Michel Thion / Traité du silence

Michel Thion est né en 1947. Après des études erratiques, préparation assidue à l'état d'autodidacte, il exerce différents métiers : barman, déménageur, fabricant de bougies, agent de planning en compagnie aérienne, dessinateur en béton armé, puis analyste informaticien durant huit ans, professeur de judo (diplômé d'État), parallèlement étudiant éphémère mais passionné en philosophie et en linguistique, directeur de communication, avant de rencontrer à 33 ans le métier qui allait devenir le sien : l'action artistique et culturelle. Dans ce cadre il expérimente différentes fonctions : Animateur, directeur d'un festival de musiques contemporaines, délégué départemental à la musique, directeur de médiathèque, producteur de théâtre musical, et enfin, directeur de théâtre.
C'est dans le domaine des musiques contemporaines que, parallèlement, il exerce entre 1987 et 1995 une activité de chroniqueur et critique musical à l'hebdomadaire Révolution puis au Monde de la Musique, aux Lettres Françaises, etc… En 1994, l'AFAA lui confie la direction d'un ouvrage intitulé "la musique contemporaine en France en 1994".
Il écrit depuis très longtemps, depuis toujours dirait-il, au moins 35 ans de poésie, de textes en prose, avec de longs silences. L'écriture ne le quitte jamais, il publie dans quelques revues des poèmes isolés (Action poétique, Po&sie, Vagabondages, etc…) mais la maturation est lente, le mot est rugueux à écrire, et le texte est rare et lent lui aussi.
En 1995, il décide d'arrêter le journalisme, qui lui prend trop d'énergie pour des résultats qui ne le satisfont pas, et l'écriture personnelle (re)devient une activité constante, qui désormais ne cessera plus comme en témoignent ses livres et ses autres projets en cours.
Aujourd'hui, il se consacre entièrement à l'écriture.
Il pratique régulièrement des lectures publiques, seul ou avec un musicien, une danseuse, etc… et anime des ateliers d'écriture.

lectures prévues de "Traité du silence": Vendredi 16 janvier 2004 à 18h30
Librairie "À plus d'un titre" - 6 quai de la pêcherie - 69001 Lyon - Tel : 04 78 27 69 51
Jeudi 29 janvier à 19h00
Espace Jemmappes - 116 quai de Jemmappes 75010 Paris - Tel : 01 48 03 33 22
Mardi 3 février 2004 à 20h30
Le Granit - Scène Nationale de Belfort - 1 fg de Montbéliard - 90000 Belfort - Tel 03 84 58 67 50
" Ils riaient avec leur bouche" (Cheyne Éditeur).
Jeudi 26 février 2004 à 18h30
Auditorium de la Bibliothèque de la Part-Dieu (Lyon)
30 bd Vivier Merle - 69003 Lyon - Tel : 04 78 62 18 00
Dans le cadre de "La scène poétique" organisée par Patrick Dubost
Lecture de textes divers et premiers travaux acousmatiques (Grâce à l'invitation et à l'aide du GMVL et le soutien constant de Julien Tarride) en compagnie de Chantal Neveux (Québec)

 

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Le "Traité du silence" de Michel Thion est paru aux éditions Voix d'encre, accompagné d'encres d'Anne Weulersse

Je dis le silence car le silence n'est pas le silence.
Je veux dire : le silence n'est pas l'absence de bruit, ni l'oblitération de la parole.
De même, la paix c'est une autre chose que l'absence de guerre.
De même, le silence de la mer n'est pas le silence de la pensée ni le silence de l'action.

On fait silence comme on fait bruit, c'est un acte.
Quelquefois on prend le silence comme on prend la parole.
É coutez le silence de Neruda après le onze septembre. Mille neuf cent soixante-treize.
Ce jour, Neruda a pris le silence, et ce silence était brûlant et limpide et il était une imprécation à la face des hommes obscurs et des hommes sans mots.
Les hommes sans mots ne sont pas dans le silence mais dans la fureur aveugle de l'idiot.

Il n'y a pas de lumière qui ne soit découpée par de l'ombre. Il n'y a pas de musique qui ne soit désignée par du silence et qui ne se déploie dans le silence.
De même, on dessine la neige avec de l'encre noire sur une feuille blanche.

