Claude Ollier / Réminiscence

Ecrivain majeur, beaucoup trop discret, Claude Ollier publie chez POL un nouveau tome de son journal: rêves, voyages, notes de travail, un document exceptionnel de vie et d'écriture.
Merci à Jean-Paul Hirsch de nous autoriser à en reproduire un extrait plus large que celui déjà proposé par POL: juste pour signifier l'importance de ce livre... FB

Paul Ollier sur site POL (avec vidéo lecture de "Réminiscence")
et voir en particulier sa biographie

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8 juillet
« Aspect plastique de la littérature : incarner un caractère, une pensée ou une émotion dans un acte ou une attitude qui sera remarquablement frappant pour l’œil de l’esprit. » (Stevenson, A Gossip in Romance.)

1980
7 février
Les photographies ne sont plus seules à pourvoir le livre en incitations et documents : les bandes magnétiques sont entrées dans la danse. Je retranscris de longs passages de celles où Ariane, depuis son plus jeune âge, livre sans fard les étapes de son apprentissage du langage et de la vie, particulièrement celles enregistrées depuis 76 et que j’ai intitulées Ariane à la radio, Naïmascope et Naïmarama. Travail difficile, harassant, mais qui m’apprend à mieux écouter aussi. Je le retranscris, mot pour mot, dans son cahier à elle. Qui résistera le mieux au temps : la cassette ou le cahier ?

19 février
Malacca. Écrit le rêve – les rêves, consécutifs à l’hypnose réussie par Chloé sur son père. Rêves récents, authentiques ! C’est maintenant la promenade à l’arboricum, l’intermède des singes, la discussion avec Iskandar sur les maquis rebelles dans la montagne proche. Et puis… le tour de la presqu’île ?

22 février
Là, il y avait mon père, ma mère, et la question était d’importance. J’ai oublié bien des détails, que je me rappelais pourtant bien ce matin. La question : il s’agissait de procéder à la « réparation » de mon appareil sexuel. Ablation partielle, remplacement ou greffe, je ne sais plus. On sollicitait mon consentement. Je cherchais éperdument à m’« en sortir », et j’en sortais, par un effort démesuré pour « faire craquer le décor ». Le décor craquait, et je prenais le large, bien vite.

13 mars
Essayé aujourd’hui de recomposer ce sentiment de l’Asie en train de « foutre le camp » dans l’aéroport de Bangkok, cette impression sidérante que j’ai eue là-bas : on m’avait escamoté l’Extrême-Orient et, qui plus est, juste au moment où j’y atterrissais !

11 avril
En panne depuis quelques jours, empêché de plusieurs côtés (un travail à la radio, les « vacances », la fatigue aussi). Tapé les 66 premières pages. Peut-être la dernière phrase engageait-elle à l’arrêt, ou à la suspension : « … la suite de l’histoire ». Cela mérite attention. Je songe à : « La suite de l’histoire est imprévisible », ou bien : « La suite est imprévisible, toutes les suites sont imprévisibles. » Mais je ne crois pas pouvoir reprendre avant Rome, c’est-à-dire début mai, si j’en reviens début mai.

23 avril
Villa Médicis. La caméra de Denis Roche, à ras du sol, nous fixe de trois quarts, têtes tournées machinalement vers elle comme nous nous éloignons de concert dans les jardins.

24 avril
Rome dans le froid, l’humidité, la superbe diversité de coloris des pierres après la pluie. Marché des heures par les rues et les jardins, pour tomber impromptu sur la villa Giulia et le musée étrusque, y entrer, et à un endroit précis d’une galerie, m’arrêter net et me souvenir que je me suis déjà trouvé là, voici vingt-cinq ans, arrêté net dans ma déambulation par le même objet, un vase de terre cuite d’une couleur extraordinaire. Je ne me rappelais plus du tout, jusqu’à ce moment-là, cette visite ancienne. Même lieu, même objet, même jeu de scène. C’était l’année où nous étions revenus de Demnate à Paris, de Casablanca plutôt, en passant par Tunis, la Sicile et Naples.

23 mai
Dans une ville marocaine (quartier européen), on croisait des jeunes filles se promenant les seins nus. Pas du tout le style Afrique équatoriale, poitrine nue et jupe de couleur, mais le style européen : chaussures à talon, bas, jupe plissée, foulard. J’étais tout à fait interloqué par cette mode, dont c’était pour moi la première manifestation au Maroc, mais seulement comme si, la chose étant acquise en Europe, je trouvais que son introduction dans la société marocaine était prématurée. Curieusement d’ailleurs, les filles concernées exhibaient toutes de très petits seins. Personne ne semblait le remarquer. J’étais le seul à m’en étonner franchement.

1er juin
Repris mon livre avant-hier – une très difficile reprise, après deux mois d’éloignement. La seule chose à faire dans ce cas (la seule qui soit dans la logique de l’entreprise) est d’incorporer cette rupture au texte. Ce que j’ai fait, conjurant le hiatus.

15 juin
Où j’apprenais, cette nuit, que j’étais un enfant abandonné. Pas trouvé, abandonné. Ceux qui m’avaient recueilli étaient là, ils m’avaient retrouvé, je ne sais comment, par hasard sans doute. Nous dînions ensemble, et ils m’apprenaient, comme ça, ce qu’avait été réellement mon enfance et que je n’avais jamais soupçonné. En fin de repas, je ne pensais qu’à une chose : leur offrir un souvenir, pour les remercier de tout ce qu’ils avaient fait pour moi, dépensé pour moi. Puisque je partais bientôt en voyage, je leur rapporterais un cadeau. J’étais très ému par ces nouvelles, mais je n’en laissais rien paraître. Ceux qui m’avaient élevé étaient donc assis là autour de la table, je n’avais d’eux aucun souvenir, leurs visages étaient quelconques, ceux de petits-bourgeois cossus et bien en chair. Certes, cette version inattendue de mon enfance et de mon adolescence était susceptible d’expliquer bien des choses. Pourtant, vers la fin du repas, le soupçon me venait que ce n’était pas vrai, cette histoire, que ceux qui m’avaient élevé étaient bien mes vrais parents. Aussitôt réveillé, je me suis rappelé avoir lu cette phrase la veille dans un manuel sur la « méthode naturelle de lecture » : « Untel, qui est un enfant abandonné… »

28 juin
Je traverse la Belgique en diligence, une longue berline tirée par des chevaux noirs. Il semble que nous nous dirigeons vers le sud. Voici qu’on pénètre dans une ville à laquelle je ne m’attendais pas, dont je n’avais jamais entendu parler en tout cas. Je suis alerté d’emblée par un magnifique marché couvert, puis par une façade d’immeuble toute en bois sculpté, superbe. Je demande à ma voisine le nom de cette ville. Ce qu’elle dit, en deux mots, je l’entends mal. C’est quelque chose comme « Brec-Manne ». Mais la ville prend de l’ampleur : de splendides esplanades, des places richement ornées, puis d’extraordinaires maisons aux façades sculptées comme des visages, avec des nez énormes, proéminents, un peu dans le style aztèque, et peintes (ou vernies ?) en bleu, en violine, en jaune, en rouge aussi par endroits. Tout un alignement ainsi en bordure d’une vaste place. Et d’autres un peu plus loin, en retrait. Et la ville s’élargit encore. J’aperçois, loin derrière, des perspectives taillées dans des collines, géométriquement, comme d’immenses palais ou tombeaux avec des entrées secrètes. Puis la route tourne et monte à la sortie de la ville. Je me fais répéter son nom. Et là, c’est plus précis, et plus compliqué. Je crois qu’on me l’écrit. Ça commence ainsi : « Ausberek… » Le deuxième mot m’échappe. Le rêve se termine bientôt. Il me frappe beaucoup. Je n’ai jamais entendu parler de cette ville, là, en plein centre de la Belgique, et plusieurs heures après, je revois très nettement les couleurs vives, magnifiques, des visages sculptés sur les façades des maisons (peut-être une réminiscence de la scène finale de North by Northwest, revu il y a peu à la télévision ?).

