Mathieu Brosseau et Philippe Rahmy | Néant_saccage

(une photographie de Vladimir GIL)

Néant Saccage, vide à combler, baiser de la reine, je m’escalade en pensant à toi, que te dire sinon ton absence, à redire mieux, Néant_saccages, pour tuer et retuer, les boîtes d’allumettes, les boîtes à sous, les boîtes crâniennes, je me profile vite, je m’arrête. Je me sais dans un recoin d’espace vierge, je me tue, il paraît que cela est bon, je me délice dans un espace à contempler,
te donner ma parole, m’engager à te respecter et à te servir en tout et toujours, à te consoler, à te protéger du mal, à te demeurer attaché dans les bons et les mauvais jours, dans la prospérité et la détresse, dans la santé et la maladie, à te rester fidèle jusqu’à ce que la mort nous sépare. Je me lie à toi sans l’église de merde, ni la république corrompue, je me lie comme la foule se rassemble et se disperse, innocente de la putréfaction des corps et de l’affirmation de soi.
Mourir d’aventure dans un espace clos, mourir d’aventure dans une vie à soi. Je me profile vite et m’arrête, il paraît que se trouvent là-bas la sphère de l’accomplir et la maladie de l’action. Boîte crânienne, roulette russe, je t’aime, hasard de ceux qui n’en font pas, je ne suis pas le hasard de ceux qui font. La délié, la touche, par le devenir, maladie du devenir, néant_saccage, tu vois les immeubles en face, ils sont là pour te devenir, ils sont là pour t’extraire d’une solitude à démettre,
je réponds à ton amour. Je suis le hasard de ceux qui font, remplaçant ce qu’ils perdent par quelque chose de plus précieux. La répétition me permet d’imaginer le temps, l’accumulation me donne l’espace. Néant saccage et le courage ténébreux mutilé jusqu’à la tête. L’indice et l’argument d’une loi élémentaire. Bruit à peine formé, roulement métallique d’un store. Je veux et j’ordonne ce gris uniformément sanglant entré par les yeux avec le pouvoir d’élire, et la rage folle instaure cette plus proche dureté, l’intelligence sans rien, une profondeur solide de limites, et l’agression de tout contre soi.
je suis d’un intérêt, presque nul, je me digère en autant de cause à devenir, c’est la marche des monstres. Je suis en demeure et me dis : meurs à chaque instant de verre, tu as les os qui craquent, tu as le nombre qui flanche, tu as l’idée d’un parasite de l’action…
Je t’offre ma vie sans l’anecdote de vivre… Le langage de la présence physique n’existe pas… Je rêve d’une écriture absente à la parole qui ne perde rien de sa rectitude et de son innocence. Je suis le parasite de l’action et de l’accompli, l’ennemi acharné de Zarathoustra, Dionysos, Wotan, de la puissance, de la facilité, du cri et de l’émotion
Dont il faudrait se débarrasser, tu as l’idée, j’ai la marche, celle du cœur, je vous aime, par dessus les élans, mais que faire de l’amour délié. Et puis la peur, le peu de temps, l’excuse du temps présent, que faire d’elle en ses actions, il y a une maladie de l’action, celle de n’être pas
la destruction de ce qui était destiné à durer, ce peu de chaque jour qui assure la survie de l’espèce. Il se peut que ceux qui auront survécu, les créatures de l’émail de chiottes rôdant vers le dôme, vers ceux occupés à manger, à lire les Essais de Montaigne, vous vous rendez compte, cette tenue de cols blancs, de machettes perlées aux griffes, aux cuisses et ces putains à museaux, de ces cages à voix serrées de colliers où pend la gourmette du cadavre, l’orteil raide, noir, onglé dans le pot à fraises, remuant pour les éclopés le spectacle de la rage au prix du caviar, la rage à la carte breloquée de putes plus sales que l’égout, disent certains, ou plus connes, ou simplement affamées, celles-là non plus ne résistent pas à la tentation de se faire du bien, qui n’est rien qu’un peu de pétrissure d’asile, tandis que les autres, ceux dont on annonce l’arrivée imminente, les sauveurs, se font attendre et que les putes s’empiffrent, c’est leur excuse, on peut leur pardonner, l’appétit, il faut en avoir dans le ventre pour commencer à faire des phrases, il faut en avoir dans le bide avant de foutre, il y aurait alors cette salle qui serait la réplique de ce qu’on appelle poésie et tout ça, il y aurait les lustres, ce fond de cale avec huîtres sur boulevard fouetté, cette parole que je te donne aussi, cette façon de jurer, de te jurer fidélité, il n’est pas question qu’elle se tienne à distance de l’image qui frappe les esprits à défaut de frapper au portefeuille cette faune vautrée dans la distraction qui veut qu’on lui en mette plein la vue, qui en veut pour son fric, tu relis Dos Passos et tu piges, tu vises ces gus à cul plat, le froc baissé, le pli dégagé derrière les oreilles, tu vises la danseuse aux cuisses de banque, et en face, lorgnant le buffet en vitrine, ces cul terreux vairons débarqués d’Argentine, de Chine et d’Écosse, tous ces rouquins huilés flairant la bonne occase au coins des boulevards, déboussolés, se foutant sur la gueule avec les mecs du coin, ceux de Gentilly descendus en traversant les étangs de la Bièvre, un panier de glace sur l’épaule, tu vises le tableau quand le bourgeois rentre de le l’opéra, une grognasse sous le coude, et puis, soudain, le peu, le peu, la peur serait entrain de lire les essais de Montaigne, cet essaim désespérant l’esprit humain. Il faut du temps pour changer la vie en histoire. Il faut encore plus de temps pour que cette histoire soit celle de tout le monde, trouve le sauvage. Je n’ai de parole que sociale.
