L’arborescence des Fleurs

Les classiques sur la toile : mode image ou mode texte ?
Pour l’amour de la littérature, et de son histoire, l’écran s’écrit.


En mai 2004, la liste Litor de Patrick Rebollar a fait connaître le site consacré à l’œuvre de Charles Baudelaire.

À ce propos, les abonnés de la liste se sont demandés si la mise en ligne d’un texte classique exigeait plutôt le mode image ou le mode texte - autrement dit le fac-similé du texte de l’édition de référence ou sa composition typographique pour un format adapté. Ce débat est courant sur la Toile lorsqu’il s’agit de trouver le meilleur moyen de conserver l’authenticité d’un texte.

Le mode image permet de voir le texte tel qu’il est dans un livre. C’est souvent émouvant. Derrière l’écran, chez soi, le département des incunables de la Bodleian, celui des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, un rêve... Mais à l’écran les pages mettent, même sous haut débit, du temps à s’afficher. De plus, l’image est floue, l’encre bave un peu. Bref, le texte n’est pas facile à lire. De plus, l’image d’un livre ne permet pas sa lisibilité à l’écran. En effet, on ne peut y rechercher l’occurence d’un mot, la mesure d’un vers, l’affichage d’un plan, toutes choses essentielles à la lecture approfondie d’une œuvre.

Le mode texte peut être beaucoup plus riche. Il s’agit de scanner le texte avec un logiciel de reconnaissance des textes, ou de copier, saisissant lettre à signe le texte de référence. Sans oublier les blancs. Le risque est grand de découvrir de nombreuses coquilles. Cela remet le correcteur à sa juste place : maillon indispensable et nécessaire de la chaîne graphique que forment les ouvriers du livre, le correcteur est le seul capable de voir, parfois d’anticiper, la moindre erreur typographique. Une fois que le texte est saisi par le compositeur, le chercheur ou le lettré passionné, il doit être lu et relu pour corrections.
Puis, on passe à la phase qui nous intéresse. En fait, le copiste a commencé par là. Le texte, au fur et à mesure de sa copie, est structuré par des moyens que permet l’XML. Si l’on veut que le texte soit lisible sur écran, il faut y ajouter une certaine valeur. Cette valeur est de celles que le PDF autorise, que l’XML structure. Comment Baudelaire travaillait sa prose ? Ses phrases étaient-elles en vers, mine de rien ? Et selon quel rythme ? Quelle occurrence du mot “rythme” ou “nuit”, par exemple, dans Les Fleurs du Mal [1] ? Peut-on retrouver l’évolution d’un personnage d’À la recherche du temps perdu, les transformations d’un lieu, d’une ville ? La ville vue par Baudelaire est-elle une métaphore et par quels moyens ? Comment Butor a-t-il structuré son Emploi du temps ? Quelle est la place des personnages dans les didascalies de Beaumarchais et dans celles de Marivaux à la même époque ?
Toutes questions auxquelles l’image seule ne répond pas, du moins pas en quelques clics. Pour l’amour de la littérature, et de son histoire, l’écran s’écrit.

14 décembre 2005
T T+

[1Pour en savoir davantage sur les épreuves des Fleurs illustrant cette note, voir ce lien