29 juin
J’avais réussi à colmater la « brèche » dans les premiers jours de juin. Je n’ai pu continuer, à cause du départ proche, et de pas mal de questions pratiques à régler. Je pense que c’est néanmoins un bon « tremplin » pour la suite. Il faut « avaliser » ce changement de personne narrative (il pour je) survenu sans que je m’en rende compte dans le cours de la phrase (parodique d’un titre de film italien lui-même parodique) : « Paul et Chloé retrouveront-ils leurs amis… » Bel exemple d’échéance imprévue. Accueillir ce qui échoit… Je pense qu’il faudra revenir rapidement au je.

8 juillet
Marrakech, la bonne chaleur. De retour après cinq ans. Retrouvé la maison si belle de Cécile et Henri. Un petit âne autour de la piscine enchante Ariane. J’enregistre leur duo sur le minuscule magnéto rouillé. Et les crapauds le soir entre les nénuphars, criant si fort qu’on ne peut dormir. Les chiens dans la palmeraie au loin donnent la troisième dimension de la nuit.

10 juillet
Promenade en calèche à la Menara. Le grelot du cheval lui « dit » quelque chose. Peut-être le seul objet qui ait laissé trace en son corps de ce qui fut presque sa ville natale.
Incursion assez longue en médina par le souk Smarine, jusqu’à la Madrassa, magnétophone en main. Un marchandage de babouches s’est gravé sur la bande.

15 juillet
La Madrague, dans la petite maison sur la plage. On est en plein ramadan. À huit heures du soir, la grande route d’Agadir se fait soudain déserte. Plus un camion, plus un vélo, plus personne. La plage, déserte. La terre s’arrête, et le phare de Tahrazout entre en scène.

16 juillet
Brouillard ce matin, on ne voit pas la mer, à vingt mètres de la maison. Mais on entend des voix, et quand il se lève, vers onze heures, on a la surprise de voir la mer couverte de barques de pêcheurs.
Ariane, par une lubie, décide : « Aujourd’hui, on fait le ramadan ! » Je crois à une boutade. Mais non, c’est sérieux. Et on ne boira pas, on ne mangera pas de toute la journée. Je pense m’en tirer en fumant la pipe : elle confisque ma pipe.

17 juillet
Elle a inventé une histoire, l’autre jour, que je recopierai dans son cahier, suivie de commentaires expliquant comment elle l’a écrite. Parmi ses explications, ceci : « J’ai employé le passé simple parce que ce n’est pas souvent employé. Ça choque, comme ça, ça fait peur. Le passé simple, ça fait plus peur que le présent. »

20 juillet
Passant au pied du piton rocheux sur le tronçon de route « western » avant Chichaoua, elle m’oblige à l’escalader en dépit de la chaleur, elle que j’ai toujours du mal à faire marcher. C’était en plein midi, on commençait à sentir la grande touffeur d’été du Haouz. Et elle m’a précédé, courant, me réprimandant, enchantée de me voir souffler et peiner dans les cailloux.

22 juillet
El Harhoura, ce soir, chez Abdelkebir. De Marrakech à Rabat par le Tadla. Entre 45 et 47 degrés avant Oued Zem, et après. Ramadan : toutes les boutiques sont closes, tous les cafés. Plus rien à boire de tout l’après-midi. On roulait à 40, 50, impossible de baisser les vitres, on suffoquait. Et, en vue de la côte, soudain 25°, une petite brise, la fraîcheur.23 juillet
Rencontre surprise hier, d’Abdellatif Laâbi, qui vient d’être libéré, après huit années d’enfermement pour… délit d’opinion. Ariane est le premier enfant qu’il voit, dans l’émotion, la soif de parole. Les siens ne sont pas là encore.

26 juillet
Hamid Bensaïd – son film de Lodz, d’après le conte de Cortazar, Bons et loyaux services. Très beau, la caméra proche des visages, des matières, on sent le grain de la peau, des étoffes. Me parle de La Mise en scène, qu’il veut « tourner », absolument.

29 juillet
Ronda. Troublants retours d’itinéraire, effet démultiplié de quelques répétitions. Combien de fois je suis venu le soir autour de minuit dans ce jardin public, jusqu’aux grilles en consoles au bord du gouffre, l’œil entre les barreaux fixant les lumières de l’usine en bas… Comme si, toutes ces années passées, je venais là tous les soirs.

2 août
Le Pradié. Bernard, Martine, Aufur, l’atelier, la petite maison de Philippe, la pièce d’eau, tout est là, intact. Loin là-bas déjà l’autre monde, le torride, le sec, dont j’ai du mal à parler.

4 août
Je recopie ces rêves de là-bas, des 18 et 19 juillet :
- un bébé « enceint ». Un bébé, garçon ou fille, attendant un enfant, ventre énorme. Il avait cinq ou six mois, et à la fin du rêve, commençait à parler. Je le comprenais, en plus. C’était le bébé de quelqu’un qui était présent, mais qui ?
- cette femme un peu monstrueuse, qui se promenait avec moi. Puis Claude R. Après quelques pas, je lui prenais la main, l’arrêtais, l’enlaçais. Longue étreinte, elle ne se dérobait pas.
- ma mère emplissait de linge les valises. Elle disait : « Les quelques robes qui me restent. » Ça se passait sûrement rue de Chéroy, car, un peu auparavant, étant sorti faire une course, j’avais eu du mal à retrouver la rue, le quartier ne ressemblait plus du tout à ce qu’il est, je regardais les plaques des rues, deux d’entre elles étaient intitulées « impasses
».
- quantité d’épisodes très mouvementés, au cours desquels apparaissaient çà et là des amis, souvent très lointains, perdus de vue depuis longtemps, et au milieu de catastrophes, d’alertes, de grands mouvements de foule.

7 août
Un gamin m’a dit un jour, comme je gagnais l’intérieur d’un quartier : « Le Place, c’est ici ! Où vas-tu, par là ? Par là, il n’y a que le soleil ! » C’était comme je descendais de voiture, au parking face Dar Moulay Ali, et me dirigeais vers Bab Jdid.

