en région nantaise, les Boutures d'écriture

quoi qu'on en pense dans les Inspections générales, il y a de l'irréversible dans ce mouvement grandissant autour des ateliers d'écriture, une diversité sans loi ni hiérarchie, avec pour seule boussole le respect humain, l'amour d'un peu de beau - écrivains ou pas écrivains, contraintes ou pas contraintes, soins ou pas soins, c'est ce dialogue et ces échanges qui comptent -

si j'ai tenu à faire figurer ici la démarche nantaise des "Boutures d'écriture", c'est justement parce que leur équipe rassemble toute une gamme de pratiques éclatées et diverses, mais dans une région de vieille tradition pour ces expériences (à Rezé par exemple...)

témoignage tout modeste et tout simple de ce qui naît et se pratique, sans rien demander à personne, mais sur l'appui d'une belle générosité, et évidemment l'écriture d'abord, les livres et la lecture, pour comprendre le monde autour de nous, ce qui s'y fissure et ce qui y naît, et élaborer un peu mieux, tous ensemble, la langue qui pourrait le dire...

qu'on fasse 50 kilomètres vers le sud, c'est Cathie Barreau et le Manège à La Roche-sur-Yon, qu'on fasse 80 kms au nord, et c'est le Triangle à Rennes, ou les atelliers de la fac Arts du spectacle, qu'on remonte la Loire vers l'est, et c'est la poésie ou les ateliers en prison à Angers, et puis encore un peu plus loin Léa Toto et "Tiers Lieu" au Centre dramatique régional de Tours - et à Nantes même, outre ce mouvement fédéré par Marijo Coulon et Nicole Morin, il y a des enseignants, Stéphane Goni, Jean-Claude Jorgensen, des animateurs d'atelier comme Jean-François Morange, la revue Chemins de formation de Martine Lani-Bayle, ses séminaires et ses stages, et c'est pareil si on va voir vers Montpellier, ou Clermont-Ferrand, ou Nancy... ce tissu qui s'organise dans notre pays est un fait nouveau, un poumon aussi pour la littérature, pour l'enseignement : il sera temps qu'un jour ça se sache

François Bon

e-mail / courrier pour Les Boutures d'écriture

De l’invention, des intentions, des investigations des Boutures d’écriture

Ça commence comme un conte avec un nombre magique, ce livre. Depuis trois ans, en trois coins des Pays de la Loire, des boutures d’écriture ont prospéré une fois par mois. Les jardinières et jardiniers sont des animateurs d’ateliers à temps plein ou partiel de leur vie professionnelle, militante ou bénévole. Chacun à tour de rôle anime et offre des consignes d’écriture qu’il souhaite expérimenter ou sur lesquelles il voudrait des commentaires sans détours mais prodigués avec bienveillance. C’est un troc de terroir à terroir.

Pourquoi “ boutures ” ? Pour la rime avec écriture sans doute, mais surtout pour la métaphore qu’on ne cesse de filer tant l’analogie semble juste entre le travail précis et technique de l’expert qui prend pour multiplier essaimer et la démarche où chacun apporte ses surgeons surgissements tentatives de greffes pour voir si ça prendra comment ça pourrait prendre.

Boutures de l’expérience de l’une pour la pousse des autres : secrets partagés livrés de jardins à l’anglaise ou à la française aux grés et personnalités des jardiniers. Boutures de la lecture pour “ faire prendre ” l’écriture. Boutures des questions et des doutes empêchant parfois la pousse et que d’autres sauront peut-être utiliser fécondément, ou qu’on préférera, faute de profit, ne plus tenter.

Des boutures polymorphes : ça jardine en ville et en campagne, en jardins ou en balcons. Il est des douceurs plus angevines que d’autres, des maraîchages plus primes que d’autres et peu importe, l’émulation porte davantage que la compétition, ce qui n’empêche ni les débats ni les éclats. C’est l’un des premiers paris de cette aventure collective qui tient de l’utopie. Le compagnonnage y est de mise, chacune pouvant être à l’occasion le référent d’un autre. Le fait de bouturer ensemble transforme la concurrence sur le terrain en solidarité, la rivalité en complémentarité. C’est du moins le constat d’aujourd’hui, n’en déplaise aux empêcheurs de rêver en godets.

