Yann Miralles | intramuros / extramuros (extraits)

Yann Miralles est l’auteur de Travail au drap rouge, paru chez Publie.net. On peut également lire une étude sur Mémoire du mat d’Emmanuel Laugier, paru dans la revue de cet automne 2009.


topos

1.
savoir si au commencement il y a
cette grande avenue de nuit des voitures y sont
garées ou qui roulent sous la pluie
sous la pluie du coup prise en des phares
ou plutôt s’il y a ces phrases
qu’on croit toujours
venues après et par quoi
je vois tout –
difficile

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2.
pluie sur pluie c’est déjàbien sà»r beaucoup de poèmes
je cherche voix non pour dire
quelque chose
ni rien

pour juste marcher mieux
ou moins mal
dans la grande avenue (il y a mon pas sous la pluie
et plus que mes pas : du plusieurs
qui prolifère) alors
qu’on hésite

si on n’est pas
qu’un peu de nuit ou de silence
qui àpeine làremue

l’uniment noir
ou blanc comme

(en plus froid) neige sur neige
j’ajoute
àdu déjàdit
la malgré tout nécessité
de (j’aimerais) ma voix

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3.
pluie fine mais pluie qui àmes pieds
tombe, main dans la poche je marche
et pense au difficile partage d’une pensée
au possible partage
d’un poème
àson commencement
sa tendre prolifération

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4.
parfois je pèse
trop lourd
gestes gourds je m’arbore
empoté, aussi je voudrais
àl’inverse d’autres fois avoir bon poids
dans le monde – être plus
qu’une averse

mais j’ai visage évanescent
yeux nez petits perdus au milieu de
la figure un souffle me ferait fuir
d’ailleurs

je disparais

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5.
dans la nuit sous la pluie c’est le
topos de l’homme seul
qui prend l’eau –

aussi un possible
commencement

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6.
au téléphone me provoque
ta voix
dit que tu es làme pousse
àrépondre et se mêle
àla mienne

pluie pareille : gouttes qui tombent
àmes pieds
pas seulement, cheveux froids aussi
et qui frisent – et sur mon visage

(je dis :) vraiment j’existe

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7.
dire par exemple pluie et nuit
dans un poème soudain c’est
l’effervescence : non pas croire
àquelque substance
commune mais quand même
àquelque chose circulant
entre eux – je marche

en effet sous la pluie dans la nuit
j’attends de nul et non avenu
devenir par toi
qui je suis

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brèches (flashs)
(montreuil/paris 07-08)

remontant l’avenue me revient
ce tableau vu
dans la même ville

une série de tableaux justement intitulée nuit

on y voit l’angle d’une rue morte àcette heure, il est tard tout se tait, la grille de tel bar est tombée, muette tout comme le néon qui seul brille et le réverbère, mais morne, silencieuse une voiture passe ou glissent ses phares, on voit un homme une silhouette
son imperméable dit la pluie, un homme
remontant justement l’avenue –
tous éléments du monde
perdus dans le noir et leur solitude

– seulement : mêlés en la bouche
de la nuit les voilàdirait-on rassemblés
le peintre a fait cela peut-être salive :
il y a un halo
sur chaque contour de choses
cherchant l’entour

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[@quasi même lieu mais en une autre nuit : lui se couche dans les fleurs d’en bas du bâtiment car coup sur coup trop de pastis bus très tard et déjàdifficilement il descendait les différents étages dans l’ascenseur il tenait mal et nous voilàdans la ville comme nue dans la nuit c’est dà» àla lumière intime des réverbères il se couche dans l’attente du taxi le taxi impersonnel qui l’emporte avec peur du vomi impersonnel comme au final cette nuit@]

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[@il y peu entre le bonheur et la peur plus qu’une rime et presque rien tout bascule si vite la seine coule et la péniche dans la nuit offre les feux de la fête sonore et visuelle pour jeunes blancs bien sous tous rapports du moins c’est ce qu’il croit que nous reproche cet homme qui passe en instant du visage bonhomme de qui a sa part de bonheur àcelui de la tristesse la violence la rage et l’alcool bien sà»r y est pour quelque chose il crie vous riez de moi rien àfoutre je me jette àl’eau je vais me jeter mais non vous ne le méritez même pas et nous de pitié et de peur surtout sommes pris@]