15 août
Ce qu’il fallait noter dès le premier jour à Marrakech : la maison, apparaissant image par image dans les interstices des lattes de la clôture en bambou, par l’effet de la vitesse faible de la voiture. Le déroulement du film au ralenti, le film souvenir qu’on repasse après des années, laissant revoir les choses retenues, et les autres, celles qui ont été « laissées pour compte ». Le plus curieux est que j’avais oublié l’existence de ce treillis de clôture isolant autant que faire se pouvait le jardin et la maison, que j’avais fait poser tout au début, en août ou septembre 73.25 août
Repris Mon double au début du mois, sur la phrase où une association d’idées m’avait fait remonter à Damas, au palais Azem et à ses tableaux d’époque, mannequins anonymes à tête d’œuf remplie de bourre. Écrit une page ou deux, pour retomber sur la première personne, après ce « pont » de transition à la troisième. Pont qui aura enjambé la période creuse, d’empêchement – comme il est dit maintenant dans le texte – d’avril à juillet. Seulement, je n’ai pas pu continuer, la présence des traces récentes, marocaines, brouillait tout : l’effort de reprise s’est bloqué sur la fin de la scène et cette phrase, que j’avais notée sur un bout de papier juste avant de partir, début juillet, incorporée là à présent, in fine : « Air à remous que les mains tournent, moulant objets qui ne se voient. »

8 septembre
La « Stimmung » malaise est revenue peu à peu, fin août, effaçant, ou atténuant, les images du voyage récent. Aussi, les choses du livre ont repris corps, se sont liées à nouveau, fragilement, et j’ai pu écrire (composer, improviser) une dizaine de pages, par tâtonnements, dans l’incertitude, car je ne savais plus du tout où j’en étais. J’avais oublié bien des acquis, j’ai même dû constituer une sorte de répertoire pour classer les éléments et tenter de les faire progresser. Je ne répugne pas absolument à l’incohérence, encore voudrais-je savoir pourquoi elle apparaît, et à tel ou tel moment, elle et son tissu défait. Et puis, j’ai tendance à oublier que, dans cette histoire, Chloé n’a que cinq ans (j’ai tapé au propre tout ce qui existe jusqu’ici, soit 78 pages).

13 novembre
On voyage en Amérique, contrée très sauvage encore : rares sont les espaces habités et cultivés, tout le reste est vierge ou presque, mais sans conteste « indien » : il n’y a pas de terre rebelle, c’est simplement que le pays est trop grand pour être totalement cultivé et habité. Des cartes à échelle satisfaisante signalent les localités, les routes, les sentiers parfois, les rivières, les curiosités naturelles. Je ne sais plus trop si on se déplace à moto, à vélo ou à pied. Un jour, on arrive dans une grande prairie en lisière des bois, où débouche une rivière abondante, toute en largeur, étalée, irriguant cent ou deux cents mètres d’herbe et de pierres. Une vingtaine de personnes sont là, discutent, j’en connais plusieurs, mais j’ai oublié leur nom. Une action se développe, toute une histoire, oubliée aussi. Ce qui reste tient à l’eau : à certains moments de la journée, la rivière s’écoule à peu près horizontale, pente très peu sensible ; à d’autres, elle coule de haut, se ramifiant en multiples cascades entre des rochers, comme elle ferait en montagne. Mais c’est toujours la même rivière. À un instant précis, quelqu’un me montre, sur une carte à grande échelle, un endroit distant d’une cinquantaine de milles, où il y a une production très intéressante de… (il s’agit d’un légume très rare, son nom est inscrit en majuscules).
Ce rêve noté parmi des dizaines d’autres, l’affabulation nocturne n’a jamais failli tous ces temps-ci, mais si peu en survit au réveil…

15 novembre
Bonne ambiance malaise tout septembre et octobre. Comme ça, sans forcer, au hasard des souvenirs, enchaînements, lectures, regards sur les cartes, listes… Aux environs de la page 95. Paul et Chloé vivent leurs derniers jours à Pinang. Bientôt, un petit tour sur la côte est.

16 novembre
Enregistré les enfants la semaine dernière à l’école d’Aulnay, pour cette petite composition sonore illustrant le thème « réalité et fiction », comme on dit. Les gosses m’ont fait une belle surprise, au bout d’une demi-heure, se mettant soudain, sans que rien n’ait été concerté, à fredonner une berceuse à eux sur « coucou », pendant quelques minutes. J’espère que c’est bon sur la bande.

23 novembre
Passant place Clichy avant-hier, devant l’entrée du lycée Jules-Ferry, exactement telle que voici cinquante ans quand j’y étais conduit tous les matins : la lourde porte à grille noire. Un souvenir m’est venu : si j’arrivais en retard, la porte était fermée, il fallait appuyer sur le bouton à droite, pousser la porte et pénétrer dans le hall au pied de l’escalier de quatre ou cinq larges marches en demi-cercle, puis dans le second hall devant le bureau de la directrice. Tout était vide, ils étaient déjà tous entrés dans les classes : effroi, panique, grand sentiment de culpabilité, affolement, terreur d’enfant. C’était en 29 ou 30. La sensation est revenue tout de suite, aiguë, du trait de catastrophe qu’impliquaient la vision du hall vide et le bruit des pas claquant sur le faux marbre, précipités, se hâtant vers la classe où il fallait frapper et entrer en retardataire honteux, sous les regards de tous.

5 décembre
Montage, à la Maison de la Radio, du petit objet sonore avec ambiance d’école et lectures d’enfants. Il s’intitulera Détour et durera environ vingt minutes.

15 décembre
Repris l’histoire malaise après cinq ou six semaines d’inter-ruption dues au travail sur les enregistrements à l’école, à la rédaction des « prières d’insérer » des deux livres à paraître en avril, à la frappe de ce Journal, etc. Aucun problème, cette fois-ci. Écrit hier la suite de la promenade à travers la ville, interrompue après Nirvana Lane, le passage par le « décor réaliste » et, aujourd’hui, le paragraphe sur la chaleur, plus terrible que jamais (c’était l’impression de chaque jour, là-bas, et chaque jour on repartait en promenade).

30 décembre
Rêve dénotant quand même une grande confusion au royaume des traces : il y avait Charlotte (actuellement au royaume de la présence : cinq mois) et sa mère, laquelle lui enlevait et remettait les dents, de temps en temps, sans autre problème que de ne pas les perdre, groupées, sans réceptacle, sur le drap du lit ou la couverture. Je lui faisais remarquer que c’était risqué, qu’elles pouvaient tomber à tout moment, glisser sous le lit… Je les gardais dans le creux de la main. Pour les remettre, on les posait sur la gencive et elles tenaient toutes seules. Il y avait une raison de les enlever, que j’ai oubliée, ou alors la chose allait si bien de soi – enlever les dents d’un bébé et les remettre à tout bout de champ – que je ne cherchais même pas laquelle. Un peu plus tard, comme sa mère était sortie de la pièce, Charlotte se mettait à pleurer, et comme je lui demandais pourquoi : « Je ne veux pas qu’on me lave les cheveux ! », criait-elle très fort, couchée dans le grand lit. Cela se passait à Boissy, évidemment, dans la chambre autrefois de mes parents, donc dans le lit où mon père est mort, et qui a eu toute une histoire depuis sa mort.
Ce n’était là qu’une infime partie de l’immense fresque onirique bâtarde qui m’est dispensée chaque nuit, et dont il ne reste que quelques bribes au matin, si répétitives, si mornes… Cela ressemble le plus souvent à un « cartoon » raté, minable ; il y a bien longtemps que le fameux « travail » n’a rien produit d’excitant, je ne dis pas de novateur, seulement d’un peu excitant, d’inattendu. Ce n’est que ressassement saugrenu, balourd, une suite de « bides » en gris, vaguement colorés parfois, mais la couleur pâlit au plus vite.