Les Boutures ne sont pas un label répertorié, nomenclaturé. Les Boutures ne sont pas contre les diplômes professionnels - certaines jardinières suivent des formations diplômantes – les boutures sont à côté. Du côté de l’instituant plus que de l’institution : du côté de l’éducation populaire. Pas de hiérarchie aux boutures mais des caractères, des tempéraments. Les boutures ne visent surtout pas à unifier ou uniformiser les pratiques, elles trouvent leur justification dans la construction argumentée des pratiques différentes.

Boutures de l’esprit de l’éducation populaire, dans le domaine démocratiquement ouvert de l’écriture en amateur, bouture démocratique également sensible dans l’ouverture toujours faite à de nouveaux membres, de nouvelles terres.

Vient aux Boutures qui, connaissant leur existence et en formulant le souhait, cherche justement ces expérimentations, ces champs de possibles et quittant ainsi la solitude de fond du métier, pose au dehors les questions du dedans puis réciproquement, se soumettant s’en remettant à d’autres dans un esprit de confrontation et de construction. C’est un autre pari qui consiste à prouver que de la volonté et l’implication conjuguées de chacun des membres du groupe peut naître un espace autogéré où travailler ensemble se construit pas à pas, sans gêner les initiatives ou gommer les contrastes.

Les boutures incitent à la souplesse, au changement. C’est un lieu qui permet de prendre du recul, de modifier et renouveler ses modèles, ses choix de consignes, ses attitudes pédagogiques. C’est un laboratoire. On peut s’y essayer, s’y tromper, ça fait partie du jeu. La connaissance et la reconnaissance s’acquièrent à travers la prise de risque que constitue le fait d’exposer sa pratique à d’autres pratiquants, à ses pairs, qui plus est à la leur soumettre.

Dans les débats qui ont lieu à l’issue des séances, des oppositions, des points de vue forts et parfois antinomiques sont mis à jour. Ils révèlent des personnalités, des postures d’animateurs d’ateliers d’écriture différentes voire divergentes. Ce n’est pas un lieu neutre, il y est question d’idées, de références, de valeurs, qui transparaissent dans les pratiques et se nomment. La diversité réassure chacun dans sa position personnelle en même temps qu’elle l’interpelle. S’ensuivent une connivence, une forme de perméabilité des points de vue qui font se reconnaître les animateurs des boutures comme acteurs d’une démarche génératrice d’énergie collective et individuelle. Je change je ne suis plus ni tout à fait la même et bouturée couturée et reprise reprisée et assouplie et inter-changeante changeable ni tout à fait une autre et tenace et personnelle et inchangée je ne cherche pas à changer je change. C’est à peu près tout le mal qu’on souhaite à celles et ceux qui viennent bouturer.

Mais à qui donc appartiennent les propositions d’écriture ? à personne, ce qui ne veut pas dire à tout le monde ! Il est vite clair que telle proposition conviendra ou pas : on sait qu’on va s’en emparer ou qu’on n’en pourra rien tirer dans un atelier. Il n’y a pas d’animateur d’atelier d’écriture idéal, mais chacun connaît un idéal vers lequel il tend, des auteurs phares, des sources littéraires porteuses comme des mères. La curiosité n’a pas de frontières et la connaissance des différents courants d’ateliers d’écriture au-delà de l’hexagone est utile à chacun pour se situer dans cette cartographie, pour prendre ci et là des éléments qui aident à fonder sa propre pratique. Il n’est guère possible de rester fermé et figé dans son savoir ou de venir en prédateur aux Boutures. Si quelqu’un vient dans cet état d’esprit, il en repart sans commentaires, c’est un autre constat.