Je suis mangeur de terre. J'invoque le silence sur les idoles.
Sur la solitude de cet oiseau de la haute mer qui jamais ne se pose, j'invoque le silence.

Le silence est le temps de la pensée, du retour sur soi, de l'aller vers l'autre. Ceux qui ont peur du silence ont peur de la pensée. Ceux-là emplissent sans cesse notre silence de leurs bruits insignifiants. Faisons silence en nous-mêmes, et leur bruit dérisoire mourra et la pensée joyeuse se déploiera.
Le silence est le temps de la résonance. Les mots sont de longue vie à ceux qui les aiment et ils ont besoin d'un long temps pour que leur sens fasse trace en nous.
De même, une immobilité chaude et vibrante est le temps de la résonance des gestes.

Seul le vide peut être rempli. Laisser du vide dans les mots et les sons pour qu'ils soient remplis de sens et de chaleur.

Je dis le silence et sa beauté. Je dis le silence et son horreur. Car le silence est au coeur du monde et des hommes. Je dis le silence les yeux clos car il ne peut être dit sans révérence.

Le silence est furtif, vif et doux. Il est vapeur d'un monde plein de chair et de soleil.
Futile et obscène est le vacarme du vide.

On vous a donné la parole et vous n'en avez rien fait. Je vous donne le silence, il fera quelque chose de vous.

Avant les cataclysmes, il y a toujours un temps de silence et d'immobilité. Comme si la nature retenait son souffle avant l'advenue du chaos. Ce silence pourrait précéder toute parole.
Faites silence pour le murmure,
Silence pour l'orient et le souffle,
Silence pour le silence.
É coutez écoutez toujours : il se fait fracas dans la chambre des tortures.

Au coeur du grand désert occidental, existe une ancienne cité abandonnée, et sur une petite place à l'écart, une source qui goutte lentement. Là, entre deux pierres de vieil ocre, sous l'ombre fraîche, pousse la fleur appelée silence.

Je convoque le silence au festin de l'homme affamé.
Car il dit son visage incessant tourné vers le soleil qui lui brûle les yeux et qui consume sa faim.
Car il est le temps des larmes taries.
Car il lève le voile sur les cris de colère, mais non sur les cris d'amour.
Je convoque le silence car il attend la nuit et je l'attends aussi.

Quand les vents du silence soufflent sur nous, ils effacent nos blessures et donnent à nos rires le lieu de se déployer.
C'est le souffle des silences fertiles qui nourrit les mots à naître et consume les sentiments amers.
... / ...

Les miroirs ne reflètent pas seulement la lumière. Ils répercutent aussi les sonorités, la rocaille des avalanches et le flot bavard de la haine des hommes pressés.
C'est pourquoi il est bon que le silence règne à l'intérieur des miroirs. Ainsi, lorsque l'on met deux miroirs l'un face à l'autre, une rivière de silence coule toujours de l'un à l'autre.
Qui s'y baigne contemple son enfance disparue.


J'écris une lettre de silence, c'est le rituel de chaque jour.
Lors du banquet d'hiver, on lira bientôt toutes ces lettres avant de les brûler, afin que la mémoire de ce silence-là ne réside qu'en l'assemblée des hommes.


À chacun son silence, chacun son hésitation, il n'importe, un sentiment restera : le regard vagabond est une liberté imperceptible.


Selon le rêve d'Averroës, le livre n'est qu'un lent retour vers l'arbre.
De même, les mots que contient ce livre ne sont qu'un lent retour vers le silence.

Au coeur du silence, la parole est un dévoilement.
Le silence est alors comme un étang sous la lumière, quand le soleil se penche sur le jour finissant et que les libellules s'envolent pour leur dernier frémissement, pour un voyage sans but et sans retour.
De même les mots s'envolent du silence et vivent une vie de folle brièveté. Et le silence seul leur donnera la durée de l'écho.

Je vous dis que les abysses sont en nous.
Car sans le silence, la parole est une froide ondulation de l'atmosphère.
Car sans le silence, la parole est un meurtre.

 

© éditions Voix d'Encre