31 décembre
Revu ces temps derniers tout le texte de l’opus malais. Le plan de Pinang que m’a envoyé Iskandar m’a permis de préciser certaines localisations, et de laisser totalement erroné – en pleine connaissance de cause, cette fois-ci – le passage par Nirvava Lane, qui est une impasse en réalité, ne longe pas du tout le terrain de golf et ne se jette absolument pas dans Merikan Street. L’histoire a donc maintenant sa forme définitive jusqu’au point où je l’ai menée à la mi-décembre, soit à la description de la mosquée Kapitan Kling. Restent deux jours à Pinang, avec les visites au temple bouddhiste thaï et à l’arboricum, avec retour à Pinang Hill pour finir. Puis ce sera l’envol vers la côte est. Je ne sais encore si je ferai apparaître la division en « parties » (Pinang – East Coast – Singapour – Malacca), sans doute trop ostentatoire.

1981
21 janvier
Sous un déluge de scènes de rêve qui semblent rejoindre, en leur apparente futilité, l’authentique futilité des millions d’images télévisuelles qui submergent quotidiennement l’entendement du spectateur, tout coule de tous bords, je ne note rien. Sauf ceci, voici deux nuits, qui m’a frappé davantage que le reste : ça se passait en Algérie, sur les hauts plateaux, M.O. et moi y voyagions dans je ne sais plus quelles circonstances. Oublié tout le « début ». Demeure nettement cette étape en chemin de fer, dans un train aux wagons très vastes, très confortables. On était bien huit de front, et ça allait très vite dans la rocaille et la pierraille, en ligne droite, comme si une voie nouvelle venait d’être inaugurée – pour les touristes ? La vitesse était bien trop grande pour des touristes. Vallonnements nombreux, tantôt de longues étendues caillouteuses, tantôt des versants rocheux couverts d’arbustes rabougris avec, de ci de là, de la verdure dans les creux. Un paysage très plausible, donc. On se dirigeait vers « Nemours », qui existe certes en Algérie, mais pas du tout sur les hauts plateaux. Ou bien nous étions partis de Nemours le matin, c’était possible avec ce train rapide (le choix de l’Algérie dans le rêve tient sans doute à ce que, tous ces jours derniers, on a beaucoup parlé de ce pays en liaison avec l’affaire des otages américains d’Iran). À un moment, je disais à M.O. : « Tu vois, c’est comme il y a dix ans », ou bien : « Tu te rappelles, on est venu ici il y a dix ans », ce qui est exact, pour les hauts plateaux, le jour où, remontant la route de Bechar, on a passé la nuit à Mecheria (c’était en avril 70). Et ça continuait comme ça, toujours aussi vite, très à l’aise, jusqu’au moment où le train a ralenti, puis s’est engagé sur ce qui semblait être une déviation, en fait une piste en terre où il n’y avait pas de rails. Et il s’est mis à rouler sans difficulté sur cette piste (la voie ferrée continuait pourtant en ligne droite). Alors, on s’est approché d’une vallée entre des falaises, descendant rapidement vers un oued qu’on a traversé sur un radier. Et là, surprise : la radier était constitué d’énormes poissons morts entassés dans le sens de la longueur, perpendiculaires au torrent, leur taille faisant exactement la largeur du lit du torrent. On est passé tranquillement sur ces poissons inertes, je revois leurs yeux grands ouverts. Remontant sur la rive adverse, j’ai confié à M.O. une chose que je savais très importante, me réveillant, mais qui s’est perdue presque aussitôt. J’étais très impressionné, et cette impression a persisté jusqu’au soir.

24 janvier
Ces temps-ci, chez Ariane, pas mal d’excitation du côté du calcul et de la logique. Elle me demande à tout moment de lui poser des opérations algébriques simples, et s’y montre fort habile. Elle calcule assez bien de tête aussi, et le système tonal l’intéresse. Tout ce qui s’affiche systématique à l’évidence, elle l’assimile vite et le retient bien.

5 février
Composition musicale : sur le cahier de solfège, plutôt qu’une nouvelle dictée, elle écrit un morceau. L’invente sur le clavier et simultanément l’écrit. Elle avait déjà quatre mesures la semaine dernière, à trois temps. Avant de poursuivre, elle décide d’une reprise, ce qui fait huit mesures, et, encouragée par cette prolifération aisée, poursuit, inscrivant trois nouvelles mesures en mouvement parallèle des deux mains décalées d’une tierce (influence des exercices du second cahier des Micro-cosmos). Le rythme est inattendu : une noire, une noire, deux croches.

15 février
Il était question d’une facilité de voyage en Amérique du Sud. Des circuits bon marché étaient organisés : on atterrissait ici, puis on se rendait là, tant de kilomètres, tant d’heures de route, tout cela extrêmement précis, bien conçu. J’essayais de me repérer sur une grande carte du continent, mais l’itinéraire ne semblait pas pouvoir s’appliquer correctement aux territoires. L’Amérique du Sud était, dans cette histoire, le pays de la touffeur, des étendues sauvages impénétrables, des fauves dangereux. À un moment, Noël Burch apparaissait pour en témoigner : il s’était fait piquer par un serpent. Plus tard, je me trouvais effectivement en Amérique du Sud, dans une ville d’aspect outrageusement exotique, en bois, percluse de végétation envahissante, et par la fenêtre, je voyais dans le lointain une immense forêt en altitude, aux couleurs extraordinaires, vert et rouille, ou feu. C’était cela, cette atmosphère incroyablement belle, chamarrée, l’« Amérique du Sud ». Je demandais où nous nous trouvions précisément. Réponse : « Ici, c’est le Paraguay, la montagne là-bas, c’est… » Le nom de la montagne est oublié, mais il figurait sûrement dans l’émission écoutée hier soir sur la poésie brésilienne.

1er mars
Nouvelle reprise de Mon double, voici deux semaines, après bien des tracas et deux mois d’interruption (montage, mixage de Détour, correction des épreuves de Souvenirs écran et de Nébules, lectures pour la radio). Reprise épanouie : quelque quinze pages vouées aux singes des Waterfalls Gardens, à l’opuscule de Paul, à la visite du temple bouddhiste thaï, achevée ce jour même. Puis la montée à Pinang Hill (préfigurant d’une certaine manière, je pense, la fin du livre) : on y retrouvera les trois bonshommes que Chloé affectionne, et Iskandar,
Parker-l’homme-de-Bangkok. Finalement, une ultime section à Pinang, de nuit sans doute, et ce sera la conclusion de la première partie.

