Bérengère Cournut | L’écorcobaliseur

« L’écorcobaliseur a disparu. Avec, au bout du bras, la tête ensanglantée de son frère. »


Il se passe des choses bizarres à Menfrez. La ville semble pourtant assez tranquille. Elle est située en bord de mer. Comme ses consœurs, elle a sa fête annuelle (ici c’est la Turbo-Pinpin), son bar à la mode (Le Taiqueuwok) et son journal local (L’Expêche).
Seulement, voilà, d’étranges citoyens y circulent. À commencer par l’écorcobaliseur. Il vient d’ailleurs, au moment où le livre débute, de disparaître. Ou plutôt de se fondre dans le paysage.

« La dernière fois qu’on l’a vu, il se promenait dans le port de Menfrez avec, au bout du bras, la tête ensanglantée de son frère. On suppose qu’il est allé l’enterrer le jour même, mais on n’en est pas sûr. »

Depuis, plus de trace. Bien sûr les langues se délient. Certains parlent de meurtre. L’isandreline, la sœur du coupeur et du décapité, en est moins sûr.

« La tête coupée n’est pas ce qui me tracasse en premier. Je sais jusqu’où peut les mener leur penchant taquin l’un envers l’autre et je soupçonne plutôt une mauvaise plaisanterie. »

Le mieux est encore de jouer au limier. D’aller enquêter sur place. De suivre la trace de l’écorcobaliseur et de tenter de retrouver ainsi la tête de l’anicétonque (l’autre frère). C’est ce qu’elle fait. Et c’est ce périple que Bérengère Cournut va nous relater, faisant, entre chaque chapitre, intervenir l’isandreline en direct des différents lieux où va la mener son périple.
Comme toute bonne enquête, celle-ci nécessite de fréquents retours en arrière. Savoir d’où vient ce trio iconoclaste qui ne paraît pouvoir vivre qu’ensemble. Une trinité (une curiosité « tricéphale, trinervée, triploïde, trigéminée ») issue d’où, tombée de quel nid parental ?

Embarquée sur une goélette faisant route vers La-Mer, île où vit, cohabitant avec les pêcheurs locaux, une colonie de Bédouins (« ils auraient rejoint LA-Mer sans s’en rendre compte, lors d’une tempête de sable.(...) Le vent, d’une violence inouïe, aurait arraché au désert non seulement des tonnes et des tonnes de sable, mais aussi des Bédouins endormis, ainsi que leurs tentes et leurs chameaux »), embarquée, ballottée, chahutée par des flots en colère, l’isandreline va trouver sur sa route le marin Henric, un homme sans âge qui ne paraît vivre que sur l’eau. Celui-ci ne circule pas dans les parages par hasard. Il est porteur d’un message.

« Votre père m’a demandé de venir à Menfrez m ’assurer que, comme prévu, tes frères et toi faisiez bien toujours front commun. Votre mère, avec qui il communique grâce à des bans de poissons en migration, venait de lui faire part d’un mauvais pressentiment. Je me suis empressé de faire route vers vous, mais Menfrez n’était indiqué sur aucune carte et personne dans aucun port n’en avait jamais entendu parler. J’ai dû me laisser dériver (...) avant qu’une nuit de cette longue errance, un turbot surgi des flots ne m’indique enfin la position du district. »

On l’aura compris : ce voyage initiatique (dans des contrées parfumées de Grande Carabagne où pourrait également venir flâner Calvino) auquel nous invite Bérengère Cournut tout au long d’un premier roman épique et malicieux n’est pas banal. En bout de course, tous les rubans défaits vont finir par se reconstituer, prêts à se déployer à nouveau pour un final silencieux et intérieur (avec turbot, arbre à têtes, trio rêveur et incursion en zone menteuse) très réussi.

« De tout ce qui nous anime, nos contemporains ne voient rien. Désormais nous cachons tout. Mais sachez-le : dans notre creux de mon crâne, le chahut est immense. Certaines nuits, il remplit même la plaine couverte de vos visages pantelants. Tenez-le vous pour dit : ailleurs qu’en nous, c’est la mort – votre mort. ET PAS LA PEINE DE FAIRE CETTE MINE. »


Bérengère Cournut : L’écorcobaliseur, éd. Attila (127, avenue Parmentier – 75011 Paris).

27 septembre 2008
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