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[@dans la nuit froide de février forcément ça réchauffe le partage de quelques verres et surtout de paroles en plusieurs langues puisque sommes àla cité internationale et ensuite les rires plus tard en pensant àelle escaladant les poubelles sous la pluie en plein milieu de la nuit escaladant au prix de presque sa vie pour passer par-dessus les grilles acérées et glissantes quand le corps pense plus vite que la pensée et qu’on croit que toute porte àcette heure est fermée alors qu’il a suffi qu’un passe et dise la sortie c’est par là@]

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[@d’ici d’où j’écris (mais l’ici est déplaçable profus proliférant) les deux chiffres du département et les fantasmes qu’ils attisent ne me concernent pas je seulement vois par la vaste fenêtre les toits paisibles de la ville les bâtiments enchevêtrés comme un tableau cubiste oui des cubes beaucoup de diverses formes et tailles mais où soufflerait@]
la vie : àla fin de l’été le soir fut souvent magnifique ciel bleu surface et profond àla fois pinceau pourpre et doré sur les cils des tuiles des maisons les hlm il n’y avait qu’àouvrir l’espace immense des bras pour tout embrasser croire tout rassembler – une vue qui renvoie àd’autres nuits d’autres temps dans un autre appartement d’une autre ville : ici (l’ici est déplaçable profus proliférant) c’est l’heure
hors des heures comme
au fond d’un puits (lors je ne savais plus
m’accorder au jour) où les lampadaires paissaient la nuit
calme sauf que
déchirée parfois par le cri comme nourrisson
d’un chat
et tout y était pareil qu’en moi
et dans mes mots :
paix parfois torpeur suivis de brusque peur –
stupeur

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toutes les villes on croit sont ce mélange d’ambre et d’obscur la nuit venue

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brèches
(avignon 09)

[@la lumière àmi-mur émouvante c’est le soleil il découpe amoureusement des formes multiples mais nettes jaunes rosies selon l’heure sur les façades en n’importe quelle saison pourvu que le ciel soit pur et les yeux levés au bon endroit au bon moment ce sont les seules conditions@]

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[@d’où j’écris s’accorde àdu bellay : on y sent un ordre ancien un monde qui rumine dans ses ruines et le contraste du samedi après-midi les jeunes gens assiègent joyeusement le centre ils viennent tous ils sont tous làrocade montclar la croix et c’est comme un coup de jeune et de sang dans de très vielles artères@]

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[@il y a des frontières tu me dis cela celle bien sà»r des remparts le dedans le dehors puis la ligne de chemin de fer on y passe dessous sous des ponts parfois même elle se dédouble et fait encore une frontière àmesure qu’on avance et s’éloigne du centre les espaces sont en proie àtous les fantasmes toutes les peurs dans les deux sens recto verso voici la loi des ruines des friches des faubourgs – de la périphérie@]

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[@les quartiers silencieux et lents et un peu àl’écart du coeur, les quartiers du dimanche car y demeurent des hôtels particuliers des maisons hautes et bourgeoises et comme endormies dans le siècle d’avant on y entend seuls tes pas qui passent leur bruit et celui de voitures pareil mais loin et assourdi@]

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[@ça – le son de la trompette répété pris dans les petits cris claquements d’ailes infimes des martinets dans l’air chaud d’une soirée d’été ce n’est pas seulement ça le souvenir plusieurs étés l’heure où le ciel rougeoie et le son comme un signal un appel au spectacle sur le plateau l’espoir de la vie du temps plus denses
c’est vilar parmi les ruines les monuments de la ville l’espoir aussi que se lèvent les mots les spectres du passé qu’on y parle et prenne chair le vieux rêve de faire parler les pierres pratiquer l’ouverture
verbale et réelle dans les murs l’absurde de croire la fusion la sévère frontière entre les mots et la matière mais leur mutuel amour et appel leur
rumination réciproque,
les versets de l’apocalypse par exemple longuement furieusement dansés par IG@]

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[@évidemment on peut penser que le poème continue et depuis très loin qu’il traverse toutes les époques peu importe qui parle comme descendant la vieille rue pavée proche du cinéma j’ai cru ou pensé ou simplement rêvé voir un pape ancien s’approcher puisque leur palais s’y trouve ou d’autres gens qu’on voit dans de vieux tableaux exposés çàet làet parfois ici même leur visage est celui on dirait du temps car la forme d’un visage change aussi vite on le sait que celle d’une ville leur visage qui continue depuis très loin et se poursuit mais pour cela il faut même petite et trébuchant : une seule et isolée voix humaine@]

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[@ruines restances revenances dans cette ville comme partout pareil les formes apparaissent les visages vivants sous les pavés le présent multiple et nous tous aussi en partance@]

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7 février 2010
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