12 mars
Du rêve de cette nuit demeure encore, très forte, l’image d’Ariane menottes aux poignets dans une succession d’événements très étranges, liés à la séparation et sans doute aussi au divorce imminent. Je retrouvais ma fille, avec sa mère, et menottes aux mains. Elle portait son manteau bleu marine de l’année dernière. Sa mère, un peu embarrassée, m’expliquait qu’elle l’avait emmenée dans un restaurant connu où « circulait beaucoup d’argent », et là s’était déroulé un événement trouble (dispute ? action répréhensible ?) à la suite duquel on avait passé les menottes à Ariane qui, dans le temps de cette explication d’ailleurs, disparaissait, ou s’éclipsait. La scène se situait dans des lieux couverts, plutôt obscurs, et dans une bizarre atmosphère de cachotterie et de non-dit, comme si cette histoire allait être le révélateur de tout un « pot aux roses » qui aurait dû rester enfoui. En tout cas, sa mère, quelque ennui quelle ait visiblement à relater l’épisode du restaurant, n’avait pas l’air de trouver extraordinaire qu’on y ait menotté sa fille. Ariane, elle, ne pleurait pas, ne se plaignait pas, elle baissait la tête et avait une mine triste, les bras pendant sur le ventre, attachés l’un à l’autre. En attendant, elle n’était plus là, je voulais absolument la rejoindre, je demandais à sa mère où elle était maintenant et j’obtenais une réponse du genre : « Elle travaille chez Untel, le soir, dans une boutique. » Je me précipitais en direction du quartier commerçant, je ne savais pas de quelle boutique il était question, j’étais moins furieux qu’angoissé, désorienté, j’arrivais dans ce quartier mais il était très tard, la plupart des boutiques avaient déjà fermé. Je courais de l’une à l’autre, éperdu, bousculant les gens, traversais un magasin de tissus, cherchais partout Ariane, la « voyais » cousant ou reprisant dans un coin, accablée, si triste, pénétrais dans deux ou trois autres magasins, mais il n’y avait personne, tout le quartier était fermé à présent, je ne la retrouvais pas, et à plusieurs reprises je me disais : « C’est ce soir qu’on se retrouve chez le juge, il va prononcer le divorce, moi qui lui ai fait confiance pour les arrangements… » Je songeais à tout rompre, mais me disais que ce serait encore pire. Je ne sais plus comment ma course s’est achevée, si le rêve s’est terminé comme j’errais encore dans ce quartier désert, mais je me suis réveillé en sursaut, affolé, très ému, et il m’a fallu beaucoup de temps pour reprendre mes esprits, me rappeler que tout allait bien « en réalité » pour Ariane, et que si le divorce devait être prononcé demain, ce serait au moins dans la paix. Mais ce midi encore, l’image revient d’Ariane vêtue de son vieux manteau bleu, tête baissée, bras noués sur le ventre (peut-être est intervenu dans ce rêve le souvenir d’une séquence montrant hier à la télévision des enfants brutalisés, séquence affreuse, où l’on déployait de grandes photographies de visages d’enfants déformés par les coups). Après quoi, il y a eu quantité d’autres rêves la nuit passée, dont deux au moins m’ont à nouveau conduit au sursaut. Il y était question de neige, d’une gare et de bagages une fois de plus éparpillés.

13 mars
Le retour sur Pinang Hill s’est effectué, et les rencontres fortuites (l’espion, la jeune femme, Iskandar flanqué de Parker). Manquent encore l’épisode bref sur la terrasse devant le panorama de Georgetown (nommer la ville, cette fois ?), le départ discret, un peu ironique, de Parker et la conversation avec Iskandar. Cette première partie sera intitulée, mais seulement pour la table des matières, Pinang. La seconde s’appellera East Coast, la troisième Singapore, la quatrième et dernière Melakka. Peut-être en sera-t-il ici comme il en fut de Nolan, où les parties se faisaient de plus en plus courtes (au contraire de la Symphonie de psaumes). Content d’avoir progressé si vite ces derniers temps, je croyais ne jamais devoir sortir de cette ville. Mais je m’y trouvais très bien. Et du même coup j’arrive à la fin de ce cahier, inauguré à l’arrivée dans Pinang, voici cinq ans bientôt. Par ces jours de chaleur intense, c’était comme héroïque de prendre des notes. Eh bien, elles se sont révélées utiles, pour succinctes et lacunaires qu’elles aient été, tracées dans la touffeur.

17 mars
Athènes. Jean-Paul m’emmène à Marathon, grosse bourgade plate qui laisse peu filtrer de la légende. Plus tard, on grimpe dans la montagne, jusqu’à Grammatikon, et je retrouve, dans un café, le tintement oublié des pions sur les damiers.

2 avril
Souvenir de paniques brèves, au sixième étage de l’hôtel, nourries de rumeurs de toutes ces secousses et de l’impossibilité de se rassurer. Le choc de la première secousse est dans tous les corps, les Athéniens sont nombreux à passer la nuit dans leur voiture. Ils s’invitent à voir les lézardes dans leurs murs. Un ébranlement mineur toutes les deux heures, quelques jours après. L’un d’eux au moins m’a été sensible, un soir, qui m’a fait chavirer de mon lit. Souvenir aussi d’un orage fantastique, une nuit où les éclairs se succédaient sans répit, et qui projeta sur les rues et les terrasses de la ville une boue rougeâtre, venue de Libye, disait-on au matin. Une automobile est passée devant moi le surlendemain, couverte de poussière rouge, comme revenant du désert.

4 avril
Repris Mon double hier, pour en finir avec la première partie. Et je l’ai finie, sur un petit intermède de théâtre d’ombres, à peine suggéré. Morceau final sur le « temps » de Pinang et l’observation au travers de la paroi gazeuse. Intituler les parties en malais ?

15 avril
Pour me rappeler un jour cette scène, brève, dans la petite église, vieille église, au centre d’Athènes, où l’homme de vingt-cinq à trente ans, costaud, cheveux bouclés, baise très vite les vitrines à idoles – trois ou quatre à la file –, marmonnant quelques mots, les yeux chaque fois collés à la vitre qui, renvoyant la lumière, ne lui laisse rien voir de la Vierge ni des saints, puis, arrivé au bout de l’allée, se dirige du même pas vers le petit escalier donnant sur la place, franchit rapidement les marches et, se plantant sur le trottoir, aperçoit tout de suite un ami qu’il hèle, poings sur les hanches, et la voiture s’arrêtant pile, monte, volubile, entraîné dans le siècle.

16 avril
« Un homme labyrinthique ne cherche jamais la vérité, mais uniquement son Ariane » (Nietzsche).

26 avril
« Que je crève comme un chien plutôt que de hâter d’une seconde ma phrase qui n’est pas mûre » (Flaubert).

27 avril
Pour la fin : rencontre avec le « double ». Entrevue, conversation peut-être. Perspective historique, liée à l’aventure des Européens devant Malacca, butoir de l’orgueil et de la futilité. Cette scène aura lieu tout en haut de la colline, dans les ruines du cimetière, un réduit sombre qui ne sera pas sans rappeler le couloir d’ombre en haut de la pyramide du Devin, au début d’Été indien. Puis un corps émergera de l’ombre, l’autre restant parmi les pierres, et on ne saura pas lequel est ressorti. Tout le monde sera là ce jour-là, pour réjouir l’imaginaire de Chloé : les trois Chinois à filatures, Iskandar et la Princesse, leurs enfants, et bien entendu Parker. Sans oublier Marilyn. Peut-être Marilyn prendra-t-elle soin de Chloé pendant que son père affrontera le « monstre » là-haut ?
Dans les premières pages d’East Coast ces jours-ci : l’avion s’envole, mais atterrit prématurément.

3 mai
D’une conversation récente avec la pédagogue amie de madame de Keyser, et qui pourrait nourrir les scènes avec Chloé, dans le prolongement du jeu sur la plage :
- ce qui se passe quand l’enfant voit écrite la phrase qu’il vient de prononcer (dans la perspective d’une analyse de la « Méthode naturelle de lecture »). En fait, ce n’est pas le premier système d’écriture que rencontre l’enfant, la phrase prononcée s’est déjà inscrite dans sa mémoire et il s’est passé beaucoup de choses entre l’instant de l’énonciation et celui de l’inscription au tableau noir, où un tout autre système d’écriture prend alors en charge, ou en écho, sa phrase ;
- le principe de cette méthode est de faire que l’enfant trouve lui-même, devine, invente, le système de la langue et de l’écriture, découvre par lui-même l’existence et la fonction des différences minimales entre les signes, saisisse ainsi que c’est autant l’absence des signes qui importe que leur présence : reports, retardements, avances, réserves, etc. Le sens de ce qui est là dépend essentiellement de ce qui n’est plus là ou pas encore là, et du temps nécessaire à ces déplacements, remplacements, substitutions. La difficulté d’expliquer cette méthode tient évidemment à ce que le vocabulaire disponible ressortit à un ensemble conceptuel qui fonctionne comme occultation de ces phénomènes ;
- l’enfant, comme plus tard l’écrivain, est aux prises avec cette donnée fondamentale que l’important, dans cette affaire de signes, de sens et de jeu, tourne autant autour des présences que des absences. Peut-être l’enfant, dès les premiers temps de la perception, comprend-il que rien n’existe hors des figures et de leur jeu, ce qu’on s’applique de toutes parts par la suite à lui faire oublier. Expérience de base que l’écrivain, bien plus tard, a beaucoup de mal à revivre : elle n’est jamais totalement effacée, en fait, mais resurgit par éclairs, par élans, par élancements. Des vertiges.