Violence pour permanence, il paraît que d’autorité, il n’y en a qu’une, une pour parfaire la voix, une et unique voix de l’être en demeure, je me violence, je vous violence, il y a des actions pour se taire, des fantômes pour se faire, l’urgence du témoignage, ce qu’il faut pour être, on dira que les fantômes, et bien, ça sert à ça. Ça sert, bien heureux de la multitude, à dire ce qu’il y avait avant, pendant et après, un sablier, quoi, Néant_saccage, pour se faire, violence dans la boîte, dans l’espace qu’elle contient, dans l’espace qu’elle détient, souffre en surface, une boîte d’urgence, un truc à part, une solution dans laquelle se dévide toute violence. Casse, casse des miettes, casse des chiens, casse des vipères et des venins, casse Casse des gueules cassées, casse la frontière des anges, casse ce qui te sépare, casse la vipère d’ange, casse et relève-toi. Casse et saccage les territoires du vide remembrés, casse et puis récupère les adieux au drame, l’action pour se faire, dis adieu à ce qui te fait, dis adieu à la cassure, ne te souviens plus de rien, ne te souviens plus, ne te souviens, ne te, ne
Néant saccage
je te cherche, nous avons la mort lente et le nombre. À la question « où vas-tu ? », ça répond invariablement « à l’explosif ! à l’intégral ! », une tiédeur liquide, longtemps couvée, maintenant expirée, divisée par trois coutures, gant sur l’asphalte, se détachant par lamelles ou terrasses d’un vert tendre de rizière. La promenade s’achève ici, au pied de ce muret, sur une impression de déjà-vu et dans un silence absolu, jusqu’à l’embouchure. Je n’ai de parole que sociale. Tracking automatique des ondes radio. Toi, tu as des choses à dire, je le vois bien, tout le monde sent que tu en as gros sur le cœur, c’est pourquoi je te donne ma parole, c’est pourquoi je resterai à tes côtés quoi qu’il arrive, vide, creux, absolument disponible, envers et contre tout. Mais il m’est impossible de te répondre, alors je me soûle devant la télé qui me pompe, qui m’aspire, vide, creux, grenaille et plomb, la peau piquée aux vertèbres du crâne.
Enfant, tu disais avoir un père, tu disais qu’il était possible de s’éloigner du centre. Aujourd’hui, tu signales qu’il n’est plus possible de se détacher de la gravité. Dieu est gravité sauvage, et le vide a ses fonctions. Enfant, je m’économisais dans un puits sans feu, un distraire sans poche, un accoudoir du vide, une poche fermée, une accusation des sphère de l’accomplir, homme de verre, tu te casses, fragile, pour mieux t’accomplir, et tu meurs, homme de verre, jusqu’à ce que les vers te démangent, en contre-partie, d’une peau qui se disloque, vive action, celle qu’on ignore, sur la plume d’un destin à recouvrir, une plume d’oie, un morceau d’éponge, une cassure sur les os du corps, je me mets à la place du serpent de mer, un soir à la campagne, dans un morceau d’éponge, une pluie de feu, un intra-extra qui me figure, je parais être sans voix, elle est cassée jusqu’à l’aube, elle est ce devenir torride, que seuls les paysans sauvages ont su porter, elle est mes os, ce poids d’os, cette marmaille, cette enfance, du puits sans feu, cette excroissance, ce vouloir indistinct, je veux, je veux, te vouloir dans le puits sans feu, je veux, je veux, je veux, je veux t’apparaître comme une vipère céleste, elle forme la voûte, je veux, je veux. Nous sommes tous des immondices de la parole, nous nous côtoyons, nous nous centrons en autant de sphères sauvages, l’apparence du visage, celui qui obtempère, celui qui dit, la voix, la voix épaisse d’avant la sphère. Et si ta voix prenait l’apparence de ta connaissance, qu’y aurait-il à démarquer dans le registre des âmes ?