L’ouverture à d’autres formes d’animation, à de nouveaux auteurs, à de nouvelles lectures s’acquiert vite si elle n’est pas déjà acquise. Observer la posture de celui celle qui propose, sa façon de proposer, sa conviction, son engagement, sa passion, ses outils, sa composition, ses questions, son “ lancer ”, assis ou debout, ce qu’il elle donne au travers de la proposition est un cadeau que l’on se fait à l’envi. La manière de remercier c’est d’offrir ses variations à la proposition et de retour sur ses terres de citer ses sources. Il en va de la délicatesse de chacun. Il n’y a pas de conseil de l’ordre aux Boutures.

Cependant, rencontrer des questions, des constats d’impuissance, des envies de recherche à l’occasion des Boutures, c’est une manière de faire siens peut-être ces outils potentiels. Ces rencontres n’économisent pas la constitution de ses propres outils, elles les enrichissent. Les boutures sont une antichambre à l’atelier d’écriture, en marge de la solitude du travail personnel. Ce double mouvement oblige à clarifier toujours plus pour soi et les autres les intuitions et les convictions qui nous agissent nous font agir en même temps qu’il démontre qu’on gagne à partager. Il se peut bien qu’aux Boutures on apprenne à être moins possessif.

Saisissant l’opportunité d’écrire ce livre, on a d’abord pensé qu’il était temps de partager plus largement les trouvailles souvent colorées et joyeuses qu’on a fait pousser de retour dans ses terres respectives. On a pensé que ces boutures pourraient bouturer ailleurs par la grâce des feuillets d’un livre. Mais à la lecture, le vivant des boutures s’étouffait ; on a craint de tomber dans un catalogue de recettes, grande peur des animateurs désirant inscrire leur âme dans leur travail. On a alors décidé d’y consigner sensations, ressentis, émotions et réflexions qu’on ne manque pas de vivre sur le chemin de ce métier ambitieux et passionnant.

Ecrire ce livre c’est donc faire le point avant d’aller plus loin, c’est savoir à peu près où on en est, à quels horizons on aspire encore, si on aspire encore. Et ce faisant, s’établissent, du parcours et des étapes, une carte qu’on souhaite tendre, pour confrontations et échanges nouveaux, à d’autres de ce métier dans lequel on navigue souvent à vue et sans boussole, à d’autres aussi qui, ayant ou non participé à des ateliers s’intéressent pour eux-mêmes ou pour d’autres, à cette forme, à ces formes relativement neuves et encore flottantes d’écritures.