12 mai
É crit hier une brève section dont l’idée m’était venue, quelques jours plus tôt, alors que j’étais secoué de frissons et perclus d’une forte fièvre. J’avais composé la veille le passage où l’avion survole la zone des combats dans la jungle, avec l’échappée à la verticale sur la clairière et les engins de guerre. Et j’ai envisagé soudain deux développements possibles : une sorte d’« envoi » aux combattants oubliés des rébellions de par le monde, et singulièrement des rébellions islamiques ; et une scène d’apparition fantastique durant l’orage tropical sur la plage de la côte est. Sur le moment, et surtout une fois la fièvre tombée, je ne pensais pas vraiment écrire la première section. Mais je devais y tenir, car je l’ai fait le dimanche dans l’après-midi, et je me disais en l’écrivant que c’était bien de le faire ce jour-là.

15 mai
Relu notes et passages sur le double, son attente, sa présence depuis le début du livre, afin de renouer avec cette idée, une fois de plus, maintenant que nos voyageurs sont arrivés – enfin ! – sur la côte de la mer de Chine.

17 mai
Comme nous approchons de la maison en pleins champs de Jean-Claude et Danièle dans le Perche, où nous sommes allés pour la première fois l’année dernière à même époque, sous le même vent et la même pluie, Ariane se souvient spontanément de nos difficultés de localisation passées, les trois chemins fermiers que nous avions essayés avant de trouver le bon, et comme je lui dis que nous allons arriver par un autre côté, elle me rappelle que, pour reconnaître la maison, il y a, sur le toit, des « pirouettes » (les deux « pirouettes » en question représentent, découpés dans le fer, en silhouette, un chasseur, son chien et, je crois, deux lièvres).

20 mai
Maintenant, ici, à Kota Bahru, « Beach of passionate love », dans le bungalow près de la plage, ces idées-ci :
- Paul et Chloé n’iront pas à Singapour, mais, après la côte est (Kuala Trengganu et Kuantan), fileront directement sur Melakka, par Kuala-Lumpur ;
- troisième pressentiment et troisième tentation, en bout de plage, sur une éminence où s’élève un bloc de pierre. Sentiment d’une rencontre imminente, attendue de part et d’autre. Vision d’un homme (d’un pêcheur ?) dans une barque sur un lagon ;
- désir de rester là, de ne pas revenir (en arrière ?), sentiment que l’Autre (les Autres ?) vont lui révéler son identité (la nouvelle, et l’ancienne : le Blanc, l’oppresseur vaincu) ;
- description d’un simulacre de rencontre et de substitution ;
- le séjour à Kota Bahru se prolonge. Apparition de Marilyn en plein orage tropical. Fantôme d’idylle ;
- Paul se sent « mourir » là, et simultanément, c’est son double qui va mourir, dans la chambre d’écriture (symétriquement) ;
- celui qui redescendra de la colline à Melakka sera « issu » d’un mort, fantôme de celui qui a hanté Pinang, renaissance après dissipation. Chloé le sentira-t-elle ?

20 mai
Elle est venue me voir vers trois heures dans mon bureau, voir ce que j’écrivais, je le lui ai montré, mon travail du jour,
l’arrivée sur la plage de Kota Bahru, le bungalow. Alors, soudain, elle a eu un souvenir, le premier souvenir de ce voyage depuis quatre ans : le déclenchement de l’orage le soir quand on était en train de dîner ; on n’avait eu que le temps de revenir en courant, cent mètres, et déjà la tornade, des éclairs fantastiques. Dans la foulée, elle s’est rappelée que j’étais allé m’installer sur la véranda une heure plus tard, croyant l’orage terminé, et là, j’avais été « cueilli » par le plus formidable coup de tonnerre de toute la nuit, la foudre était tombée tout près. S’est rappelée aussi le bungalow, son lit, la plage… Ça m’a étonné, ce souvenir, maintenant, le jour où je retrace ces journées dans mon livre, sur le voyage et sur elle. Puis elle a voulu lire quelques pages. Elle y est arrivée, à peu près, la page que je venais d’écrire (au restaurant du motel), mais ce ne lui était quand même pas si facile de déchiffrer mes jambages, alors je lui ai montré la première page de la frappe de travail, sur les pelures jaunes. Elle a donc lu la première phrase du livre, qui l’a fait rire aux éclats. Puis je lui ai fait lire plusieurs dialogues écrits d’après les cassettes d’il y a trois ou quatre ans. Elle était très étonnée, se rappelait certaines choses, d’autres pas. Je lui ai dit que j’avais projeté un long dialogue sur la plage, à partir d’une cassette enregistrée au Pradié, où elle m’avait interrogé sur les origines de l’homme, les singes, etc. Dans l’ensemble, très intéressée par le livre, son titre et les extraits qu’elle en a lus. Ravie que King Kong y figure.

31 mai
Jeu sur « direct » et « différé ». Chloé entendant une de ses répliques (cassette, sur la plage ou ailleurs), Paul lui explique le sens de ces deux termes. Depuis lors, je tiens la dernière phrase du livre (après la rencontre avec le double et la substitution, une scène enjouée, gaie, comme la fin de To have and have not, le film). Chloé demandera : « Là, on est en direct ? »
C’est la première fois que je tiens – retiens – à l’avance la dernière phrase d’un livre. Pour Marrakch Medine, je tenais la dernière scène, mais pas exactement la dernière phrase.

14 juin
Si j’étais Maurice Leblanc, je ne manquerais pas, au cas où mon histoire malaysienne aurait du succès, de lui donner une suite. Cette suite trouverait sa source dans ce qui fut la poursuite du voyage, c’est-à-dire la Thaïlande. Je ferais donc, à ce moment-là, un livre avec Paul et Chloé qui se passerait à Chiang Mai.

8 juillet
« Aspect plastique de la littérature : incarner un caractère, une pensée ou une émotion dans un acte ou une attitude qui sera remarquablement frappant pour l’œil de l’esprit. » (Stevenson, A Gossip in Romance.)

