« I am somebody » [juillet 2008-février 2016]

23 février 2016. J’espère, je suppose que la majorité des migrants qui se trouvaient à Calais en juillet 2008 sont arrivés en Angleterre où ils se sont installés, ont fondé une famille, où ils exercent un métier, élèvent leurs enfants.
« I am somebody » a été écrit au retour d’une semaine passée à Calais pour écrire, avec Jérôme Descamps, le scénario d’un long-métrage qui n’a pas été tourné. L’histoire commençait ainsi : une femme, Suzanne, revenait à Calais où sa mère venait de mourir. Elle y croisait la présence des migrants, sa mère ayant appartenu à une association qui leur venait en aide. La dernière séquence devait montrer Suzanne au volant d’une voiture aidant l’un d’eux à se soustraire à la police et à passer en Angleterre.
Ce scénario était très optimiste quand on le relit huit ans plus tard, en ces jours où les réfugiés chassés par milliers de pays en guerre sont devenus l’enjeu de pouvoirs politiques et de relations internationales qui tentent de faire oublier leur existence d’êtres humains et leur statut de citoyens du monde.

Chaque jour, chaque week-end, des personnes venues de toute la France, d’Angleterre, de Belgique, artistes ou anonymes, seuls ou avec des proches, appartenant ou pas à des associations, viennent leur apporter leur aide et leur témoigner leur solidarité, participer à des rencontres, des discussions, des actions communes.

Le texte « I am somebody » n’a rien perdu de son actualité.
S’y est ajoutée l’urgence.
DD


 

Phrases relevées sur un Algeco de Calais en juillet 2008 :





  C’est là, dehors, quai de la Moselle, que le centre communal d’action sociale et une association organisent chaque midi une distribution de repas chauds pour les migrants repliés à Calais depuis la fermeture de Sangatte par le ministère de l’Intérieur en novembre 2002. Pas pour ceux qui étaient à Sangatte, ils sont partis ; pour d’autres, des nouveaux, deux ou trois cents, qui vivent à leur tour dans l’attente de jours meilleurs, d’un pays d’accueil hospitalier.

  Irakiens, iraniens, soudanais, afghans, érythréens, kurdes, somaliens, ils arrivent des régions lointaines dont on voit la carte des conflits frontaliers dans la presse quotidienne, ils arrivent de la géopolitique contemporaine, des élections truquées, des invasions, des exactions, de l’assèchement des terres, des villages incendiés, des viols, des mutilations, des partis interdits, des journaux, des textes, des poèmes censurés.
  Ils arrivent chassés par les sommets, les conférences, les directives.

  Parmi eux quelques femmes, quelquefois des enfants.
  On ne comprend pas leur langue, seulement l’anglais, on comprend leurs espoirs.
  Il y a le frère qui a voyagé avec le frère, le frère avec la sœur, l’oncle avec le neveu, le mari avec l’épouse, les amis de là-bas, d’ici.
  Il y a celui qui patiente, celui qui plaisante, celui qui a honte de sa propre honte, celui qui fanfaronne, celui qui remercie d’un clignement des paupières, celui qui tousse.
  Il y a celui qui ne mange ni poisson ni viande, il y a celui qui ne veut pas du fond du plat, il y a celui qui a encore faim et revient dans la file.
  On échange des regards, des sourires, des gestes.

  On garde des images : dans un buisson une forme humaine enroulée dans un sac de couchage pour se protéger de la pluie, sur le port une silhouette qui attend le passeur, un camion, la chance.
  On garde des histoires.


  En fin de journée, la distribution des repas se déroule sur le quai d’un entrepôt, dans le port d’où ils tenteront, la nuit tombée, de passer en Grande-Bretagne.
  Ils passent.


  Ils passeront presque tous.
  De quelques-uns il ne restera qu’un nom et une date dans le cimetière Nord.


  Avant ce nom, cette date, une existence aura eu lieu.


Bibliographie et liens :

Destins clandestins du photographe François Legeait.
Papiers ! de Claude Mouchard.

Les migrants de Calais, images du photographe Julien Pebrel.
Photos de Bruno Serralongue.


Association Salam Nord/Pas-de-Calais.

23 février 2016
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