Marijo Coulon
Nicole Morin
Conseillères d’éducation populaire

Ici et là de A à Z
Aérodrome
Ancienne capitainerie de Portsall sous les allées et venues des marins-pêcheurs
Ancienne chapelle d’une école
Ancienne étable au Moulin Gouch
Atelier de couture
Autocar qui nous ramène du “ Printemps des quartiers ” à Paris : un atelier d’écriture improvisé
Bibliothèque d’un centre de détention
Bibliothèque : le temps de lire, le temps d’un samedi, le temps d’un après-midi de pluie.
Bistrot à la Roche
Café à la Madeleine : douze personnes écrivent dans la musique et dans le bruit
Catho d’Angers : immense salle dans une vieille maison bourgeoise, vue sur la Maine. Givre sur les fenêtres et les pentes herbeuses.
Centre de doc. en Mayenne : dans l’entre-deux portes la tête de l’enseignante de français apeurée par le bruit.
Centre de formation : sous-sol, le jour au fond, la cour lumineuse, la salle sombre.
Centre poétique de Rochefort-sur-Loire
Centre social rural, entourée de machines à coudre et d’ouvrages faits main dans un tissage des mots sur papier
Chaises moulées de la mission locale
Chapelle à Bazoges en Pareds
Chez Marine, l’auto-stoppeur avait presque envie de monter
Cinéma
Combles, dans le pigeonnier de l’école d’éducateurs de la Classerie
Conches du marais poitevin avec moustiques
Coulée verte et Bofill XIVè
Cuisine de la Mission locale
Dernier étage de l’université permanente
Deuxième étage des Ateliers et Chantiers navals de Nantes
Donjon du château d’Ardelay
Donjon XIIème
Dos au tableau d’offres et demandes de savoirs au local du Réseau d’Angoulême – Résonances – Echos – Echanges
Ecole communale abandonnée aux personnes de l’Université Inter-âges odeur de poussière et de craie, mouches à l’ancienne prises par une aile à la toile d’araignée entre la fenêtre et le mur. Maurice taquine la muse et nous déroule ses alexandrins.
Poème d’adieu :
Puisqu’il le faut, fuyez
Partez jusques à Nantes
Puisqu’il le faut, allez
Vivez jusqu’à nonante…
Ecole primaire pour gommer les étiquettes
En marchant
Espace culturel d’Herbauges
Espace Simone de Beauvoir
Galerie marchande Carrefour Beaulieu
Hall d’accueil de la Poste de Preux à Saint-Herblain
herbe du jardin de la mairie de Chaudefonds-sur-Layon
IUFM
Kayak de mer le long de la côte rocheuse de Dinard ou Saint-Briac
La Persagottière : des panneaux blancs, modulateurs d’espace, accueilleurs de textes. Un espace café, les croissants du matin. La Sèvre coule en bas.
Lavomagic
Local “ Point lecture ” à la Régie de quartier en bas de la tour blanche de Bellevue
Loft à Paris XIVème
Ma salle à manger, les rallonges agrandissant la table augmentée de tables d’appoint si besoin selon l’appétit d’écrire
Maison à Wavrin avec piscine intérieure
Maison de poupée du centre de loisirs de la maison de quartier pour des textes d’impros
Maison de retraite : salle blanche, mes chaussures collent au sol des toilettes, des rampes inox courant sur les murs. Des têtes fripées et malicieuses dans les entrebaillements de portes.
Marches d’un escalier de granit au port de Sauzon
musée de Tournais
Nez sur le mur d’enceinte du château de la Morinière
Ombre du grand Catalpa de la BDP de Saint Berthevin
Orangerie d’un château du bord de Sèvre
Orléans : Premiers ateliers, coup d’œil vers les voies ferrées. Trains corail pour Paris. Orléans aller-retour.
Pays de Retz dans un collège rural
Pelouse de cour d’école
Plages d’Herlin, de Baluden
Planches du théâtre Saint-Louis à La Pommeraye avec une classe de cinquième
Pointe des Poulains
Premier étage du Temple du XIVème arrondissement de Paris
Quai de la Charente à Paris avec leséfasiens dans la salle déphasée du centre de formation
Racines de frênes au pied de la Sèvre nantaise
Rue Buat au local Passerelle
Rue du Calvaire : salle exiguë, dans des locaux restreints avec des heures en miettes pour stagiaires morcelés.
Salle de CLIS à Poitiers
Salle de danse de la maison de quartier Saint-Serge avec les joueurs de la ligue d’improvisation Maine Anjou
Salle de sport
Salle des Diablotins aux Herbiers
Salle des profs de lycée à Nantes
Salle du Conseil des Sages au centre socioculturel du lavoir
Salle Foyer Porte Neuve
Salon bibliothèque de la maison “ Pât du hibou ”, à quelques encablures de Loire et du Louet, près de la cheminée à faire rôtir les mots
Salon de la maison de retraite du Repos de Procé
Sous les rires des femmes au centre d’alphabétisation à Belle-Beille quand les lettres mutines se déplacent dans les mots
Stand à la foire du printemps
Tables entre des grilles de livres à la bibliothèque dérangée par des lecteurs furtifs en quête d’auteurs
Terrasse rue Fontaine de Barbin
Véranda
Vignes “ au Petit Lapin ”

(collectif)

