : « le père de mon oncle » au lieu de « mon grand-père », « l’oncle de mon oncle », etc. Il y a des oncles partout et cette répétition donne un effet comique qui finit par attirer l’attention sur les rapports de parenté, occultant tout ce que peut faire ou dire le dictateur.
Marine raconte l’histoire d’un cyclone sur l’île de la Dominique. Une jeune femme rend visite à sa famille et se retrouve cloîtrée dans la maison, avec l’obligation de surveiller les enfants. Là encore, le texte démarre sur le cyclone, les précautions à prendre, les réserves de nourriture, etc. mais se décentre rapidement pour ne parler que de l’étouffement de cette jeune femme qui fait écho, aux dires mêmes de Marine, à ce qu’elle peut éprouver à s’occuper si souvent de ses deux petits frères (des jumeaux je crois). Mais ils sont adorables ! dit une de ses copines. Marine ne répond pas.
Kimie a quatorze ans. Elle adore le chant. Un soir, sa mère lui annonce que son père doit reprendre les dialyses. Elle se souvient alors de son année de CM2, lorsqu’il était tombé dans un coma de trois mois à cause de sa maladie. Depuis, elle ne parvient plus à exprimer ses sentiments, sauf à travers le chant. Kimie est un personnage inventé par Jessica dont le propre père, explique-t-elle, est en dialyse. Et elle ajoute : ma mère a du diabète. Et le chant alors ? demande-t-on. Il fallait juste une histoire pour entourer le truc, réplique-t-elle.
Marily raconte un épisode du conflit entre l’Inde et le Pakistan pour le contrôle du Kashmir. Cela se passe en 1965 : l’irruption de la guerre dans le quotidien d’une petite fille de 4 ans. L’histoire d’une amie de ma grand-mère, précise Marily.
C’est au tour de Léa qui, sans affectation, dit « c’est nul » puis se lance. Manifestement, Léa est timide. Le texte, bien écrit, raconte ce jour où elle a recueilli, à l’insu de ses parents, un petit chat qu’elle a appelé Fifi. Comme un manifeste, elle déclare à ses parents, au moment où ils découvrent la situation : « j’ai confiance en ce que je fais et j’ai décidé de prendre cette initiative ». Louise réagit : Pourquoi tu l’as appelé comme mon chien ?
Il ne reste plus que vingt minutes et nous avons à peine le temps de nous arrêter sur les cinq derniers textes.
Peisi évoque le départ en avion d’une petite fille pour rejoindre ses parents en France, l’angoisse de la séparation d’avec ses grands-parents, la découverte de sa chambre puis de la tour Eiffel, la rentrée des classes en « clin » (pour ceux qui ont des difficultés en français) avec Anne-Marie, la gentille maîtresse. Deux ans plus tard, la petite fille parle très bien français, elle a presque oublié sa langue natale.
Il y a d’étranges dissonances dans l’histoire inventée par Mourad : celle de Jacques Bouret « opposé à une cause » et exilé politique.
Iris décrit ce jour où elle a écouté pour la première fois Where is the love ? des Black Eyed Peas qui a, dit-elle, changé sa vision du monde.
Louise raconte l’histoire d’une surdouée terrorisée à l’idée d’être différente des autres et qui tente, en vain, d’échouer au concours qui lui permettra d’être boursière et donc d’accéder aux plus grandes universités (dont le coût annuel dépasse 5 années du salaire de ses parents).
Les deux heures sont écoulées, mais il y a encore l’histoire de Sarah à lire : celle de la jeune Sénégalaise Fatou qui voudrait aller à l’école, mais que son père veut absolument marier.

Et voilà, c’est terminé. Les élèves de 4e 4 quittent la salle. Au revoir Madame. Ne reste qu’Elsa Duhail, Dorothée Guilbot et moi, groggy et émues de tout ce qu’ils ont su exprimer — et de tout ce qu’ils portent déjà.

24 août 2011
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