Salah Al Hamdani, Bagdad à ciel ouvert

Le poète, écrivain et homme de théâtre irakien Salah Al Hamdani, né à Bagdad en 1951, vit en exil en France depuis plus de vingt-cinq ans, après s’être opposé au régime de Saddam Hussein ainsi qu’à l’occupation anglo-américaine de l’Irak.
Il a écrit, en français, ce livre de poèmes, Bagdad à ciel ouvert, publié l’an passé, et que m’a fait découvrir Laurent Grisel.

Ce qui émeut ici, dans le chant de cette voix authentique, bien éloignée des échos des "actualités" et des commentaires des spécialistes, c’est qu’elle parle depuis la situation de l’exilé, en particulier tout au long de ces soixante-quatre « Poèmes avant le retour » de la première partie du livre – poèmes écrits à Paris par celui qui se nomme lui-même « “l’égaré” » ou “l’exilé” [qui] se couche seul/ entre les lignes de l’Histoire ».

La poésie de Hamdani touche parce qu’il y a une grande force de vérité dans cette langue directe, et d’autant plus efficace que souvent de fortes images en subvertissent l’apparente simplicité : lorsqu’il s’adresse par exemple à ses enfants, ou lorsqu’il évoque, si souvent, sa mère âgée et « l’esprit en dérive » ; lorsqu’il invoque Bagdad comme l’être de chair qu’il aime ; ou encore dans les nombreux poèmes en hommage aux morts, aux résistants, aux sacrifiés :

Alors qu’il y a le ciel
la pluie
et le bruit d’un corps qui s’écroule
sous la terre humide sous le regard de la lune
personne ne sait où va le mort
personne ne sait où vont les mots

De l’inconnu
même enterré
ne restera que la bannière

Mais ce peuvent être aussi de très simples et concrètes notations qui, à elles seules, suggèrent un monde :

O nuage au-dessus des barbelés
à l’extrémité de l’hiver
avec un vent qui se balade très haut

Bien entendu, Hamdani ne se complaît pas dans la nostalgie.
Car sa poésie est aussi, non seulement une force de résistance, mais une puissance de dénonciation, soit qu’il s’agisse de décrire la situation actuelle de l’Irak occupé et en proie à la guerre civile, et le ton devient alors assez souvent celui d’une adresse prophétique : « Je vous ai dit : Ne chantez pas trop tôt la chute du bourreau/ cet enfer peut revenir/ le vieil assassin s’est déguisé en faux résistant/ comme avant il tue à l’aube », soit qu’il s’agisse de parler depuis cette justice que porte encore en soi la parole de poésie :

Je surgirai du miroir pour faire le compte des blessures
des sanglots
des prairies dévastées par les cadavres
et des fragments de métal
suspendus comme des chairs
à des branches d’arbres sans tête

On est aussi heureux de saisir comment, à travers ce livre généreux, la résistance, cette thématique un peu savourée que développe parfois chez nous avec complaisance la réflexion sur l’écriture, prend ici tout son sens.
Car lorsque Hamdani écrit qu’il doit « sans cesse déraciner le mot, /son but/ et démasquer le langage éphémère », il engage le poème dans un risque et une lutte où il est question de vie et de mort : la seconde partie du livre,« Poèmes de Bagdad », est alors origine d’un espoir, animée qu’elle est par cette conviction que la poésie peut fonder aussi les conditions d’un salut :

Je dis que c’est le printemps
malgré la guerre des clans
quand j’amarre le soleil
et que la déraison irise le bonheur
(…)
De Bagdad, ici,
nous vous disons que nous sommes vivants !

Jean-Marie Barnaud

15 octobre 2007
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