Cahier Claude Simon N°4.

L’Association des Lecteurs de Claude Simon a publié, fin 2008, son Cahier annuel, le N° 4, aux Presses Universitaires de Perpignan, avec, comme toujours, en couverture, la si belle « Page d’écriture » extraite de l’album des Photographies de Claude Simon paru chez Maeght éditeur en 1992.

Outre l’habituelle recension des récentes études sur l’auteur au chapitre « Actualité de l’œuvre », on trouvera un important dossier critique consacré, d’une part, à Claude Simon à la lumière de Georges Bataille, et, d’autre part, sous le titre Lectures de L’Herbe, trois contributions : sur la réception de ce roman par la critique, sur « le dire du “rien” », et sur les rapports de L’Herbe à l’Histoire. Puis une lecture de ce même roman par Charles Camproux, lecture elle-même éclairée par une étude de Alastair B. Duncan. La "parole" [1] est donnée enfin à Bodo Hell pour un texte, « Lisant un paysage », sur les Corps conducteurs.

On a en outre plaisir à trouver, tout au début de ce Cahier, trois textes de Simon publiés en décembre 1960, à l’époque, donc, de la parution de La Route des Flandres, dans Les Lettres nouvelles de Maurice Nadeau, et regroupés sous le seul titre, assez emblématique à vrai dire de la méthode simonienne : « Matériaux de construction ».

Jean-Yves Laurichesse souligne la portée politique de ce numéro des Lettres nouvelles, qui publie dix-sept contributions dont les auteurs ont tous été signataires du Manifeste des 121 [2], Claude Simon y compris : même si ces textes ne sont pas engagés au sens précis du terme, leur regroupement dans un numéro qu’introduit une prise de position sur six pages de Maurice Nadeau, intitulée : « Pourquoi nous sommes parmi les “121” » leur donne une couleur particulière.

Cela dit, les « Matériaux de construction » sont d’abord des textes littéraires dont Jean-Yves Laurichesse montre que, bien qu’indépendants, ils fonctionnent sur le mode du « tryptique » cher à Claude Simon et qu’on peut établir entre eux des liens implicites. On suivra les analyses éclairantes du commentateur.

Vrai plaisir à découvrir ces pages que je ne connaissais pas, et d’y retrouver, animé d’un seul souffle, ce mouvement de l’écriture, cette vision, qui saisissent de tout petits détails dont la juxtaposition et l’accumulation créent un monde.
« Solliciter le petit fait aussi bien que le grand », disait Flaubert... Entraînés dans ce même mouvement, tous les petits faits ouvrent en effet, et deviennent grands...

(…) me demandant par quel miracle il n’avait jamais mis le feu avec ce Dujardin-Salleron posé à même le bureau au milieu des papiers en désordre et sous lequel brûlait à toute heure comme ces veilleuses ces pieux lumignons allumés dans les églises au pied des statues ou des images saintes la petite lampe avec sa mèche torsadée lovée comme un serpent dans l’alcool jaunâtre et dont la flamme veloutée léchait sans bruit la bouilloire de cuivre, oscillant paresseusement au moindre déplacement d’air par exemple quand on pénétrait dans la pièce pénétrant en même temps semblait-il (au sortir de l’éclatante étourdissante et même bruyante si l’on peut dire et même cacophonique lumière du dehors) dans un univers fixe où le temps ne s’écoulait pas à la même vitesse si tant est qu’il s’écoulât (puisque rien ou presque rien n’y distinguait le jour de la nuit) et où l’air jamais renouvelé conservait comme un parfum fondamental les subtiles et lourdes émanations de la décomposition en simples produits chimiques de ce que l’été avait lentement accompli (…)

Jean-Marie Barnaud

21 février 2009
T T+

[1Au chapitre « Paroles d’écrivains ».

[2La fameuse « Déclaration sur le droit d’insoumission dans la guerre d’Algérie ».