19 juillet
Avec Gérard, lundi dernier, deux « rencontres » curieuses touchant à la mémoire et à ses consignations :
- sur ce qui reste des films, plusieurs années après. Je lui disais que, souvent, je regarde un film à la télévision « innocemment », jusqu’au moment où une réplique, un geste, un paysage, me disent que j’ai déjà vu ce film autrefois. Parfois, seul est resté ce geste, ou cette réplique, cet objet, de tout le film. Je lui donne un exemple : voyant la veille au soir Kiss of Death comme si c’était la première fois, soudain la scène où Widmark balance la pauvre vieille dans l’escalier m’assure que c’est au moins une seconde vision. Et Gérard de m’assurer qu’il a eu, regardant le film hier aussi, exactement la même réaction : aucun autre souvenir du film que celui-là, la voiture de la paralytique lui remémorant d’un coup toute l’intrigue et la vision passée ;
- un peu plus tard, parlant de journaux « intimes », je lui dis combien je me félicite d’avoir tenu cette sorte de journal de travail que sont mes cahiers, quelle surprise j’ai à y redécouvrir des choses oubliées… Il pense que ce serait intéressant de comparer deux journaux simultanés, tenus par mari et femme, par exemple. Et je lui dis que j’ai passé l’après-midi à composer une page de mon livre actuel avec, à gauche, mon cahier de Malaisie, et à droite celui de M.O., ce bloc-notes qu’elle a tenu là-bas épisodiquement.

21 juillet
Une scène m’a ému, l’avant-dernière nuit, bien plus que l’ensemble des éléments que j’y retrouve ne le laisserait penser. Il y avait Ariane à ma gauche, et sa mère, à ma droite. Ariane était « face au public », sa mère « dos au public » (je viens d’utiliser ces expressions sans raison, on ne sentait aucune présence d’un « public » dans le rêve). Je tenais sa mère enlacée, bras droit derrière sa nuque, main sur son épaule droite. Je ne voyais pas son visage, légèrement détourné. Je voyais celui d’Ariane, qui était dans l’attente, dans le désir que quelque chose se produise, qu’elle souhaitait à l’évidence de tout son cœur. Mais je sentais que je ne pouvais pas, que je ne pourrais pas, plus jamais, aller au-delà. C’était ce que je pouvais faire de plus (d’ailleurs je ne me rappelle pas l’instant de l’accomplissement de ce geste, la scène me semblait commencer là, dans cette position-là, après le geste d’enlacement, voire même sans que le geste ait été accompli, c’est-à-dire décrit dans l’espace). L’au-delà de ce geste était impraticable. Elle (sa mère) le sentait sans doute aussi à ce moment-là, mais Ariane ne le comprenait pas encore, ses yeux essayaient de me transmettre la force d’aller au-delà, ils étaient « pleins d’ardeur », ils me soutenaient, me poussaient. Mais nous deux, à droite, nous étions figés, immobiles.

30 juillet
É crit une trentaine de pages depuis la note du 12 mai :
l’arrivée à Kota Bahru, la plage, le motel, l’épisode « hallucinatoire » des cerfs-volants et du pêcheur témoin, la scène des enfants tueurs, le dîner au kampong, les prémices de l’orage, la tempête et l’apparition blanche à la fin. J’arrive aux scènes avec Marilyn, le fantôme blond, et je ne vois pas du tout comment je vais m’y prendre.

1er août
Retravaillé hier le texte de l’orage tropical, modifiant quelques phrases et y adjoignant un passage de transition à la fin. Comme je finissais, vers cinq heures, un coup de tonnerre a fait trembler le village et ses environs, prélude à plusieurs heures de déflagrations, luisances du ciel et averses diluviennes.

13 août
Aubussargues, Gard. On a retrouvé Denise et Georges dans une robuste maison de pierre sur une garrigue plus sèche encore que celle du Vaucluse. Dans les gorges du Gardon, quelques naturistes hasardent leur sexe entre épines et guêpes.17 août
Joyeuse, Ardèche. Louis me tend une phrase brève en caractères arabes, qui signifie : « Le rêve l’emporte sur le savoir. » Une lettre sépare le rêve du savoir.

21 août
Nous étions debout sur le rivage, rescapés sans doute, et regardions les autres qui tentaient d’aborder – leurs mains s’agitant dans l’eau au travers des vagues, s’agitant désespérément, « à vide », émergeant peut-être une dernière fois de l’eau, des centaines de mains, des milliers, reprises par les vagues et resurgissant. L’étrange était qu’on ne voyait jamais personne sortir de l’eau et prendre pied sur le rivage. Rien que ces milliers de mains, dans les vagues très grosses. Il y avait un abri à quelques mètres au-dessus du rivage, des poutres, des poutrelles, un abri rectangulaire précaire, et là, un jeune homme me mettait une sorte de lyre entre les mains pour que je joue avec lui et ses compagnons. Et, sans tâtonner, je jouais avec eux.

24 août
Le Pradié. Feux de joie, on brûle des branchages, des herbes. Je « prends » Bernard, Martine, Ariane, derrière l’écran de fumée.

25 août
Je fais partie de l’armée d’insurrection. Pays montagneux, plutôt exigu, en bordure de mer, un peu comme l’Albanie. On nous dispose en rangs de bataille, alignés dans des tranchées peu profondes, accroupis derrière de petits arbres. On nous distribue des armes : des couverts ! Couteaux, mais aussi fourchettes. J’hérite de trois fourchettes mal aiguisées, inutilisables, réussis cependant à en trouver une petite très pointue, redoutable. Et alors, j’ai peur, je réalise soudain que mon corps peut être transpercé, tranché par ce genre d’ustensile. Je comprends qu’il me va falloir « en découdre », ma chair peut être déchirée, je vais devoir déchirer celle des autres, je ressens cela comme une horreur, un scandale. Je n’ai aucune envie de frapper, ni d’être frappé, bien sûr. Qu’est-ce que je fais là ? Quel est ce piège ? Mais on donne l’ordre de l’assaut et on s’ébranle tous à gauche, parallèlement aux tranchées, qui sont tracées comme des courbes de niveau. On balaie ainsi tout le versant. L’ennemi est invisible, on nous dit qu’il fuit, qu’il est en pleine débandade, on se met à courir, on va conquérir tout le pays ! C’est bientôt l’entrée dans la capitale, par une large avenue. J’aperçois un cinéma au bout de l’avenue, avec un grand panneau annonçant le film. Sur le panneau, la tête de Lénine – me souffle ma voisine : le pays est marxiste depuis deux ans. Puis c’est une station de métro, on est là trois combattants en uniforme. Un gendarme m’interpelle, me demande mes papiers, mais il me « reconnaît », me laisse passer. Voilà qu’on n’a pas de monnaie pour payer le métro, on ne sait trop comment faire, « tout » indique cependant que ça va s’arranger.

27 août
Dispositif scénique pour les « tableaux » sur la plage ; Paul sous un arbre, Marilyn sous un autre arbre plus loin avec ses amis, mais de telle façon qu’ils ne s’aperçoivent pas, masqués qu’ils sont par un coude du rivage. Chloé va de l’un à l’autre, apparaît, vient vers Paul, repart, va vers Marilyn, disparaît, revient, donne des nouvelles de l’« autre lieu », et réciproquement sans doute.
Informations à laisser filtrer : c’est bien Marilyn que Paul a vue sous l’orage, toute vêtue de blanc. C’est elle, aussi, qui s’est trouvée « prise » à Pinang Hill sur la photo à côté de Chloé. D’où, peut-être, un brusque recul narratif, au temps « présent » de la narration, du genre : « Chaque fois que je regarde cette photographie… »

17 septembre
Repris la scène du réveil après l’orage, l’« introduction » de Marilyn. Écrit, depuis, celle du breakfast au motel et le début de la longue séquence de « séparation » sur la plage.