Pour mettre en scène
Extérieur, jour.
Intérieur, nuit.
Théâtre désert.
Silencieux.
Muet.
Sur le plateau,
Rond de lumière jour 202,
Contre jour bleu 79,
Soleil 09.
Ecrire pour le théâtre.
A deux ou quatre
Mains,
Deux fois,
Quatre fois
Quatre mains,
Sur les touches albâtre
Du piano noirâtre
D’une scène vide.
La tête dans les astres
Des décors en plâtre
Faits main.
Ecrire pour le théâtre
Avec le feu dans l’âtre
Des Comédiens dell’Arte
Sur les tréteaux des cartes
Du chemin
Ou les mots des astres
Chantent sous les pilastres
D’un chapiteau romain.
Ils ont ouvert la cage
De la ménagerie de verre.
Des coulisses
De l’imaginaire
Entrent en scène
Coté jardin,
Des personnages
Qui s’animent comme en été
A la terrasse de la guinguette
Des bords de Loire.
Coté cour,
D’autres personnages,
Elle et Lui.
Elle, le regarde.
Elle est dans la lumière bleue nuit
Lui, à contre jour,
Et les mots, les paroles, les silences,
Les rires, courent sur le papier
Comme des fourmis géantes.
Dans le lointain
Un passant
Un voyageur sans bagage
Attend le bus de nuit
Qui va vers Fulham…
C’est la vie qui vient
Le plateau c’est la rue
Le quai d’une gare
Les dunes d’un désert égaré
La salle d’un bistrot enfumé
Cigarettes et cigares
C’est la vie
Enfin
Ça crie
Ça aime,
Ça tremble
Ça a peur
Ça frémit
Ça chante
Ça rit pour se moquer du désespoir
C’est le cœur ou le corps qui parle
A fleur de peau
Qui fait tanguer les mots
Surgir la fleur et la faune
De ce monde imaginé…
Ecrire pour le théâtre
Coté jardin
Coté cour
Quand ils auront posé leur stylo
Quand le flot des paroles
Et le battement des cœurs aura cessé,
Quand le rideau sera tombé sur le dernier acte
Quand le silence se fera de partout sur le plateau
Ils verront les six personnages partir en quêtes d’acteurs
Pour mener le monde au bonheur du théâtre
Le faire rire et trembler.
Extérieur, jour.
Intérieur, nuit.
Théâtre en haleine
Silencieux.
Muet.
Sur le plateau,
Rond de lumière jour 202,
Contre jour bleu 79,
Soleil 09.
Coté cour
Coté jardin
Des bouts de vie
Croqués à chaud
Quand le rideau sera tombé
Sur le dernier acte
Le fantôme des personnages errera encore dans les coulisses
Sur le plateau
Entre les fauteuils d’orchestre
Ils nous suivront encore quelque temps dans la rue
Dans nos automobiles
Dans le théâtre de nos rêves.
Extérieur, jour.
Intérieur, nuit.
Théâtre désert.
Silencieux.
Muet.
Sur le plateau,
Rond de lumière jour 202,
Contre jour bleu 79,
Soleil 09.
L.S.

Une écriture d’argile
Matière et sens
au-dedans un germe en sommeil
rencontre des paumes avec la matière
lourde humide froide
les doigts pétrissent
forme informe brouillon
s’enhardissent
tailler creuser lisser
empreintes d’argile sur le papier
le crayon les mots déjà il s’écrit
faufile des vides contre les pleins
mais rien n’est encore dit
les mains le corps cherchent
s’étonnent
geste en suspens
une tiédeur oscille entre vie et non-vie
proportions angles courbes
étirer façonner imprégner
hors des marges quelques lettres grises
derrière la promesse des phrases
matière et sens s’étreignent
on sent déjà un clin d’âme
cœur de terre modelant son identité
les traits jaillissent
lèvres muettes souffle un chant d’argile
expression le sens s’écrit
dans le sombre du visage
la lumière du regard signe la matière
fascination connivence absence
né de mes mains il m’échappe
il décide d’être à sa manière.
G.T.
Une écriture de recueillement
On arrive, on se détend
La proposition d’écriture est donnée
Les plumes grattent le papier
Chacun est intériorisé dans ses rites d'écriture.
L'atmosphère est recueillie.
Enfin les stylos sont posés
Maintenant chacun lit son texte
Et tous affirment que c’est… un grand moment de l’atelier
Que l’écoute du texte de l’autre.
Et toi écrivant comme les autres
Ayant accompagné les difficultés
Tu sens avec bonheur
Quand chacun s'en retourne satisfait
Et pressé de recommencer.
Tu as hâte de les retrouver
D.J.

