Claire Menaucourt | Intransitif

Intransitif est un poème issu de l’ensemble « Anatomie d’une fille comme les autres  ».

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Manger ne résout rien.
Ne pas manger ne résout rien.
Manger quoi d’abord ?
Manger quoi ensuite ?
Manger enfin quoi pour finir ?
Marcher. Le marcheur philosophe.
Mais pas tous.
Philosopher ne résout rien.
Le lapin est mort, il est cuit maintenant. Il ne peut plus courir.
Il s’en fout il est cuit.
Il s’en fout d’être mort.
Il n’a plus àcourir.
Il n’a rien pour linceul.
Le marcheur chasse et prend son arme.
Le marcheur àParis est un flic.

Manger le lapin c’est mieux que le laisser pourrir.
Manger puis marcher puis dormir.

Hier je traverse le mur pour faire comme dans l’histoire. Me cogne une fois. Je réessaie. Me cogne encore. L’histoire n’était pas possible ! On m’a menti ! Et pour tout c’est pareil !
Je me sens laide et sans façons. Je me sens bête et monotone. Je me sens comme un poisson vidé. Je descends et cours au monoprix. Je cours au monoprix. Je cours et il n’y a aucun monstre qui me poursuit. Je cours, j’ai la pupille dilatée comme tous les gens autour puisqu’il est 22 heures. Le monoprix lui aussi est déjàmort. Depuis cinq grandes minutes. Il n’y a aucun cadavre pour me faire peur. Les gens ont l’air affamé mais pas de cadavre. Pas de pompiers àappeler. Tout le monde est en vie. Aucun mur
ne s’écroule. Il n’y a pas de sang.
Qu’ils sont bêtes ces raconteurs qui affirment que marcher fait marcher la pensée.
Non non et non. Tout le monde dehors à22h05 était en vie hier.
Il n’y avait que le lapin qui avait rendu son âme.
Et sans aucune raison.

Les dents derrière mon crâne
se sont mises àtomber
une àune.
J’ai fabriqué un petit chapelet avec car elles avaient des petits trous et c’était très facile. Une fois mon petit chapelet terminé, j’ai fait une grande prière et j’ai dit que si cela était possible je préférerais ne pas avoir trop mal (la gencive saignait et j’en mettais partout).
J’avais en effet très mal làoù il n’y avait plus les dents.
Pour oublier que c’était douloureux, j’ai mis de la musique et j’ai pris une grande grande douche brà»lante. Jusqu’àce que la peau rougisse et qu’une marque violette apparaisse. C’est une manière de se réchauffer, on ne voit plus rien tellement il y a de la buée, on respire les nuages, et on se sent aimé. Vite vite j’ai mis mon pyjama et un pull immense et noir. Et je me suis jetée sur l’histoire où on disait que l’homme passait les murs. Elle était loin derrière car je ne l’avais pas lue depuis des années. Toutes les autres histoires qui étaient devant sont tombées par terre mais ce n’était
pas grave non plus car j’ai enfin retrouvé celle que je voulais. Et je savais où elle me disait que c’était possible de traverser la paroi des appartements, et il fallait bien que je sache que c’était n’importe quoi et que ce quelqu’un qui savait que cela n’était pas vrai, c’était bien moi. Il fallait donc que je sois précise car ce qu’elle disait, l’histoire, il fallait que je sache où cela était. et j’ai trouvé làoù on m’avait menti ! Je pouvais le
prouver exactement : « Il y avait àMontmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d’Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de
passer àtravers les murs sans en être incommodé.  » Certes je me dis que je n’habitais pas le quartier. Montmartre est connu pour la souplesse de sa pierre. Au Père-Lachaise, où je me situe, les matériaux sont plus durs pour éviter les fuites désagréables. Sà»rement cela pouvait se comprendre. J’étais déçue. Trois feux follets vinrent me consoler en me disant de reprendre la pose. Je pleurais pour fatiguer ma peine et pouvoir tranquillement mourir.

28 mars 2010
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