Je suis le Fils de Dieu et je demeure à nouveau parmi vous. Pourtant, vous restez sans amour, car j’ensevelis ma parole dans une terre désolée. Même celui qui aura semé en Dieu, ne moissonnera que de l’humain ; et quand je mourrai, mon Père disparaîtra avec moi, et toute chose avec nous — je suis venu rompre mon serment, mais mon Père ne veut pas votre mort ; c’est pourquoi il m’a fait un corps de verre, pour qu’en me voyant, vous puissiez Le voir à l’intérieur de moi, et pour qu’en me frappant, vous puissiez me détruire ; ainsi l’Ange exterminateur que Dieu vous envoie est aussi le plus vulnérable des hommes. Devoir, peur, famine, peu importe la raison qui pousse une créature à mordre. L’écriture pourchasse les méchants, et les frappe avec une égale violence, combattant le mal intérieur et extérieur qui les corrompt de vouloir, comme de faire régner, l’ordre. On ne devient pas écrivain, on naît affublé d’une corne à la place du cerveau, pour éventrer les gens.
Des pâleurs indistinctes, des angoisses fulgurantes, au sein des trous sans faille, une alerte donnée par le feu. Misère de l’arrogance, misère de la sépulture, misère de l’endroit qui te donne pour vivant
Encore
Je suis en phase avec le démon des sphères, celui qui souhaite la rechute des alcools forts, je m’aime, si je peux m’inscrire en défaut parmi vous et vos dieux, en minuscule, parmi les toits du monde, la peur, la petite, la croix, je ne suis pas croyant, je suis ce qui me détermine, dans un contour de voix, une petite peur, un tic de s’apercevoir, je m’aperçois, je me tire dessus, tu armes, tu cibles et tu tires, Je suis un mécréant, un sauvage, je bois, je tue, je salope dans ton ventre, je gueule et m’immondice. Je m’ennuie et me tire, je bois l’eau des rivières creuses, je casse tes actions. Dans une action bien criante, mes eaux de verre, celles qu’on ignore, mes eaux de verre, celles qu’on traverse à coup d’étalon, celui qui paraît au-dessus des vagues de l’accomplir, je me tue, je rigole, d’action en action,
tu m’aimes ?
Au centre des centres, tu m’aimes, à chaque soir démembré, à chaque soir détroussé, je m’aime dans le paradis, des eaux qui claquent et disent ce qu’il me reste à vivre, tu dénombres ? Tu comptes, il me faut un compteur. Néant_saccage, courte paille, il me faut un arrosoir pour mieux te distraire, carrefour des mondes peuplés, Néant_saccage, je massacre le néant du dire, pour mieux faire,
On dit que, quelque part, réside la fleur d’avant-naître, celle qui d’action se forme en ventre et en ventre,
Il y aurait une pitié qui s’organise, il y aurait un carrefour à traverser, une vie à vendre, tu veux que je te donne ?
Oui, je veux. Que ce mariage me tienne, me garde, m’enchaîne, me chienne, me chaîne, m’assène le fond, les bords, les angles, les clous, les coups et qu’il m’aliène le sort. Je vois la terre promise, la mienne, la chienne, la chaîne, la haine, la peine et le squelette du non-moi. Un nom se promène ou vole ou s’évapore, donne-lui apparence légère, la pâleur de insecte ou du gémissement. Donne-lui vie, je le ferai durer.
Quoi ? Un poisson d’argent, une vente d’armes, des actions qui t’autorisent, tout se forme et se transforme dans l’autorité. Sauvage d’avant-naître, qui te graisse l’essieu ? Qui de toi ou de moi, parfait son origine, comme autant de nombres à compter, à recompter, sans foi, mille moi ? Qui ? Il faudra faire la part de l’origine, Néant_saccage, je casse mes vitres et me remplis d’aube froide, je me mort, à travers ce qu’il reste de nombre, il faudra compter l’origine et percevoir ce qu’il reste du naître, ce qu’on en voit, ce qu’on en imagine, ce qu’il reste des nombres, sablier des neiges chaude,
Sur le front du crâne, je me vitupère, salope, singerie, signerie,
À en produire des signes
Je n’imagine plus parler en ton absence. Néant saccage. J’implore ton aide.

Mathieu Brosseau, Philippe Rahmy


Philippe Rahmy est né à Genève en 1965 de père franco-égyptien et de mère allemande. Il collabore au site de création et de critique littéraires remue.net, dont il est membre du comité de rédaction. Il a publié ses textes chez Cheyne Editeur, Mots tessons et publie.net.
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Mathieu Brosseau est bibliothécaire à Paris. Il est l’auteur de
L’Aquatone (La Bartavelle), Surfaces : journal perpétuel (Caractères), L’Espèce (Mots Tessons), Dis-moi (La Rivière Échappée / La Canopée), La Nuit d’un Seul (La Rivière Échappée), Et même dans la disparition (Wigwam), La Confusion de Faust (Le Dernier Télégramme), UNS (Le Castor Astral). Fabrice Thumerel écrit à son sujet : « La généalogie de Mathieu Brosseau ne fait aucun doute : Rimbaud-Artaud-Novarina ».
Son site personnel, Plexus-S
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7 juillet 2011
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