2 octobre
Continué, irrégulièrement, le chassé-croisé sur la plage, sur lequel se greffe la naissance de Chloé. Utilisé mes notes sur le premier cahier d’Ariane, mes dessins, ainsi que les notes, sur ce même cahier, de... Marilyn. Navettes de Chloé. Adieux. Très difficile à faire, mais je pense que c’est réussi.
Enchaîné avec… la suite : on va quitter cette plage et descendre vers le sud en autocar.3 octobre
Ne pas confondre discontinuité et interruption. Très important pour le récit : fondre le discontinu dans le continuum narratif (l’y inscrire en le masquant et démasquant).

10 octobre
Travail sur les sous-titres du film de Souleymane Cissé, Le Vent. C’est la première fois que je me livre à un tel exercice. Les contraintes formelles (le nombre de signes par ligne) sont très difficiles à respecter. Grosse activité de condensation et transposition. Sans cesse à la recherche d’équivalents, parfois lointains en apparence, mais bien plus exacts que le mot à mot.

15 octobre
Vendredi dernier, comme je sors à la nuit du village pour gagner Aulnay où Ariane doit revenir après sa classe de mer, voyageant de nuit, attendue entre six heures et six heures et demie, je descends la rue d’Orléans déserte, approche de la route nationale, ralentis (j’y avais pensé, la veille, évoquant dans un éclair la possibilité – une chance sur mille ? – d’un recoupement des itinéraires, moi arrivant sur la nationale au moment exact où passe le car qui a roulé toute la nuit, car il ne peut passer que par là, la petite route sur la rive gauche de la Mauldre est coupée depuis quelque temps), m’arrête au signal de priorité, un peu endormi encore, me demandant si je suis bien là, par ce silence, cette obscurité, me remémorant cette éventualité de recoupement, je vais repartir, tourner à gauche vers Aulnay, et voici que passe sans bruit devant moi le car qui a roulé toute la nuit, passe comme un train fantôme, aucun signe de vie, aucune tête aux vitres, les enfants dorment, je mets un moment à réagir, plus exactement je vois le car passer, défiler lentement, je sais que c’est lui, mais simultanément je vois passer un car, simplement, et il me faut plusieurs secondes pour que la seconde perception s’élimine. Je tourne à gauche et accélère pour rattraper l’engin. Je suis certain que c’est lui, mais j’ai plaisir aussi à lire, sur la plaque arrière, l’adresse : Port-Manech. Alors, les deux véhicules parcourent de concert le dernier kilomètre, dans le noir, sans bruit.

20 octobre
Il y a les agressions contre les personnes, et il y a les agressions contre les livres. C’est un peu une règle pour moi – une règle implicite – de ne pas consigner ce genre de choses dans mes cahiers. Pour une fois, j’y dérogerai : indigné par l’utilisation qui a été faite l’autre dimanche de Marrakch Medine sur France Culture par l’Atelier de création radiophonique, où, sans mon autorisation et à mon insu, plusieurs extraits de ce livre ont été mixés avec des propos tendancieux, partisans, et à deux reprises au moins de nature raciste, en totale contradiction avec la teneur de mon texte, j’ai aussitôt adressé à la direction de la chaîne une protestation écrite, lui demandant de la faire lire en préalable à la prochaine émission de cet « atelier ». Elle a été lue, dimanche dernier, mais par l’auteur lui-même de la malversation, ce qui n’est déjà pas très fair-play, et suivie d’un commentaire de son cru qui, loin d’exprimer quelque excuse ou regret, s’est employé à la noyer dans une justification générale des procédés employés à l’encontre de mon livre, attribuant à l’« auteur » de ce genre de bricolage une sorte de droit absolu et permanent de « création » au second degré, autrement dit le droit de s’emparer d’autorité de tout texte pour en faire tout ce qui lui passe par la tête, le découpant à sa guise et le mélangeant avec n’importe quoi. Cette prétention extravagante s’articule en des termes où le ridicule pourrait l’emporter, si ce n’était le détestable : « La table de montage-mixage est une table d’opération, de greffe, où il arrive que le sang gicle et que le sens vole momentanément en éclats. » Si le pénible « auteur » de cette phrase avait réussi à faire voler en éclats, ne fût-ce qu’un instant, le « sens » de mon livre, quitte à se couvrir de « sang » les mains, sa blouse et sa feuille de présence, je lui en aurais voué peut-être une certaine admiration. Mais il n’a fait, par indigence de lecture ou malveillance, que rabattre ce sens le plus platement du monde et le réduire à un épisode de querelles entre communautés qui n’ont certes pas besoin d’être revivifiées de nos jours, surtout de façon aussi unilatérale et odieuse. Monsieur le Directeur de la station m’a aimablement promis d’écouter la bande et de décider de l’éventuel droit de réponse circonstancié que je lui ai formellement réclamé.

15 novembre
Nous communiquions avec nos voisins par-dessus le grillage de clôture, dans le haut des jardins. C’était à Boissy, où effectivement les deux propriétés montent parallèlement sur la colline jusque dans le bois, et en haut, là où elles arrivent en limite de la route de Puiseux ; on peut se parler, éventuellement abattre un mètre ou deux de grillage pour passer de l’un chez l’autre. Ce qu’on a dû faire – parler – avec les voisins Brasseur avant la guerre, mais rarement, dans mon souvenir, ils montaient peu souvent dans le haut de leur jardin. Mais ce qui arrive fréquemment ici, avec nos voisins actuels qui, montant dans le haut de leur jardin, passent à hauteur de notre façade, et il nous arrive ainsi de bavarder de part et d’autre du mur. Dans le rêve, je pensais que nous échangions aussi quelques objets ; les lieux, toujours les mêmes aujourd’hui d’ailleurs, étaient exactement représentés : des arbres de notre côté, pas d’arbres chez les voisins, et cette sorte de fossé chez nous juste avant la grimpette vers la route de Puiseux. Mais je comprends maintenant que le rêve se déroulait simultanément à Maule. Il a fallu cette scène onirique du passé pour que l’analogie topographique entre les quatre propriétés me saute enfin aux yeux : elle ne m’avait jamais sauté aux yeux auparavant.

19 novembre
Passant tout à l’heure devant la cabane d’Ariane au bout du jardin, je jette un coup d’œil à l’intérieur, comme toujours (un jour, j’y ai vu un chat mort, roide et gonflé), je vois le nid de guêpes que j’ai laissé là depuis septembre et cette grosse pierre blanche remisée depuis des années, pensant qu’elle pourrait servir à compléter une bordure (elle est travaillée, comporte notamment une belle rainure longitudinale). L’apercevant, me revient en tête que j’ai justement à l’utiliser quelque part dans le jardin pour remplacer un élément manquant, mais… dans le rêve que j’ai fait cette nuit ! où, manquant d’une pierre, je me disais que c’était le moment d’utiliser celle de la cabane d’Ariane.24 novembre
Le livre est arrivé jusqu’à Kuantan, tant bien que mal. Voyage heurté. Tous les deux jours, quelque événement imprévu m’empêche de continuer. Et puis, il y a ces lectures pour le comité de la radio, le travail sur les sous-titres du film malien… En somme, on a mis un mois et demi pour aller de Kota Bahru à Kuantan ! Le plus étonnant est que je ne perde pas complètement le fil de l’histoire.26 novembre
La Direction de France Culture reste muette. Faire le mort se révèle d’une efficacité remarquable en l’objet : quel sens peut bien prendre un droit de réponse après plusieurs semaines, voire plusieurs mois ? Alors, laissons ces choses « entre nous », n’est-ce pas ?

28 décembre
Départ de Kuantan, décollage, et fin de la seconde partie, East Coast. Demander à Paul s’il n’existe pas une expression en malais pour qualifier ce rivage.