Un temps suspendu
Avant, il y a le silence, mobile comme une onde, bordé du léger murmure des plumes, des billes et des mines. Pierre respire fort. Anne soupire. Déjà Madeleine semble avoir terminé le voyage. Elle se pose.
Chacun accoste à son tour, s'étire, regarde alentour. Le silence s'endort.
Une voix s'élève. Elle lit un texte juste éclos. Fragile, elle porte ce cadeau précieux. Les mots chuchotés, effleurés, les mots mastiqués, articulés, lus sur les lèvres. Les mots de l'un - de l'une - à l'autre se glissent, se laissent entendre, s'harmonisent, font bouffer leur jupe, gonflent la toile. Et chacun comme au rythme de l'onde se dit : Ah oui, moi aussi, pourquoi lui, qu'est-ce qu'elle dit, comment ça, qui déjà...
Dis, tu veux bien recommencer ?
J.V.Un temps qui prend ses marques
Avant, on pouvait juste se souvenir d'avoir chanté et se rappeler ce souvenir. En revanche, j'ai toujours pu voir, aussitôt faite, la trace de mes doigts sur la terre, de mon couteau sur l'écorce du tilleul de l'école, de ma bombe sur le mur du lycée, de mes pas dans le sable.
Ecrire. Faire un pas.
On a bien trop parlé. Ça fait vraiment longtemps qu'on n'a plus écrit. Je vous offre la grotte, les outils. Si votre voisin vous insupporte, prend trop de place, écrit toujours ces choses morbides dans l'espoir de vous déranger, je serai intraitable : rappel aux règles de l'art !
Tous ensemble on écrit des mots
Les mots
Ils sont là
A tout le monde
Chaque guirlande est unique et prend la place qu'elle doit prendre. Vous pouvez l'effacer, la regarder, l'aimer, la vénérer, l'oublier, la livrer au regard des autres, à leurs baisers, à leurs brasiers, à leur indifférence, vous pouvez la reprendre, la transformer, la réinventer, la remettre à la postérité, à l'éternité, aux oubliettes. De toutes façons c'est elle, la trace qui demeure, qui vous rappelle que vous changez, que vous vivez.
Vous avez vécu, le temps de l'écriture, en toute conscience votre voyage interstellaire ou intralibidineux. Et le chant sera repris, et l'écho enverra le-prochain-humain-qui-doit- écrire prendre son départ. Celui-ci apprivoisera des démons, des désirs et autres réminiscences qu'il laissera colorer son écriture, le temps de son écriture.
Animé de ces batailles, vous écrivez.
Et puis, épuisé, réconcilié, le guerrier que vous êtes s'autorise à ignorer les interrogations, à déguster la victoire le temps du texte lu, de la chanson chantée, du scénario réalisé, d'un bout de vie humaine exploré, le temps présent du récit.
E.M.D.
Un temps à se changerJe travaille avec des agités du ciboulot
Des qui comptent plus vite que leur ombre
Des qui ont oublié qu’on pouvait écrire avec des mots
Des qui ont la tête pleine de chiffres.
Je travaille avec une espèce à part
Qui porte en cravate intérêts et agios
Plans d’épargne machin
Plans d’épargne truc
Je travaille avec des messieurs
Qui ont oublié
Qu’il n’y avait pas que les sous dans la vie
Que l’argent ne fait pas le bonheur
Qu’on peut être riche autrement.
Moi mon boulot avec eux
Qui me regardent bizarrement
Elle vient d’où,
Elle fait quoi ?
Où elle a son compte ?
C’est d’abord de les déshabiller
De leurs habitudes
Leur enlever la cravate au moins.
P. A.